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UN JEUNE CHEVALIER

Publié le 12/08/2011

Extrait du document

La demoiselle a pris monseigneur Yvain par la main et l'emmène là où sa présence est tant attendue. Mais il croit y être mal venu; et sa crainte est bien naturelle... Sur une couverture vermeille, la dame est assise. Messire Yvain a grand peur, je vous assure, en se présentant devant la dame qui ne lui dit mot. Ce silence l'effraye à tel point que, se croyant trahi, il demeure immobile sans oser s'approcher, jusqu'à ce que la jeune fille prenne la parole : - Que le diable emporte l'âme de la sotte qui conduit dans la chambre d'une belle dame un chevalier qui n'ose approcher et qui n'a ni langue, ni bouche, ni parole pour la saluer! A ces mots, elle tire le chevalier par le bras et lui dit : - Venez donc ici, chevalier. Craignez-vous que ma dame vous morde? Demandez-lui plutôt votre grâce, et je la prierai avec vous de vous pardonner la mort d'Esclados le Roux, qui fut son mari. Mais voici que messire Yvain, joignant les mains, se met à genoux et parle en véritable ami : - Dame, je ne vous demanderai point grâce, mais je vous dirai merci pour tout ce que vous me voudrez faire; car rien ne m'en pourra déplaire. - Vraiment, sire? Et si je vous tue? - Dame, grand merci à vous; je n'aurai point d'autre parole. - Jamais, fait-elle, je n'ouïs rien de tel... Voici que vous vous en remettez entièrement à ma volonté, spontanément, sans que je vous y force! - Dame, il n'est point de force plus puissante que celle qui me contraint de vous obéir en toute chose. Quoi que il vous plaise de me commander, je suis prêt à le faire. Et si je pouvais réparer le meurtre, où cependant je n'ai en rien méfait, je le réparerais sans discussion. - Comment cela? fait-elle. Ah! dites-le-moi, beau sire, - et de toute réparation je vous tiens quitte - si en vérité, vous n'avez point méfait quand vous avez tué mon mari. - Dame, dit-il, par votre grâce, quand votre mari m'attaqua, en quoi ai-je méfait si je me défendis? Celui que l'on veut tuer ou pendre, si en se défendant il tue son agresseur, peut-on le lui imputer en mal? - Non, en toute justice, fait-elle. Mais je voudrais bien savoir d'où peut venir cette force qui vous plie à consentir sans réserve à tout ce que je veux. De tout tort, de tout méfait je vous fais grâce; mais asseyez-vous et contez-nous comment vous fûtes ainsi dompté. - Dame, fait-il, la force vient de mon coeur qui s'attache à vous. Ce désir où je suis de vous obéir en toutes choses, c'est mon coeur qui m'y a mis. - Et qui y a mis le coeur, beau doux ami? - Dame, ce sont mes yeux. - Et qui les yeux? - La grande beauté qu'en vous je vis. - Quel tort vous fit donc la beauté? - Dame, celui de me faire aimer. -Aimer? et qui? - Vous, dame très chère. - Moi? - Vous, en vérité. - Et de quelle manière? - Tant, qu'on ne peut mieux aimer. Tant, que mon coeur ne vous quitte pas, et jamais ailleurs ne se plaît. Tant, que je ne puis penser à d'autres et m'abandonne tout à vous. Tant, que plus que moi-même je vous aime... Tant, s'il vous plaît, qu'à votre guise, pour vous je veux mourir ou vivre. - Et oseriez-vous entreprendre, pour moi, de défendre ma fontaine? - Oui, en vérité, dame, envers et contre tous. - Sachez donc bien que la paix est entre nous.

CHRETIEN de TROYES.

Le Chevalier au Lion.

Trad. m. AUBERT. Légendes et contes du Moyen Age, Hatier.

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