Devoir de Philosophie

Promenades autour d'un village Mais laissons les discussions littéraires.

Publié le 11/04/2014

Extrait du document

Promenades autour d'un village Mais laissons les discussions littéraires. J'y reviendrai certainement, car il y a beaucoup à dire en faveur d'un certain sentiment de la réalité qui peut être trop dédaigné, et contre ce même sentiment poussé trop loin. Continuons notre exploration. Celle de l'appartement ne fut pas longue; au dehors, la lune avait un si mince croissant d'argent, qu'il n'y avait pas à regarder beaucoup par la fenêtre. Tout était sombre. La porte ne fermant pas, il était bien évident que le vol était chose inconnue en ce pays. --Que les misanthropes disent ce qu'ils voudront, qu'ils raillent amèrement ceux qui croient encore à la vie rustique; voici, me disais-je, une porte sans loquet qui répond victorieusement. Cette maison appartient à quelqu'un qui ne l'habite pas, qui demeure à l'autre bout du village et qui y laisse un petit mobilier sous la bonne foi publique. La cour n'a aucune espèce de clôture: s'il n'y a pas un seul larron sur sept cents habitants, c'est toujours quelque chose, il faut en convenir. Le silence de la nuit fut inouï. Pas un souffle dans l'air et pas un souffle humain; pas un bruissement d'animal quelconque. Je croyais avoir trouvé chez nous l'idéal du silence nocturne. Mais notre silence est un vacarme à côté de celui-ci. Je ne m'en suis pas encore rendu compte. Dans un si petit espace rempli de gens et de bêtes, vivant, pour ainsi dire, en un tas, d'où vient que rien ne bouge et ne transpire? Avec cette nuit sombre, c'était presque solennel. Mais à peine fit-il jour, que les coqs vinrent chanter à notre porte. Si nous ne l'eussions soutenue d'une chaise, pour nous préserver du frais de la nuit, toutes les volailles du pays seraient entrées chez nous pour nous annoncer l'approche du soleil. Et puis des voix d'enfants espiègles et rieuses chantèrent avec les oiseaux, dès que les rayons du matin dépassèrent le haut du rocher. Je regardai la maison neuve et propre qui nous faisait face. C'est l'école communale. Fillettes et garçons arrivaient en belle humeur, et le pauvre petit instituteur, bossu comme Ésope, assis, je ne sais comment, sur son escalier en plein air, les attendait d'un air doux et mélancolique. Nous partîmes à pied pour Châteaubrun, escortés d'un âne qui portait notre déjeuner. Avant d'étudier plus à fond le village, je voulais montrer à mes compagnons une des ruines les plus pittoresques du pays et refaire connaissance avec tous les remarquables environs du village. IV Nous prîmes le plus court, par égard pour l'âne, que madame Rosalie, notre aubergiste, avait chargé comme un mulet d'Espagne. Il portait, en outre, un gamin chargé de le ramener, et l'épervier de pêche de Moreau, qui ne saurait faire un pas sans ce compagnon fidèle. Ce chemin est insipide, comme tous les bons chemins. Il s'en va tout droit sur un plateau tout nu. Les six kilomètres en plaine nous parurent plus longs que douze en montagne. Les entomologistes allaient devant, peu surpris de rencontrer de temps à autre le grand Mars, qu'ils avaient signalé dès la veille comme un hôte logique de ces régions, mais se plaignant beaucoup de l'absence de papillons et de l'aridité du sol. Je fis la conversation avec Moreau. C'est un malin, un sceptique et un railleur; mais c'est un grand philosophe. IV 11 Promenades autour d'un village --J'ai eu bien du mal depuis que nous ne nous sommes vus, me dit-il. Je ne sais pas, si vous vous souvenez que j'étais marié. J'ai perdu ma femme. J'étais un peu meunier et un peu ouvrier. Mais, seul du village où vous avez laissé hier votre voiture, je n'ai que mon corps et ma maison. Dans nos petits bourgs, tout le monde est propriétaire, et il n'y a point de malheureux. Moi, j'ai bien un roc.... À propos, le voulez-vous, mon roc? Vous savez, vous disiez dans le temps que vous voudriez avoir un coin sur la Creuse? Je