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Satire X. Boileau

Publié le 12/07/2011

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boileau

Il l'épouse; et bientôt son hôtesse nouvelle Le prêchant, lui fit voir qu'il était, au prix d'elle Un vrai dissipateur, un parfait débauché Lui-même le sentit, reconnut son péché, Se confessa prodigue, et plein de repentance Offrit sur ses avis de régler sa dépense. Aussitôt de chez eux tout rôti disparut; Le pain bis, renfermé, d'une moitié décrut; Les deux chevaux, la mule, au marché s'envolèrent, Deux grands laquais, à jeun, sur le soir s'en allèrent De ces coquins déjà, l'on se trouvait lassé, Et pour n'en plus revoir le reste fut chassé. Deux servantes déjà, largement souffletées, Avaient à coups de pied descendu les montées Et, se voyant enfin hors de ce triste lieu, Dans la rue en avaient rendu grâces à Dieu. Un vieux valet restait, seul chéri de son maître Que toujours il servit, et qu'il avait vu naître, Et qui de quelque somme amassée au bon temps Vivait encor chez eux, partie à ses dépens. Sa vue embarrassait : il fallut s'en défaire Il fut de la maison chassé comme un corsaire Voilà nos deux époux, sans valets, sans enfants, Tout seuls dans leur logis libres et triomphants. Alors, on ne mit plus de borne à la lésine : On condamna la cave, on ferma la cuisine; Pour ne s'en point servir aux plus rigoureux mois Dans le fond d'un grenier on séquestra le bois. L'un et l'autre dès lors vécut à l'aventure Des présents qu'à l'abri de la magistrature Le mari quelquefois des plaideurs extorquait, Ou de ce que la femme aux voisins escroquait. Mais, pour bien mettre ici leur crasse en tout son lustre, Il faut voir du logis sortir ce couple illustre : Il faut voir le mari, tout poudreux, tout souillé, Couvert d'un vieux chapeau de cordon dépouillé Et de sa robe, en vain de pièces rajeunie, A pied dans les ruisseaux traînant l'ignominie. Mais qui pourrait compter le nombre de haillons De pièces, de lambeaux, de sales guenillons, De chiffons ramassés dans la plus noire ordure Dont la femme, aux bons jours, composait sa parure? Décrirai-je ses bas en trente endroits percés. Ses souliers grimaçants, vingt fois rapetassés, Ses coiffes d'où pendaient au bout d'une ficelle Un vieux masque pelé presque aussi hideux qu'elle? Peindrai-je son jupon bigarré de latin, Qu'ensemble composaient trois thèses de satin. Présent qu'en un procès sur certain privilège Firent à son mari les régents d'un collège, Et qui, sur cette jupe, à maint rieur encor Derrière elle faisait lire Argumentabor? Mais peut-être j'invente une fable frivole. Démens donc tout Paris, qui prenant la parole, Sur ce sujet encor de bons témoins pourvu, Tout prêt à le prouver, te dira: Je l'ai vu; Vingt ans j'ai vu ce couple, uni d'un même vice, A tous mes habitants montrer que l'avarice Peut faire dans les biens trouver la pauvreté, Et nous réduire à pis que la mendicité. Des voleurs, qui chez eux pleins d'espérance entrèrent, De cette triste vie enfin les délivrèrent : Digne et funeste fruit du nœud le plus affreux Dont l'hymen ait jamais uni deux malheureux!

L'ensemble. — Boileau n'a pas été qu'un théoricien, qu'un critique littéraire avisé et judicieux; il fait preuve, dans ses Satires, et particulièrement dans celle-ci, d'un réalisme savoureux et pittoresque. Voulant, dans la Satire contre les femmes, stigmatiser le vice de la femme avare, il peint un couple que Paris a connu : celui du lieutenant criminel Tardieu et de sa femme. C'est celle-ci qui l'a conduit à la plus horrible lésine, et le tableau de ce ménage déshonoré par un vice infâme a quelque chose de hideux, non seulement au point de vue physique, mais aussi au point de vue moral. Le portrait de l'avare est tracé de main de maître et demeure un des meilleurs de notre littérature, car un tel vice chez la femme, qui doit, par nature, réaliser dans son intérieur et dans sa personne des préoccupations de soin, d'élégance et de goût, se présente d'une façon particulièrement odieuse, et a des conséquences très graves. Boileau se révèle donc là moraliste de valeur : il montre combien les défauts d'une femme peuvent désorganiser un foyer, ruiner socialement une famille. Elle fait le malheur de son mari et nuit à la collectivité en n'accomplissant pas ses devoirs d'état, en trahissant sa mission personnelle et sociale. Il faut remarquer, dans cette peinture, le style très coloré de Boileau, ses termes heureux et puissants, la précision et la hardiesse de sa description. Comparez ce portrait avec L'Avare, de Molière; L'Avare qui a perdu son trésor, de La Fontaine, et le Père Grandet, de Balzac. 

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