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Satire VI. Boileau.

Publié le 12/07/2011

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boileau

Qui frappe l'air, bon Dieu! de ces lugubres cris? Est-ce donc pour veiller qu'on se couche à Paris? Et quel fâcheux démon, durant les nuits entières, Rassemble ici les chats de toutes les gouttières? J'ai beau sauter du lit, plein de trouble et d'effroi, Je pense qu'avec eux tout l'enfer est chez moi: L'un miaule en grondant comme un tigre en furie; L'autre roule sa voix comme un enfant qui crie. Ce n'est pas tout encor: les souris et les rats Semblent, pour m'éveiller, s'entendre avec les chats Plus importuns pour moi, durant la nuit obscure, Que jamais en plein jour ne fut l'abbé de Pure. Tout conspire à la fois à troubler mon repos, Et je me plains ici du moindre de mes maux : Car à peine les coqs, commençant leur ramage, Auront de cris aigus frappé le voisinage, Qu'un affreux serrurier, laborieux Vulcain, Qu'éveillera bientôt l'ardente soif du gain, Avec un fer maudit, qu'à grand bruit il appprête, De cent coups de marteau me va fendre la tête. Vingt carrosses bientôt, arrivant à la file, Y sont, en moins de rien, suivis de plus de mille Et, pour surcroît de maux, un sort malencontreux Conduit en cet endroit un grand troupeau de bœufs; Chacun prétend passer: l'un mugit, l'autre jure. Des mulets en sonnant augmentent le murmure. Aussitôt cent chevaux dans la foule appelés De l'embarras qui croît ferment les défilés, Et partout, des passants enchaînant les brigades, Au milieu de la paix font voir les barricades. On n'entend que des cris poussés confusément: Dieu, pour s'y faire ouïr, tonnerait vainement. Moi donc, qui dois souvent en certain lieu me rendre, Le jour, déjà baissant, et qui suis las d'attendre, Ne sachant plus tantôt à quel saint me vouer, Je me mets au hasard de me faire rouer. Je saute vingt ruisseaux, j'esquive, je me pousse; Guénaud sur son cheval en passant m'éclabousse, Et, n'osant plus paraître en l'état où je suis, Sans songer où je vais, je me sauve où je puis. Tandis que dans un coin en grondant je m'essuie, Souvent, pour m'achever, il survient une pluie: On dirait que le ciel, qui se fond tout en eau, Veuille inonder ces lieux d'un déluge nouveau. Pour traverser la rue, au milieu de l'orage, Un ais sur deux pavés forme un étroit passage ; Le plus hardi laquais n'y marche qu'en tremblant: Il faut pourtant passer sur ce pont chancelant; Et les nombreux torrents qui tombent des gouttières Grossissant les ruisseaux, en ont fait des rivières. J'y passe en trébuchant; mais, malgré l'embarras, La frayeur de la nuit précipite mes pas. Car, sitôt que du soir les ombres pacifiques D'un double cadenas font fermer les boutiques; Que, retiré chez lui, le paisible marchand Va revoir ses billets et compter son argent ; Que dans le Marché-Neuf tout est calme et tranquille, Les voleurs à l'instant s'emparent de la ville. Le bois le plus funeste et le moins fréquenté Est, au prix de Paris, un lieu de sûreté.

L'ensemble. — Si Boileau, dans ses Satires, imite souvent Horace, il sait aussi être personnel et nous donner des tableaux vécus. Il manque parfois de mesure et de goût dans ses descriptions, mais nous devons lui reconnaître d'indéniables qualités de couleur, de mouvement et de vérité, puisque aujourd'hui encore les embarras de Paris seraient susceptibles de nous fournir de véridiques tableaux ! Boileau, vieux Parisien, connaît bien sa ville et nous en trace une amusante esquisse. Si certains aspects ont vieilli, comme le passage d'un grand troupeau de bœufs, ou nous semblent un peu exagérés, comme la prise de la ville par les voleurs de nuit, il y en a d'autres qui nous paraissent justes encore de nos jours, telle l'accumulation rapide des véhicules. Cette satire est importante dans l'histoire de l'évolution de Paris, elle évoque les traits de la capitale au XVIIe siècle et nous rappelle à quel point Boileau, enfant de Paris, aimait sa ville et savait l'observer. 

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