ne vous vends pas le mien; je vous le donne. Il n'y pousse que de la fougère, et je n'ai pas de quoi y nourrir un mouton. Je paye cinq sous d'imposition pour ce rocher, et voilà tout ce que j'en retire. Dame, il est grand, vous auriez de quoi y bâtir une belle maison, en dépensant d'abord une dizaine de mille francs pour tailler la roche et faire l'emplacement. Allons, vous n'en voulez pas? Vous avez raison. Je n'en veux pas non plus. Aussi il reste là bien tranquille. Y va qui veut ... c'est-à-dire qui peut! --Comment avez-vous pu élever votre famille? Car vous avez des enfants! --Ils se sont élevés comme ils ont pu, un peu chez moi, un peu chez les autres. Ma fille est une belle fille, vous l'avez vue hier. Elle sait faire la cuisine et parler espagnol. --Espagnol? --Oui, elle a suivi en Espagne une bourgeoise d'ici, mariée avec un monsieur de ce pays-là. Mon garçon est au service. C'est un bon enfant, bien doux, fait à tout, comme moi. Vous me demanderez ce que je fais, à présent; je n'en sais rien, une chose et l'autre; je ne peux plus travailler. Voyez: en chassant, j'ai mal tourné mon fusil; j'ai eu la main traversée, et l'autre moitié de la charge m'a caressé la tête. On dit dans le pays qu'il ne m'y est pas resté assez de plomb. Je crois bien! pendant quinze jours, le médecin n'a pas fait autre chose que de m'en arracher. Tous les matins, je l'entendais dire en sortant: «C'est un homme mort!» Et moi, je me dressais sur mon lit pour lui crier, du mieux que je pouvais: «Vous dites des bêtises, je n'en veux pas mourir, et je n'en mourrai pas.» Après que j'en ai été revenu, j'ai recommencé à pêcher et à chasser. J'ai voulu encore un peu travailler; mais le travail m'a porté malheur. Un maladroit m'a démis l'épaule en me jetant à faux un sac de blé du haut d'une voiture. Ça ne fait rien, je marche, je chasse et je pêche toujours. Je conduis les artistes et les voyageurs. Je sais les chemins comme personne, et je vous dirais comment sont faits tous les cailloux de la Creuse. Je fais les commissions du château et de l'auberge, j'approvisionne l'un et l'autre avec mon poisson. Je me passe de tout quand je n'ai rien; je n'use pas les draps, je dors une heure sur douze. Je passe mes nuits dans l'eau à guetter les truites. Dans le jour, si je suis las, je fais un somme où je me trouve. Si c'est sur une pierre ou sur un banc, j'y dors aussi bien que sur la paille. Je ne me soucie point de la toilette. Fêtes et dimanches, j'ai les mêmes habits que dans la semaine, puisque je n'ai que ceux que mon corps peut porter. Je suis toujours de bonne humeur, soit qu'on me donne cinq francs ou cinquante centimes pour mes peines. Le voyageur est toujours aimable, et, pourvu que je coure et que je cause, je suis content de m'instruire. Voilà! Quand je ne serai plus bon à rien, ma famille s'arrangera pour me nourrir, et, si elle me laisse crever comme un chien, ce sera tant pis pour elle au dernier jugement. Des anciens chemins périlleux par où l'on arrivait à Châteaubrun, nous ne retrouvâmes plus que l'emplacement. On y descend doucement par le plateau, et la nouvelle route qui côtoie tranquillement le précipice a ôté beaucoup de caractère à cette scène autrefois si sauvage. La ruine est toujours grandiose. Le marquis de notre village l'a achetée, avec son vaste enclos, pour deux mille cinq cents francs. Il la tient fermée, et il avait bien voulu nous en confier les clefs. Nous vîmes que ce noble lieu était moins fréquenté qu'autrefois. L'herbe haute et fleurie du préau était vierge de pas humains. Toutes choses, d'ailleurs, exactement dans le même état qu'il y a douze ans: la grande voûte d'entrée avec sa double herse, la vaste salle des gardes avec sa monumentale cheminée, le donjon formidable de cent vingt pieds de haut d'où l'on domine un des plus beaux sites de France, les geôles obscures, et cet étrange débris de la portion la plus belle et la plus moderne du manoir, le logis renaissance que, dans ma IV 12

