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Raymond Queneau, 1938 (texte)

Publié le 26/04/2011

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Il est un principe qui sévit à l'heure actuelle et qu. ne saurait s'appliquer au domaine artistique en général : c'est le principe de la supériorité de la recherche sur la découverte. En art cela conduit à préférer les carnets à l'œuvre faite, les esquisses aux tableaux et à penser que Pascal a bien fait de mourir avant d'achever son Apologie.    Il est bien sûr que chercher est plus facile que trouver. Montrez-nous donc ce que vous faites. Non, non je cherche; si je trouvais, je m'endormirais, etc. On connaît la rengaine. Encore un principe de stérilisation, d'impuissance — mais illégitime dans son extension, car l'art consiste essentiellement à aboutir, à présenter une œuvre et qu'elle soit reconnue. Ne présenter que des recherches, des expériences, c'est se supprimer soi-même, se faire tout petit devant le savant qui accorde un sourire méprisant, c'est justifier l'opinion déplorable qu'a de la poésie l'ensemble de la société. L'art a une fin si, comme elle le prétend, la science n'en a pas.    Une autre bien fausse idée qui a également cours actuellement, c'est l'équivalence que l'on établit entre inspiration, exploration du subconscient et libération, entre hasard, automatisme et liberté. Or, cette inspiration qui consiste à obéir aveuglément à toute impulsion est en réalité un esclavage. Le classique qui écrit sa tragédie en observant un certain nombre de règles qu'il connaît est plus libre que le poète qui écrit ce qui lui passe par la tête et qui est l'esclave d'autres règles qu'il ignore.    L'art, dit Graham Carey, consiste à bien faire les choses qui valent d'être faites. Sur le premier point, l'art pour l'art a donc raison; mais sur le second il faut maintenir la non-gratuité de l'art. Simplement bien faire, c'est réduire l'art au jeu, le roman à la partie d'échecs, le poème au puzzle. Il ne suffit pas de dire, ni de bien dire, mais il faut que cela vaille d'être dit. Mais qu'est-ce qui vaut d'être dit? La réponse ne peut être évitée : ce qui est utile.    L'art, la poésie, la littérature est ce qui exprime les réalités naturelles (cosmiques, universelles) et les réalités sociales (anthropologiques, humaines) et ce qui transforme les réalités naturelles et les réalités sociales. C'est ce qui occupe tout le champ de l'affectivité, de la connaissance à l'action, prend ses racines dans l'une et s'épanouit dans l'autre. C'est ce qui manifeste l'existence et la fait devenir, la prolonge et la transmet. Ce qui est partiel ne vaut d'être dit que dans la mesure où y frémit un germe d'universalité.    L'art n'a pas à rivaliser avec la science : il a mieux à faire. L'art n'a pas à se recroqueviller sur lui-même : il n'a pas de limites et participe à toute activité. Il n'a pas à faire d'expériences : il doit savoir avant d'œuvrer. Il n'a pas à être partisan : il ne saurait être partiel.    Mais il doit bien faire ce qu'il fait. Le littérateur doit connaître son métier et, comme tout producteur, collabore à la vie sociale. Il n'y a jamais contradiction entre les deux choses; car si la société ne convient pas à l'artiste, il n'a qu'à la transformer — c'est très simple. Transformer, c'est encore collaborer. Mais ce serait trop simple aussi de croire que du haut d'une tour d'ivoire on ne se fait jamais entendre.    Raymond Queneau, 1938.    Dans une première partie, vous ferez, suivant votre préférence, soit un résumé, soit une analyse de ce texte.    Dans une deuxième partie, vous choisirez dans ce même texte une idée qui vous paraîtra particulièrement intéressante, vous la formulerez nettement, puis vous la commenterez et la discuterez s'il y a lieu.

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