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Tartarin de Tarascon (1872). Le jardin du baobab. Daudet

Publié le 21/06/2011

Extrait du document

daudet

Pour nous présenter son personnage héroï-comique, Daudet décrit d'abord, avec un piquant mélange de sérieux et de comique, le cadre dans lequel apparaitra Tartarin.

Ma première visite à Tartarin de Tarascon est restée dans ma vie comme une date inoubliable; il y a douze ou quinze ans de cela, mais je m'en souviens mieux que d'hier. L'intrépide Tartarin habitait alors, à l'entrée de la ville, la troisième maison à main gauche sur le chemin d'Avignon. Jolie petite villa tarasconnaise avec jardin devant, balcon derrière, des murs très blancs, des persiennes vertes, et sur le pas de la porte une nichée de petits Savoyards jouant à la marelle ou dormant au bon soleil, la tête sur leurs boîtes à cirage. Du-dehors, la maison n'avait l'air de rien. Jamais on ne se serait cru devant la demeure d'un héros. Mais quand on entrait, coquin de sort!... De la cave au grenier, tout le bâtiment avait l'air héroïque, même le jardin!... Oh! le jardin de Tartarin, il n'y en avait pas deux comme celui-là en Europe. Pas un arbre du pays, pas une fleur de France; rien que des plantes exotiques : des gommiers, des calebassiers, des cotonniers, des cocotiers, des manguiers, des bananiers, des palmiers, un baobab, des nopals, des cactus, des figuiers de Barbarie, à se croire en pleine Afrique centrale, à dix mille lieues de Tarascon. Tout cela, bien entendu, n'était pas de grandeur naturelle; ainsi les cocotiers n'étaient guère plus gros que des betteraves, et le baobab (arbre géant, arbor gigantea) tenait à l'aise dans un pot de réséda : mais c'est égal! pour Tarascon, c'était déjà bien joli, et les personnes de la ville admises le dimanche à l'honneur de contempler le baobab de Tartarin, s'en retournaient pleines d'admiration. Pensez quelle émotion je dus éprouver ce jour-là, en traversant ce jardin mirifique Ce fut bien autre chose quand on m'introduisit dans le cabinet du héros. Ce cabinet, une des curiosités de la ville, était au fond du jardin, ouvrant de plain-pied sur le baobab par une porte vitrée. Imaginez-vous une grande salle tapissée de fusils et de sabres, depuis en haut jusqu'en bas; toutes les armes de tous les pays du monde : carabines, rifles, tromblons, couteaux corses, couteaux catalans, couteaux-revolvers, couteaux-poignards, krish malais, flèches caraïbes, flèches de silex, coup-de-poing, casse-tête, massues hottentotes, lassos mexicains, est-ce que je sais! Par là-dessus, un grand soleil féroce qui faisait luire l'acier des glaives et les crosses des armes à feu, comme pour vous donner encore plus la chair de poule... Ce qui rassurait un peu partout, c'était le bon air d'ordre et de propreté qui régnait sur toute cette yataganerie. Tout y était rangé, soigné, brossé, étiqueté comme dans une pharmacie; de loin en loin, un petit écriteau bonhomme sur lequel on lisait :

Flèches empoisonnées, n'y touchez pas

OU :

Armes chargées, méfiez-vous.

Sans ces écriteaux, jamais je n'aurais osé entrer. Au milieu du cabinet, il y avait un guéridon. Sur le guéridon, un flacon de rhum, une blague turque, les voyages du capitaine Cook, les romans de Cooper, de Gustave Aimard, des récits de chasse, chasse à l'ours, chasse au faucon, chasse à l'éléphant, etc. Enfin, devant le guéridon, un homme était assis, de quarante à quarante-cinq ans, petit, gros, trapu, rougeaud, en bras de chemise, avec des caleçons de flanelle, une forte barbe courte et des yeux flamboyants; d'une main il tenait un livre, de l'autre il brandissait une énorme pipe à couvercle de fer, et, tout en lisant je ne sais quel formidable récit de chasseurs de chevelures, il faisait, en avançant sa lèvre inférieure, une moue terrible, qui donnait à sa brave figure de petit rentier tarasconnais ce même caractère de férocité bonasse qui régnait dans toute la maison. Cet homme, c'était Tartarin, Tartarin de Tarascon, l'intrépide, le grand, l'incomparable Tartarin de Tarascon.

(Tartarin de Tarascon, Fasquelle, éditeur.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Nature du morceau : un récit. — L'auteur raconte une visite qu'il fit, il y a quinze ans, à Tartarin de Tarascon. —Récit empreint d'une malicieuse ironie (le montrer par le commentaire de quelques expressions (le héros, — le baobab tenant à l'aise dans un pot de réséda; — le jardin mirifique...); Ce n'est qu'à la fin du récit seulement, que l'auteur nous présente Tartarin; mais ne le connaissons-nous pas déjà ? Dites comment il s'est révélé à nous, à son insu (description du jardin, puis celle du cabinet); Que pensez-vous des qualificatifs employés par l'auteur : l'intrépide, le grand, l'incomparable Tartarin de Tarascon ?

II. — L'analyse du morceau; — les idées secondaires. — Distinguez les différentes parties du récit : a) Le cadre, — la maison, dont la façade seulement est décrite, — le jardin, — le cabinet de travail, — le guéridon; b) Le « héros «; Quel effet produisent sur vous les deux interminables énumérations des arbres du jardin et des armes tapissant le cabinet ? Que pensez-vous du baobab du jardin de Tartarin, — des écriteaux placés à côté des armes ? Pourquoi les livres déposés sur le guéridon ne sont-ils que des récits de voyages et de chasse ?

III. — Le style ; les expressions. — Quelles vous paraissent être les principales qualités du style d'Alphonse Daudet, dans ce morceau ? (la clarté, — la concision (phrases elliptiques : Pas un arbre du pays, pas une fleur de France...), — la fine ironie (indiquez à l'appui quelques expressions).  Expliquez les expressions suivantes : coquin de sort! — des plantes exotiques, — un jardin mirifique, — un petit écriteau bonhomme, — une moue terrible — férocité bonasse.

IV. — La grammaire. — Composition des mots : inoubliable, incomparable; Nombre des propositions contenues dans le sixième alinéa (Pensez quelle émotion...); nature de chacune d'elles; Nature et fonction de chacun des mots suivants : Pas un arbre du pays.

Rédaction. — Quels vous paraissent être, d'après le récit d'Alphonse Daudet, les principaux traits du caractère de Tartarin de Tarascon ?

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