Qu’est-ce que la philosophie ?
Publié le 10/04/2014
Extrait du document

Qu’est-ce que la philosophie ?
Le doute philosophique peut-il mettre en cause la valeur de la raison elle-même ?
(Philosophie ; l’homme face à son destin)
Peut-on penser sans préjugés ? (Philosophie ; appel aux conceptions communes dans
pratiquement tous les chapitres)
A quoi sert la philosophie ? (idem)
La philosophie nous détache-t-elle du monde ?
La philosophie recherche-t-elle la vérité ou le sens ? (Philosophie ; l’homme face à son destin)
Il paraît particulièrement nécessaire de faire de nouveau de la philosophie une affaire
sérieuse. Pour toutes les sciences, les arts, les talents, les techniques, prévaut la conviction
qu’on ne les possède pas sans se donner la peine et sans faire l’effort de les apprendre et de les
pratiquer. Si quiconque ayant des yeux et des doigts, à qui on fournit du cuir et un instrument,
n’est pas pour cela en mesure de faire des souliers, de nos jours domine le préjugé selon
lequel chacun sait simultanément philosopher et apprécier la philosophie puisqu’il possède
l’unité de mesure nécessaire dans sa raison naturelle – comme si chacun ne possédait pas
aussi dans son pied la mesure d’un soulier (…)
Puisque le sens commun fait appel au sentiment, son oracle intérieur, il rompt tout contact
avec ce qui n’est pas de son avis, (…), il foule aux pieds la racine de l’humanité, car la nature
de l’humanité c’est de tendre à l’accord mutuel, son existence est seulement dans la
communauté instituée des consciences. Ce qui est antihumain, ce qui est seulement animal,
c’est de s’enfermer dans le sentiment et de ne pouvoir se communiquer que par le sentiment.
Hegel
(Philosophie ; nature/culture ; l’homme face à son destin)
Le philosophe ignore les lois qui régissent la cité ; il ignore la manière dont il faut parler
aux autres dans les affaires privées et publiques ; il ne sait rien des plaisirs ni des passions, et,
pour tout dire d’un mot, sa connaissance de l’homme est nulle. Aussi, quand il se trouve mêlé
à quelque affaire publique ou privée, il fait rire de lui…
373
Mais le mieux, suivant moi, est de n’être étranger ni aux une ni aux autres. La philosophie
est bonne à connaître dans la mesure où elle sert à l’éducation, et il n’y a pas de honte, quand
on est jeune, à philosopher. Mais l’homme mûr qui continue à philosopher fait une chose
ridicule, Socrate1, et pour ma part j’éprouve à l’égard de ce gens là le même sentiment qu’à
l’égard d’un homme fait qui bégaie et qui joue comme un enfant. Quand je vois un enfant qui
bégaie et qui joue, c’est de son âge, j’en suis ravi, je trouve cela charmant, tout à fait
convenable à l’enfance d’un homme libre ; tandis que si j’entends un bambin s’exprimer avec
netteté, cela me chagrine, cela blesse mon oreille et me paraît avoir quelque chose de servile.
Un homme fait qui bégaie et qui joue est ridicule ; ce n’est pas un homme, on a envie de le
fouetter. C’est précisément ce que j’éprouve à l’égard des philosophes.
Platon
1 Il s’agit ici d’un propos de Calliclès qui s’adresse à Socrate, porte-parole de Platon.
J’aurais ensuite fait considérer l’utilité de cette philosophie, et montré que, puisqu’elle
s’étend à tout ce que l’esprit humain peut savoir, on doit croire que c’est elle seule qui nous
distingue des plus sauvages et barbares… Et outre cela que, pour chaque homme en particulier,
il n’est pas seulement utile de vivre avec ceux qui s’appliquent à cette étude, mais qu’il est
incomparablement meilleur de s’y appliquer soi-même comme sans doute il vaut beaucoup
mieux se servir de ses propres yeux pour se conduire, et jouir par même moyen de la beauté des
couleurs et de la lumière, que non pas de les avoir fermés et suivre la conduite d’un autre ; mais
ce dernier est encore meilleur que de les tenir fermés et n’avoir que soi pour se conduire. Or
c’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans
philosopher ; et le plaisir de voir toutes choses que notre vie découvre n’est point comparable à
la satisfaction que donne la connaissance de celles qu’on trouve par la philosophie ; et, enfin,
cette étude est plus nécessaire pour régler nos moeurs et nous conduire en cette vie, que n’est
l’usage de nos yeux pour guider nos pas. Les bêtes brutes, qui n’ont que leur corps à conserver,
s’occupent continuellement à chercher de quoi le nourrir ; mais les hommes, dont la principale
partie est l’esprit, devraient employer leurs principaux soins à la recherche de la sagesse, qui en
est la vraie nourriture ; et je m’assure aussi qu’il y en a plusieurs qui n’y manqueraient pas, s’ils
avaient espérance d’y réussir, et qu’ils sussent combien ils en sont capables.
Descartes
La valeur de la philosophie doit en réalité surtout résider dans son caractère incertain
même. Celui qui n’a aucune teinture de philosophie traverse l’existence, prisonnier de
préjugés du sens commun, des croyances habituelles à son temps ou à son pays et de
convictions qui ont grandi en lui sans la coopération ni le consentement de la raison.
