ROMÉO ET JULIETTE. W. SHAKESPEARE. Roméo et Juliette, Acte II
Publié le 11/08/2011
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Juliette - Qui es-tu, toi, qui, ainsi masqué par la nuit, as forcé mon secret? roméo - Je ne sais comment je proférerai mon nom et dirai qui je suis; mon nom m'est odieux à moi-même puisqu'il est ton ennemi. Fût-il écrit sur ma chair, je me l'arracherais. Juliette - Mes oreilles n'ont pas goûté cent paroles exhalées par tes lèvres, et cependant j'en reconnais le timbre. N'es-tu pas Roméo, un Montaigu? roméo - Ni l'un ni l'autre, si l'un ou l'autre te déplaît. Juliette - Comment et pourquoi es-tu venu ici, dis-moi? Les murs du jardin sont très hauts, difficiles à franchir; et pour un Montaigu cet endroit est mortel si les miens t'y découvrent. roméo - Il n'est enceinte si haute que ne franchisse l'amour. Et ce que peut l'amour, l'amour ose le tenter. C'est pourquoi les tiens ne furent pas un obstacle. Juliette - S'ils te voient, ils te tueront. roméo - Hélas! Il y a dans tes yeux plus de péril que dans vingt de leurs dagues. Regarde-moi avec douceur et je suis armé contre leur colère. Juliette - Je ne voudrais pour rien au monde qu'ils te rencontrent ici. roméo - La nuit me cachera. Et qu'ils me trouvent après tout, pourvu que tu m'aimes, toi! Leurs haines alors marqueront à ma vie un meilleur terme qu'une mort tardive dans l'attente de l'amour. Juliette - Qui t'a guidé jusqu'ici? roméo - L'amour qui d'abord m'inspira, puis me porta conseil; je lui prêtai mes yeux. Je suis mauvais pilote, mais eusses-tu habité des rivages lointains, j'aurais tenté l'aventure pour te rejoindre. Juliette - Tu le sais, le masque de la nuit couvre mon visage; sinon ma rougeur virginale colorerait mes joues à cause des paroles que tu as surprises. Je voudrais sacrifier aux règles, je voudrais, oh! je voudrais renier les paroles que j'ai dites! Mais adieu, convenances! M'aimes-tu? Je sais, tu vas dire oui, et moi, je te croirai; pourtant même en le jurant tu pourrais me tromper. Oh! Roméo, s'il est vrai que tu m'aimes, déclare-le loyalement! ou si tu crois m'avoir conquise trop vite, je froncerai les sourcils et je serai revêche, je dirai non; et tu me feras la cour. Sinon, oh! pour tout au monde pas cela! En vérité, cher Montaigu, je suis trop tendre et tu pourrais juger ma conduite bien légère : mais je serai plus fidèle, crois-moi, que toutes celles qui ont plus d'habileté à feindre la froideur. J'aurais dû, je l'avoue, être plus réservée, mais tu as surpris, à l'heure où je ne me méfiais pas, la voix de mon amour loyal; ainsi, pardonne, n'appelle pas légèreté cet abandon offert aux ténèbres. roméo - Je te jure par la lune... Juliette - Oh! Ne jure point par la lune, cette inconstante qui change de mois en mois dans son orbite, sinon ton amour ne sera pas moins changeant. roméo - Sur quoi jurerai-je? Juliette - Oh! Ne jure pas! ou si tu veux jurer, que ce soit sur toi-même qui es le dieu de mon culte idolâtre, et je te croirai. roméo - Si l'amour précieux de mon cœur... Juliette - Non, ne jure pas; quoique tu sois toute ma joie, je n'éprouve aucune joie, cette nuit, à pareil engagement; il est trop prompt, irréfléchi, inattendu, trop semblable à l'éclair qui est passé avant qu'on ait pu dire : il luit. Que ce bourgeon d'amour, mon tendre cœur, devienne, au souffle mûrissant de l'été, une jolie fleur quand bientôt nous nous reverrons! Bonne nuit; bonne nuit. Que ton cœur jouisse d'une paix tout aussi douce que dans cette poitrine le mien! roméo - Oh! Veux-tu me laisser si peu satisfait? Juliette - Quelle satisfaction pourrais-tu espérer, cette nuit? roméo - L'échange de nos vœux d'amour. Juliette - Je t'ai offert les miens avant que tu l'aies demandé. Je voudrais pourtant te les devoir encore. roméo - Me les reprendre alors, pourquoi, mon amour?
Juliette - Pour pouvoir sans détours te les donner encore. Voici pourtant que je désire une chose que je possède; car mon engagement est aussi libre, mon amour aussi profond que la mer. Plus je te donne et plus je possède, car ils sont infinis tous deux. J'entends du bruit. Cher amour, adieu! (La nourrice appelle.) Voilà nourrice! Tendre Montaigu, sois fidèle! Reste un instant, je vais revenir. (Elle sort.) roméo - Bénie, bénie soit cette nuit! J'en suis à redouter que tout ne soit qu'un songe; trop exquis, trop flatteur pour être d'autre essence. (Rentre Juliette, à la fenêtre.) Juliette - Trois mots, cher Roméo, et puis vraiment, bonne nuit. Si ton inclination est honnête, ton but le mariage, fais-le-moi savoir d'un mot demain par l'homme que j'aurai moyen d'envoyer. Dis-lui où et quand cette union sera bénie et je te confierai mon destin et te suivrai au bout de l'univers.
W. SHAKESPEARE. Roméo et Juliette, Acte II.
Trad. paul arnold. Ed. Albin Michel, 1960
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