Sur la pensée de la Mort. Mme de Sévigné.
Publié le 12/07/2011
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A Paris, mercredi 16 mars 1672.
... Vous me demandez, ma chère enfant, si j'aime toujours bien la vie. Je vous avoue que j'y trouve des chagrins cuisants; mais je suis encore plus dégoûtée de la mort. Je me trouve si malheureuse d'avoir à finir tout ceci par elle, que si je pouvais retourner en arrière, je ne demanderais pas mieux. Je me trouve dans un engagement qui m'embarrasse: je suis embarquée dans la vie sans mon consentement; il faut que j'en sorte, cela m'assomme; et comment en sortirai-je? par où? par quelle porte? quand sera-ce? en quelle disposition? Souffrirai-je mille et mille douleurs qui me feront mourir désespérée? Aurai-je un transport au cerveau? Mourrai-je d'un accident? Comment serai-je avec Dieu? qu'aurai-je à lui présenter? La crainte, la nécessité feront- elles mon retour vers lui? N'aurai-je aucun autre sentiment que celui de la peur? Que puis-je espérer? Suis-je digne du paradis? suis-je digne de l'enfer? Quelle alternative! quel embarras! Rien n'est si fou que de mettre son salut dans l'incertitude, mais rien n'est si naturel; et la sotte vie que je mène est la chose du monde la plus aisée à comprendre. Je m'abîme dans ces pensées, et je trouve la mort si terrible, que je hais plus la vie parce qu'elle m'y mène que par les épines qui s'y rencontrent. Vous me direz que je veux vivre éternellement. Point du tout; mais si on m'avait demandé mon avis, j'aurais bien aimé à mourir entre les bras de ma nourrice: cela m'aurait ôté bien des ennuis, et m'aurait donné le ciel bien sûrement et bien aisément.
L'ensemble. — Dans cette lettre, Mme de Sévigné, qu'on accuse parfois d'être frivole, révèle son âme forte et profonde. Les idées les plus élevées, les plus hautes préoccupations habitent sa pensée. On dirait presque, là, quelque page digne de Bossuet. Non seulement nous écoutons l'écho d'une grande intelligence et d'un noble cœur de femme, mais nous y retrouvons le cri, la hantise constante de l'humanité en général. Mme de Sévigné est, comme tout son siècle, moraliste et pessimiste, parce que, comme lui, elle sait penser et elle sait voir ce qu'il y a au fond de la vie humaine.
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