« —J'ai eu bien du mal depuis que nous ne nous sommes vus, me dit-il.

Je ne sais pas, si vous vous souvenez que j'étais marié.

J'ai perdu ma femme.

J'étais un peu meunier et un peu ouvrier.

Mais, seul du village où vous avez laissé hier votre voiture, je n'ai que mon corps et ma maison.

Dans nos petits bourgs, tout le monde est propriétaire, et il n'y a point de malheureux.

Moi, j'ai bien un roc....

À propos, le voulez-vous, mon roc? Vous savez, vous disiez dans le temps que vous voudriez avoir un coin sur la Creuse? Je ne vous vends pas le mien; je vous le donne.

Il n'y pousse que de la fougère, et je n'ai pas de quoi y nourrir un mouton.

Je paye cinq sous d'imposition pour ce rocher, et voilà tout ce que j'en retire.

Dame, il est grand, vous auriez de quoi y bâtir une belle maison, en dépensant d'abord une dizaine de mille francs pour tailler la roche et faire l'emplacement. Allons, vous n'en voulez pas? Vous avez raison.

Je n'en veux pas non plus.

Aussi il reste là bien tranquille.

Y va qui veut ...

c'est-à-dire qui peut! —Comment avez-vous pu élever votre famille? Car vous avez des enfants! —Ils se sont élevés comme ils ont pu, un peu chez moi, un peu chez les autres.

Ma fille est une belle fille, vous l'avez vue hier.

Elle sait faire la cuisine et parler espagnol. —Espagnol? —Oui, elle a suivi en Espagne une bourgeoise d'ici, mariée avec un monsieur de ce pays-là.

Mon garçon est au service.

C'est un bon enfant, bien doux, fait à tout, comme moi.

Vous me demanderez ce que je fais, à présent; je n'en sais rien, une chose et l'autre; je ne peux plus travailler.

Voyez: en chassant, j'ai mal tourné mon fusil; j'ai eu la main traversée, et l'autre moitié de la charge m'a caressé la tête.

On dit dans le pays qu'il ne m'y est pas resté assez de plomb.

Je crois bien! pendant quinze jours, le médecin n'a pas fait autre chose que de m'en arracher.

Tous les matins, je l'entendais dire en sortant: «C'est un homme mort!» Et moi, je me dressais sur mon lit pour lui crier, du mieux que je pouvais: «Vous dites des bêtises, je n'en veux pas mourir, et je n'en mourrai pas.» Après que j'en ai été revenu, j'ai recommencé à pêcher et à chasser.

J'ai voulu encore un peu travailler; mais le travail m'a porté malheur.

Un maladroit m'a démis l'épaule en me jetant à faux un sac de blé du haut d'une voiture.

Ça ne fait rien, je marche, je chasse et je pêche toujours.

Je conduis les artistes et les voyageurs.

Je sais les chemins comme personne, et je vous dirais comment sont faits tous les cailloux de la Creuse.

Je fais les commissions du château et de l'auberge, j'approvisionne l'un et l'autre avec mon poisson.

Je me passe de tout quand je n'ai rien; je n'use pas les draps, je dors une heure sur douze.

Je passe mes nuits dans l'eau à guetter les truites.

Dans le jour, si je suis las, je fais un somme où je me trouve.

Si c'est sur une pierre ou sur un banc, j'y dors aussi bien que sur la paille.

Je ne me soucie point de la toilette. Fêtes et dimanches, j'ai les mêmes habits que dans la semaine, puisque je n'ai que ceux que mon corps peut porter.

Je suis toujours de bonne humeur, soit qu'on me donne cinq francs ou cinquante centimes pour mes peines.

Le voyageur est toujours aimable, et, pourvu que je coure et que je cause, je suis content de m'instruire.

Voilà! Quand je ne serai plus bon à rien, ma famille s'arrangera pour me nourrir, et, si elle me laisse crever comme un chien, ce sera tant pis pour elle au dernier jugement. Des anciens chemins périlleux par où l'on arrivait à Châteaubrun, nous ne retrouvâmes plus que l'emplacement.

On y descend doucement par le plateau, et la nouvelle route qui côtoie tranquillement le précipice a ôté beaucoup de caractère à cette scène autrefois si sauvage. La ruine est toujours grandiose.

Le marquis de notre village l'a achetée, avec son vaste enclos, pour deux mille cinq cents francs.

Il la tient fermée, et il avait bien voulu nous en confier les clefs. Nous vîmes que ce noble lieu était moins fréquenté qu'autrefois.

L'herbe haute et fleurie du préau était vierge de pas humains.

Toutes choses, d'ailleurs, exactement dans le même état qu'il y a douze ans: la grande voûte d'entrée avec sa double herse, la vaste salle des gardes avec sa monumentale cheminée, le donjon formidable de cent vingt pieds de haut d'où l'on domine un des plus beaux sites de France, les geôles obscures, et cet étrange débris de la portion la plus belle et la plus moderne du manoir, le logis renaissance que, dans ma Promenades autour d'un village IV 12. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles