ses veines plus calme et plus rafraîchi qu'il n'avait jamais encore été depuis le moment du duel ; un jour d'absence de La Mole eût rendu la connaissance à Coconnas, huit jours l'eussent guéri peut-être ; alheureusement La Mole rentra au bout de deux heures.
Publié le 04/11/2013
Extrait du document
«
–
Bon ! bon !ditLaMole ensouriant àson tour ; encecas jeserai làpour luienrafraîchir lamémoire.
– Allons, soit !dansdeux heures vousaurez lapotion.
– Au revoir.
– Vous dites ?
– Au revoir.
L’homme sourit.
– Moi, reprit-il, j’ail’habitude dedire toujours adieu.Adieudonc,monsieur delaMole ; dansdeux heures
vous aurez votrepotion.
Vousentendez, elledoit êtreprise àminuit… entrois doses… d’heure enheure.
Sur quoi ilsourit, etLa Mole restaseulavec Coconnas.
Coconnas avaitentendu toutecetteconversation, maisn’yavait riencompris : unvain bruit deparoles, un
vain cliquetis demots étaient arrivésjusqu’à lui.Detout cetentretien, iln’avait retenuquelemot : Minuit.
Il continua doncdesuivre deson regard ardent LaMole, quicontinua, lui,dedemeurer danslachambre,
rêvant etse promenant.
Le docteur inconnu tintparole, etàl’heure diteenvoya lapotion, queLaMole mitsurunpetit réchaud
d’argent.
Puis,cetteprécaution prise,ilse coucha.
Cette action deLa Mole donna unpeu derepos àCoconnas ; ilessaya defermer lesyeux àson tour, maisson
assoupissement fiévreuxn’étaitqu’une suitedesaveille délirante.
Lemême fantôme quilepoursuivait lejour
venait lerelancer lanuit ; àtravers sespaupières arides,ilcontinuait devoir LaMole toujours menaçant, puis
une voix répétait àson oreille : Minuit ! minuit !minuit !
Tout àcoup letimbre vibrant del’horloge s’éveilladanslanuit etfrappa douzefois.Coconnas rouvritses
yeux enflammés ; lesouffle ardentdesapoitrine dévorait seslèvres arides ; unesoifinextinguible consumaitson
gosier embrasé ; lapetite lampe denuit brûlait comme d’habitude, etàsa terne lueur faisait danser mille
fantômes auxregards vacillants deCoconnas.
Il vit alors, chose effrayante ! LaMole descendre deson lit ;puis, après avoirfaituntour oudeux danssa
chambre, commefaitl’épervier devantl’oiseau qu’ilfascine, s’avancer jusqu’àluienlui montrant lepoing.
Coconnas étenditlamain verssonpoignard, lesaisit parlemanche, ets’apprêta àéventrer sonennemi.
La Mole approchait toujours.
Coconnas murmurait :
– Ah ! c’est toi,toiencore, toitoujours ! Viens.Ah !tume menaces, tume montres lepoing, tusouris ! viens,
viens ! Ah !tucontinues d’approcher toutdoucement, pasàpas ; viens, viens,quejete massacre !
Et en effet, joignant legeste àcette sourde menace, aumoment oùLaMole sepenchait verslui,Coconnas fit
jaillir dedessous sesdraps l’éclair d’unelame ; maisl’effort quelePiémontais fiten sesoulevant brisases
forces : lebras étendu versLaMole s’arrêta àmoitié chemin, lepoignard échappaàsa main débile, etle
moribond retombasurson oreiller.
– Allons, allons,murmura LaMole ensoulevant doucement satête eten approchant unetasse deses lèvres,
buvez cela,mon pauvre camarade, carvous brûlez.
C’était eneffet unetasse queLaMole présentait àCoconnas, etque celui-ci avaitprise pourcepoing
menaçant donts’était effarouché lecerveau videdublessé.
Mais, aucontact veloutédelaliqueur bienfaisante humectantseslèvres etrafraîchissant sapoitrine,
Coconnas repritsaraison ouplutôt soninstinct : ilsentit serépandre enlui un bien-être commejamaisiln’en
avait éprouvé ; ilouvrit unœil intelligent surLaMole, quiletenait entresesbras etlui souriait, et,decet œil
contracté naguèreparune fureur sombre, unepetite larme imperceptible roulasursajoue ardente, quilabut
avidement.
–Mordi ! murmura Coconnas enselaissant allersurson traversin, sij’en réchappe, monsieurdelaMole,
vous serez monami.
– Et vous enréchapperez, moncamarade, ditLaMole, sivous voulez boiretroistasses comme cellequeje
viens devous donner, etne plus faire devilains rêves.
Une heure après, LaMole, constitué engarde-malade etobéissant ponctuellement auxordonnances du
docteur inconnu, seleva uneseconde fois,versa uneseconde portiondelaliqueur dansunetasse, etporta cette
tasse àCoconnas.
MaiscettefoislePiémontais, aulieu del’attendre lepoignard àla main, lereçut lesbras
ouverts, etavala sonbreuvage avecdélices, puispour lapremière foiss’endormit avectranquillité.
La troisième tasseeutuneffet nonmoins merveilleux.
Lapoitrine dumalade commença delaisser passerun
souffle régulier, quoiquehaletant encore.Sesmembres raidissedétendirent, unedouce moiteur s’épandit àla
surface delapeau brûlante ; etlorsque lelendemain maîtreAmbroise Parévintvisiter leblessé, ilsourit avec
satisfaction endisant :
– À partir decemoment jeréponds deM. de Coconnas, etce ne sera pasune desmoins bellescuresque
j’aurai faites.
Il résulta decette scène moitié dramatique, moitiéburlesque, maisquinemanquait pasaufond d’une
certaine poésieattendrissante, euégard auxmœurs farouches deCoconnas, quel’amitié desdeux
gentilshommes, commencéeàl’auberge delaBelle-Étoile, etviolemment interrompue parlesévénements dela
nuit delaSaint-Barthélemy, repritdèslors avec unenouvelle vigueur,etdépassa bientôtcellesd’Oreste etde
Pylade decinq coups d’épée etd’un coup depistolet répartis surleurs deuxcorps..
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