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PROUST : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Publié le 18/07/2012

Extrait du document

proust

Le bonheur de connaître ces jeunes filles était-il donc irréalisable

? Certes ce n'eût pas été le premier de ce genre auquel

j'eusse renoncé. Je n'avais qu'à me rappeler tant d'inconnues

que, même à Balbec, la voiture s'éloignant à toute vitesse

m'avait fait à jamais abandonner. Et même le plaisir que me

donnait la petite bande noble comme si elle était composée

de vierges helléniques, venait de ce qu'elle avait quelque chose

de la fuite des passantes sur la route. Cette fugacité des êtres

qui ne sont pas connus de nous, qui nous forcent à démarrer

de la vie habituelle où les femmes que nous fréquentons finissent

par dévoiler leurs tares, nous met dans cet état de poursuite

où rien n'arrête plus l'imagination.

proust

« ma grand-mère, quand, presque encore à l'extrémité de la digue où elles faisaient mouvoir une tache singulière, je vis s'avancer cinq ou six fillettes, aussi différentes, par l'aspect et par les façons, de toutes les personnes auxquelles on était accoutumé à Bal bec, qu'aurait pu l'être, débarquée on ne sait d'où, une bande de mouettes qui exécute à pas comptés sur la plage -les retardataires rattrapant les autres en voletant - une promenade dont le but semble aussi obscur aux baigneurs qu'elles ne paraissent pas voir, que clairement déterminé pour leur esprit d'oiseaux.· Une de ces inconnues poussait devant elle, de la main, sa bicyclette ; deux autres tenaient des « clubs >> de golf; et leur accoutrement tranchait sur celui des autres jeunes filles de Balbec, parmi lesquelles quelques-unes, il est vrai, se livraient aux sports, mais sans adopter pour cela une tenue.

spéciale.

C'était l'heure où dames et messieurs venaient tous les jours faire leur tour de digue, exposés aux feux impitoyables du face-à-main que fixait sur eux, comme s'ils eussent été por­ teurs de quelque tare qu'elle tenait à inspecter dans ses moin­ dres détails, la femme du premier président, fièrement assise devant le kiosque de musique, au milieu de cette rangée de chaises redoutée où eux-mêmes tout à l'heure, d'acteurs deve­ nus critiques, viendraient s'installer pour juger à leur tour ceux qui défileraient devant eux.

Tous ces gens qui longeaient la digue en tanguant aussi fort que si elle avait été le pont d'un bateau (car ils ne savaient pas lever une jambe sans du même coup remuer le bras, tourner les yeux, remettre d'aplomb leurs épaules, compenser par· un mouvement balancé du côté opposé le mouvement qu'ils venaient de faire de l'autre côté, et congestionner leur face) et qui faisant semblant de ne pas voir pour faire croire qu'ils ne se souciaient pas d'elles, mais regardant à la dérobée, pour ne pas risquer de les heurter, les personnes qui marchaient à leurs côtés ou venaient en sens inverse, butaient au contraire contre elles, s'accrochaient à elles, parce qu'ils avaient été réciproquement de leur part l'objet de la même attention secrète, cachée sous le même dédain apparent ; l'amour - par conséquent la crainte - de la foule étant un des plus puissants mobiles chez tous les hommes, soit qu'ils cherchent à plaire aux autres ou à les étonner, soit à leur montrer qu'ils les méprisent.

Chez le soli­ taire la claustration même absolue et durant jusqu'à la fin de la vie a souvent pour principe un amour déréglé de la foule qui l'emporte tellement sur tout autre sentiment que, ne pou­ vant obtenir, quand il sort, l'admiration de la concierge, des. »

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