Souvenir de la nuit du quatre
Publié le 18/09/2011
Extrait du document
«
Le paysage changeur
De deux choses lune l'autre c'est le soleil les pauvres les travailleurs ne voient pas ces choses
leur soleil c'est la soif la poussière la sueur Je goudron et s'ils travaillent en plein soleil Je travail leur cache Je soleil
leur soleil c'est l'insolation et Je clair de lune pour les travailleurs de nuit
c'est la bronchite la pharmacie les emmerdements les
ennuis
et quand Je travailleur s'endort il est bercé par l'insomnie et quand son réveil le réveille il trouve chaque jour devant son lit la sale gueule du travail
qui ricane qui se fout de lui
alors il se lève
alors il se lave
et puis Il sort à moitié éveillé à moitié endormi
il marche dans la rue à moitié éveillée à moitié endormie et Il prend J'autobus Je service ouvrier et J'autobus Je chauffeur Je receveur et tous les travailleurs à moitié réveillés à moitié endormis
traversent le paysage figé entre Je petit jour et la nuit
le paysage de briques de fenêtres à courants d'air de corridors
le paysage éclipse
le paysage prison
le paysage sans air sans lumière sans rires
ni saisons
le paysage glacé des cités ouvrières glacées en plein été comme au cœur de J'hiver
le paysage éteint
Je paysage sans rien
le paysage exploité affamé dévoré escamoté
le paysage charbon
le paysage poussière
le paysage cambouis
le paysage mâchefer
le paysage châtré gommé effacé rélégué
et rejeté dans J'ombre
dans la grande ombre
l'ombre
du capital
l 'ombre du profit.
Sur ce paysage parfo1s un astre luit un seul
le faux soleil
le soleil blême
•*•
le soleil couché le soleil chien du capital le vieux soleil de cuivre
le vieux soleil clairon
le vieux soleil ciboire le vieux soleil fistule le dégoûtant soleil du roi soleil le soleil d'Austerlitz le soleil de Verdun
le soleil fétiche
le soleil tricolore
et incolore
l'astre des désastres
l'astre de la vacherie
l'astre de la tuerie l'astre de la connerie
le soleil mort.
Et
Je paysage à moitié construit à moitié démoli à moitié réveillé à moitié endonni
s'effondre dans la guerre Je malheur et J'oubli
et puis il recommence une fols la guerre finie
il
se rebâtit lui-même dans l'ombre et le capital sourit
mais un jour le vrai soleil viendra en vrai soleil qui réveillera le paysage trop mou et les travailleurs sortiront ils verront alors Je soleil
le vrai le dur Je rouge soleil de la révolution et ils se compteront et ils se comprendront et ils verront leur nombre et ils regarderont J'ombre
et ils riront
et ils s'avanceront une dernière fols Je capital voudra les empêcher de rire
ils le tueront
et ils l'enterreront dans la terre sous Je paysage de misère
et le paysage de misère de profits de poussières et de charbon
ils le brOieront
ils le raseront
et ils en fabriqueront un autre en chantant un paysage tout nouveau tout beau un vrai paysage tout vivant
ils feront beaucoup de choses avec le soleil et même ils changeront l'hiver en printemps.
Paroles p.
87.
Il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les
allumettes
Parce que Messieurs quand on Je laisse seul Le monde mental Messssieurs
N'est pas du tout brlllant Et sitôt qu'il est seul Travaille arbitrairement
S'érigeant pour sol-même
Et soi-disant généreusement en J'honneur des travailleurs Un auto-monument
Répétons-le Messssssleurs
Quand on le laisse seul Le monde mental
Ment
Monumentalement
J.
PREVERT.
-Paroles p.
87 et 212 -Livre de poche..
»
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