Pot-bouille --Mon Dieu!
Publié le 11/04/2014
Extrait du document


«
La petite, cependant, lasse d'etre en chemise, effrayee par la vue d'Octave, se debattait, se renversait sur la
table.
Prenez garde! cria-t-il, elle va tomber.
Ce fut une catastrophe.
Marie avait l'air de ne point oser toucher aux membres nus de sa fille.
Elle la regardait
toujours, avec l'ebahissement d'une vierge, stupefaite d'avoir pu faire ca.
Et, outre la peur de la casser, il
entrait dans sa maladresse une vague repugnance de cette chair vivante.
Pourtant, aidee par Octave qui la
calmait, elle rhabilla Lilitte.
Comment ferez-vous donc, quand vous en aurez une douzaine? disait-il en riant.
Mais nous n'en aurons jamais plus! repondit-elle, effaree.
Alors, il plaisanta: elle avait tort de jurer, un enfant est si vite fait!
Non! non! repeta-t-elle avec entetement.
Vous avez entendu maman, l'autre jour.
Elle l'a bien defendu a
Jules....
Vous ne la connaissez pas: ce seraient des querelles interminables, s'il en venait un deuxieme.
Octave s'amusait de sa tranquillite a discuter cette question.
Il la poussa, sans parvenir a l'embarrasser.
Elle, du
reste, faisait ce que son mari voulait.
Sans doute, elle aimait les enfants; s'il avait pu en desirer d'autres, elle
n'aurait pas dit non.
Et, sous cette complaisance, qui se subordonnait aux ordres de sa mere, percait une
indifference de femme dont la maternite ne s'etait pas eveillee.
Lilitte l'occupait comme son menage, qu'elle
tenait par devoir.
Quand elle avait lave la vaisselle et promene la petite, elle continuait son ancienne vie de
jeune fille, d'un vide somnolent, bercee dans l'attente vague d'une joie qui ne venait point.
Octave ayant dit
qu'elle devait s'ennuyer, toujours seule, elle parut surprise: non, elle ne s'ennuyait jamais, les journees
coulaient tout de meme, sans qu'elle sut, en se couchant, a quelle besogne elle les avait passees.
Puis, le
dimanche, elle sortait parfois avec son mari; ses parents venaient, ou encore elle lisait.
Si la lecture ne lui avait
pas donne mal a la tete, elle aurait lu du matin au soir, maintenant qu'il lui etait permis de tout lire.
Ce qui est contrariant, reprit-elle, c'est qu'ils n'ont rien, au cabinet du passage Choiseul....
Ainsi, j'ai voulu
avoir Andre, pour le relire, tant ca m'a fait pleurer autrefois.
Eh bien! justement, on leur a vole le volume....
Avec ca, mon pere me refuse le sien, parce que Lilitte dechirerait les images.
Mais, dit Octave, mon ami Campardon a tout George Sand....
Je vais lui demander Andre pour vous.
Elle rougit, ses yeux brillerent.
Vraiment, il etait trop aimable! Et, quand il la laissa, elle resta devant Lilitte,
les bras ballants, la tete sans une idee, dans l'attitude qu'elle gardait pendant des apres-midi entieres.
Elle
detestait la couture, elle faisait du crochet, toujours le meme bout, qui trainait sur les meubles.
Le lendemain, un dimanche, Octave lui apporta le livre.
Pichon avait du sortir, pour deposer une carte de
visite chez un de ses superieurs.
Et, comme le jeune homme la trouvait habillee, au retour d'une course faite
dans le voisinage, il lui demanda par curiosite si elle revenait de la messe, la croyant devote.
Elle repondit que
non.
Avant de la marier, sa mere l'y conduisait tres regulierement.
Pendant les six premiers mois de son
menage, l'habitude etant prise, elle y etait retournee, avec la continuelle crainte d'arriver en retard.
Puis, elle
ne savait pourquoi, apres quelques messes manquees, elle n'y avait pas remis les pieds.
Son mari detestait les
pretres, et sa mere, maintenant, ne lui en ouvrait meme plus la bouche.
Cependant, elle restait remuee par la
question d'Octave, comme s'il venait d'eveiller en elle des choses ensevelies sous les paresses de son
existence.
Pot-bouille
IV 44.
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