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Primo LEVI (1919-1987) La funèbre science des numéros d'Auschwitz Häftling : j'ai appris que je suis un Häftling.

Publié le 21/10/2016

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Primo LEVI (1919-1987) La funèbre science des numéros d'Auschwitz Häftling : j'ai appris que je suis un Häftling. Mon nom est 174517; nous avons été baptisés et aussi longtemps que nous vivrons nous porterons cette marque tatouée sur le bras gauche. L'opération a été assez peu douloureuse et extrêmement rapide : on nous a fait mettre en rang par ordre alphabétique, puis on nous a fait défiler un par un devant un habile fonctionnaire muni d'une sorte de poinçon à aiguille courte. Il semble bien que ce soit là une véritable initiation : ce n'est qu'« en montrant le numéro » qu'on a droit au pain et à la soupe. Il nous a fallu bien des jours et bon nombre de gifles et de coups de poing pour nous habituer à montrer rapidement notre numéro afin de ne pas ralentir les opérations de distribution des vivres ; il nous a fallu des semaines et des mois pour en reconnaître le son en allemand. Et pendant plusieurs jours, lorsqu'un vieux réflexe me pousse à regarder l'heure à mon poignet, une ironique substitution m'y fait trouver mon nouveau nom, ce numéro gravé sous la peau en signes bleuâtres. Ce n'est que beaucoup plus tard que certains d'entre nous se sont peu à peu familiarisés avec la funèbre science des numéros d'Auschwitz, qui résument à eux seuls les étapes de la destruction de l'hébraïsme en Europe. Pour les anciens du camp, le numéro dit tout : la date d'arrivée au camp, le convoi dont on faisait partie, la nationalité. On traitera toujours avec respect un numéro compris entre 30 000 et 80 000 : il n'en reste que quelques centaines, qui désignent les rares survivants des ghettos polonais. De même, il s'agit d'ouvrir l'œil si on doit entrer en affaires avec un 110 000 ou un 117 000 : ils ne sont plus qu'une quarantaine désormais, mais ce sont des Grecs de Salonique, et ils ont plus d'un tour dans leur sac. Quant aux gros numéros, il s'y attache une note essentiellement comique, comme aux termes de « bleus » ou de « conscrits » dans la vie courante : le gros numéro par excellence est un individu bedonnant, docile et niais, à qui vous pouvez faire croire qu'à l'infirmerie on distribue des chaussures en cuir pour pieds sensibles, et qui est capable sur votre instigation d'y courir séance tenante en vous laissant sa gamelle de soupe « à garder » ; vous pouvez lui vendre une cuillère pour trois rations de pain ; vous pouvez même l'envoyer demander (comme cela m'est arrivé !) au Kapo le plus féroce du camp si c'est bien lui qui commande le Kartoffelschälkommando, le Kommando d'Épluchage de Patates, et s'il est possible de s'y faire enrôler. Si c'est un homme, Primo Levi, Paris, Editions Robert Laffont, 1996.
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« s?ance tenante en vous laissant sa gamelle de soupe ??? garder?? ; vous pouvez lui vendre une cuill?re pour trois rations de pain?; vous pouvez m?me l'envoyer demander (comme cela m'est arriv? !) au Kapo le plus f?roce du camp si c'est bien lui qui commande le Kartoffelsch?lkommando, le Kommando d'?pluchage de Patates, et s'il est possible de s'y faire enr?ler. Si c'est un homme, Primo Levi, Paris, Editions Robert Laffont, 1996.. »

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