Pour un tel individu, le monde tend à devenir défini, fini, évident ; les objets ordinaires ne
font pas naître de questions et les possibilités peu familières sont rejetées avec mépris. Dès
que nous commençons à penser conformément à la philosophie, au contraire, nous voyons …
que même les choses les plus ordinaires de la vie quotidienne posent des problèmes auxquels
on ne trouve que des réponses incomplètes. La philosophie, bien qu’elle ne soit pas en mesure
de nous donner avec certitude la réponse aux doutes qui nous assiègent, peut tout de même
suggérer des possibilités qui élargissent le champ de notre pensée et délivre celle-ci de la
tyrannie de l’habitude. Tout en ébranlant notre certitude concernant la nature de ce qui nous
entoure, elle accroît énormément notre connaissance d’une réalité possible et différente ; elle
fait disparaître le dogmatisme quelque peu arrogant de ceux qui n’ont jamais parcouru la
région du doute libérateur, et elle garde intact notre sentiment d’émerveillement en nous
faisant voir les choses familières sous un aspect nouveau.
B. Russell

«
373 Mais le mieux, suivant moi, est de n’être étranger ni aux une ni aux autres.
La philosophie
est bonne à connaître dans la mesure où elle sert à l’éducation, et il n’y a pas de honte, quand
on est jeune, à philosopher.
Mais l’homme mûr qui continue à philosopher fait une chose
ridicule, Socrate
1, et pour ma part j’éprouve à l’égard de ce gens là le même sentiment qu’à
l’égard d’un homme fait qui bégaie et qui joue comme un enfant.
Quand je vois un enfant qui
bégaie et qui joue, c’est de son âge, j’en suis ravi, je trouve cela charmant, tout à fait
convenable à l’enfance d’un homme libre ; tandis que si j’entends un bambin s’exprimer avec
netteté, cela me chagrine, cela blesse mon oreille et me paraît avoir quelque chose de servile.
Un homme fait qui bégaie et qui joue est ridicule ; ce n’est pas un homme, on a envie de le
fouetter.
C’est précisément ce que j’éprouve à l’égard des philosophes.
Platon
1 Il s’agit ici d’un propos de Calliclès qui s’adresse à Socrate, porte-parole de Platon.
J’aurais ensuite fait considérer l’utilité de cette philosophie, et montré que, puisqu’elle
s’étend à tout ce que l’esprit humain peut savoir, on doit croire que c’est elle seule qui nous
distingue des plus sauvages et barbares… Et outre cela que, pour chaque homme en particulier,
il n’est pas seulement utile de vivre avec ceux qui s’appliquent à cette étude, mais qu’il est
incomparablement meilleur de s’y appliquer soi-même comme sans doute il vaut beaucoup
mieux se servir de ses propres yeux pour se conduire, et jouir par même moyen de la beauté des
couleurs et de la lumière, que non pas de les avoir fermés et suivre la conduite d’un autre ; mais
ce dernier est encore meilleur que de les tenir fermés et n’avoir que soi pour se conduire.
Or
c’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans
philosopher ; et le plaisir de voir toutes choses que notre vie découvre n’est point comparable à
la satisfaction que donne la connaissance de celles qu’on trouve par la philosophie ; et, enfin,
cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire en cette vie, que n’est
l’usage de nos yeux pour guider nos pas.
Les bêtes brutes, qui n’ont que leur corps à conserver,
s’occupent continuellement à chercher de quoi le nourrir ; mais les hommes, dont la principale
partie est l’esprit, devraient employer leurs principaux soins à la recherche de la sagesse, qui en
est la vraie nourriture ; et je m’assure aussi qu’il y en a plusieurs qui n’y manqueraient pas, s’ils
avaient espérance d’y réussir, et qu’ils sussent combien ils en sont capables.
Descartes
La valeur de la philosophie doit en réalité surtout résider dans son caractère incertain
même.
Celui qui n’a aucune teinture de philosophie traverse l’existence, prisonnier de
préjugés du sens commun, des croyances habituelles à son temps ou à son pays et de
convictions qui ont grandi en lui sans la coopération ni le consentement de la raison.
Pour un tel individu, le monde tend à devenir défini, fini, évident ; les objets ordinaires ne
font pas naître de questions et les possibilités peu familières sont rejetées avec mépris.
Dès
que nous commençons à penser conformément à la philosophie, au contraire, nous voyons …
que même les choses les plus ordinaires de la vie quotidienne posent des problèmes auxquels
on ne trouve que des réponses incomplètes.
La philosophie, bien qu’elle ne soit pas en mesure
de nous donner avec certitude la réponse aux doutes qui nous assiègent, peut tout de même
suggérer des possibilités qui élargissent le champ de notre pensée et délivre celle-ci de la
tyrannie de l’habitude.
Tout en ébranlant notre certitude concernant la nature de ce qui nous
entoure, elle accroît énormément notre connaissance d’une réalité possible et différente ; elle
fait disparaître le dogmatisme quelque peu arrogant de ceux qui n’ont jamais parcouru la
région du doute libérateur, et elle garde intact notre sentiment d’émerveillement en nous
faisant voir les choses familières sous un aspect nouveau.
B.
Russell.
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