Roger Caillois, Babel
Publié le 26/04/2011
Extrait du document
Selon votre préférence, résumez le texte suivant en respectant son mouvement, ou bien analysez-le, en distinguant et ordonnant les thèmes et en vous attachant à rendre compte de leurs rapports. Après ce résumé ou cette analyse, vous dégagerez du texte un problème auquel vous attachez un intérêt particulier : vous en préciserez les données, vous les discuterez s'il y a lieu et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question. Je persiste à demander à l'écrivain de se souvenir que l'homme possède une intelligence et une volonté, par où il s'est élevé où il est. Il me paraît d'ailleurs que la morale la plus exigeante ne saurait lui demander davantage. Il est sans doute excellent de ne pas oublier ce que l'homme tient de la nature, qu'il a un estomac et un sexe, qu'il est brutal, égoïste et avide, qu'il aime jouir, qu'il écrase le faible et qu'il fuit volontiers devant le fort. Mais tout cela n'est pas merveilleux et ne lui est même pas particulier. Je vois les mêmes aptitudes aux animaux. Bien en elles ne m'explique que l'homme ait aménagé à son profit ce monde et cette nature dont il est issu. Il n'y serait pas parvenu, s'il ne s'était pas montré continûment capable d'effort et de sacrifice. Toute l'histoire plaide ici sa cause : ses vertus ne sont pas d'un jour, elles ne sont ni d'exception ni de hasard. Elles lui appartiennent autant que sa bassesse et son obscénité même. Et davantage encore : car il les a faites... Peiner contre un obstacle ou récuser une facilité, voici véritablement, avant qu'elle ne se ramifie en préceptes divers, spéciaux à chaque école ou à chaque conjoncture, la part originale et l'office premier de la moralité dans la nature humaine. Ce n'est pas maigre, d'autant que de si humbles racines naissent les fruits les plus rares comme la sainteté et l'héroïsme. Je n'hésite pas, pour ma part, à taxer de trahison l'écrivain où je distingue le souci d'exploiter exclusivement les faiblesses de l'homme. De celui-ci, il expose insidieusement les démissions et semble taire par principe qu'il sait être parfois noble et généreux. Or, ce faisant, pour persuadé qu'il soit d'augmenter la force de son œuvre, il la diminue plutôt. Je n'imagine pas, en effet, l'avantage que poursuit la littérature en mutilant de la sorte l'image qu'elle propose de son modèle. Elle s'appauvrit dans la mesure même où elle le déprécie. Je soupçonne qu'elle ne plaît pas alors pour la vérité ou la beauté de ses portraits, mais pour bafouer toute fierté et pour amoindrir toute grandeur. Et dès qu'elle réserve une large part à l'obscénité, ma suspicion s'accroît. Les ouvrages licencieux seraient-ils les mieux écrits du monde, on doute que les lecteurs les apprécient pour la grâce de leur style. C'est plus bas qu'on les croit émus, et on devine que cette ardeur en eux gêne l'autre enthousiasme. Si tels écrivains, pourtant, élisent pour objet de leur étude la condition animale de l'homme et ses appétits les plus vils, je veux dire les plus vulgaires, leur défendra-t-on de l'entreprendre? Ne sont-ils pas libres? Ne faut-il tout éclairer? Certes, et par leur choix ils intéressent plus vite et plus sûrement le public. Mais c'est aux dépens de leur art. Leur parti pris les borne et nuit à leur génie. Il déforme leur vision et bientôt la fausse. Il n'est pas indifférent de s'attacher à décrire la grandeur ou l'immondice. Il ne manque pas de profit à préférer la première. C'est question de richesse et aussi de hiérarchie : la grandeur ne flotte pas dans on ne sait quel mystérieux et sublime empyrée. Elle a sur le sol ses assises, et pour s'élever plus haut, elle plonge nécessairement ses racines au plus bas. Elle implique ce qu'elle nie. Elle s'en écarte sans cesser d'y puiser sa vigueur. Ainsi en ont jugé tous ceux qui, ayant atteint quelque cime, ont laissé entrevoir le chemin de leur ascension. La grandeur garde en elle les misères dont elle triomphe et qui sont si étroitement associées à la condition humaine qu'on essaierait en vain de l'en délivrer tout à fait. Il n'est donc pas à craindre qu'on les oublie en décrivant les sommets où elle réussit parfois à se hausser. Mais la bassesse, elle, ne contient qu'elle-même. Voici sa tare décisive. L'artiste, qui imprudemment en fait la matière de son étude, restreint son registre et se condamne à une certaine indigence. Quelque talent qu'il y dépense, son oeuvre ne peut prétendre à l'ampleur des grandes œuvres; dans le meilleur cas, son talent n'est plus que celui d'un virtuose que seuls des amateurs admirent. Roger Caillois, Babel.
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