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Pot-bouille aigreur: --Vous l'etouffez.

Publié le 11/04/2014

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Pot-bouille aigreur: --Vous l'etouffez. Ecartez-vous donc. S'il desirait quelque chose, on ne pourrait pas savoir. Les autres durent s'ecarter. En effet, les yeux de M. Vabre fouillaient la chambre. --Il desire quelque chose, c'est certain, murmura Berthe. --Voici Gustave, repetait Clotilde. Vous le voyez, n'est-ce pas?... Il est sorti pour vous embrasser. Embrasse ton grand-pere, mon petit. Comme l'enfant, effraye, reculait, elle le maintenait d'un bras, elle attendait un sourire sur la face decomposee du moribond. Mais Auguste, qui etudiait la direction de ses yeux, declara qu'il regardait la table: sans doute il voulait ecrire. Ce fut un saisissement. Tous s'empresserent. On apporta la table, on chercha du papier, l'encrier, une plume. Enfin, on le souleva, on l'adossa contre trois oreillers. Le docteur autorisait ces choses, d'un simple clignement de paupieres. --Donnez-lui la plume, disait Clotilde fremissante, sans lacher Gustave, qu'elle presentait toujours. Alors, il y eut une minute solennelle. La famille, serree autour du lit, attendait. M. Vabre, qui semblait ne reconnaitre personne, avait laisse echapper la plume de ses doigts. Un instant, il promena les yeux sur la table, ou se trouvait la boite de chene, pleine de fiches. Puis, glisse des oreillers, tombe en avant comme un chiffon, il allongea le bras par un supreme effort; et, la main dans les fiches, il se mit a patauger, avec le geste d'un bebe heureux, qui petrit quelque chose de sale. Il rayonnait, il voulait parler, mais il ne begayait qu'une syllabe, toujours la meme, une de ces syllabes ou les enfants au maillot mettent un monde de sensations. --Ga ... ga ... ga ... ga.... C'etait au travail de sa vie, a sa grande etude de statistique, qu'il disait adieu. Brusquement, sa tete roula. Il etait mort. --Je m'en doutais, murmura le docteur, qui prit le soin de l'allonger et de lui fermer les yeux, en voyant l'effarement de la famille. Etait-ce possible? Auguste avait emporte la table, tous restaient muets et glaces. Bientot, les sanglots eclaterent. Mon Dieu! puisqu'il n'y avait plus rien a esperer, on arriverait quand meme a se partager la fortune. Et Clotilde, apres s'etre empressee de renvoyer Gustave, pour lui eviter l'affreux spectacle, pleurait sans force, la tete appuyee contre l'epaule de Berthe, qui sanglotait, ainsi que Valerie. Devant la fenetre, Theophile et Auguste se frottaient rudement les yeux. Mais Duveyrier surtout montrait un desespoir extraordinaire, etouffait de gros sanglots dans son mouchoir. Non, decidement, il ne pourrait vivre sans Clarisse: il aimait mieux mourir tout de suite, comme celui-la; et le regret de sa maitresse tombant au milieu de ce deuil, le secouait d'une amertume immense. --Madame, vint annoncer Clemence, ce sont les sacrements.... Sur le seuil, parut l'abbe Mauduit. Derriere son epaule, on apercevait la tete curieuse d'un enfant de choeur. Il vit les sanglots, questionna d'un coup d'oeil le medecin, qui ouvrit les bras, comme pour declarer que ce n'etait pas sa faute. Et l'abbe, apres avoir balbutie des prieres, s'en alla d'un air de gene, en remportant le bon Dieu. --C'est mauvais signe, disait Clemence aux autres domestiques, reunis a la porte de l'antichambre. On ne derange pas le bon Dieu pour rien.... Vous verrez qu'il reviendra dans la maison, avant un an. XI 133 Pot-bouille Les obseques de M. Vabre eurent lieu seulement le surlendemain. Duveyrier avait quand meme ajoute aux lettres de faire-part les mots: "muni des sacrements de l'Eglise". Comme le magasin etait ferme, Octave se trouvait libre. Ce conge le ravissait, car depuis longtemps il desirait ranger sa chambre, changer des meubles de place, mettre ses quelques livres dans une petite bibliotheque, achetee d'occasion. Il s'etait leve plus tot que de coutume, il achevait son rangement vers huit heures, le matin du convoi, lorsque Marie frappa. Elle lui rapportait un paquet de livres. --Puisque vous ne venez pas les chercher, dit-elle, il faut bien que je me donne la peine de vous les rendre. Mais elle refusa d'entrer, rougissant, choquee a l'idee d'etre chez un jeune homme. Leurs relations, d'ailleurs, avaient completement cesse, d'une facon toute naturelle, parce qu'il n'etait plus retourne la prendre. Et elle restait aussi tendre avec lui, le saluait toujours d'un sourire, quand elle le rencontrait. Octave etait tres gai, ce matin-la. Il voulut la taquiner. --Alors, c'est Jules qui vous defend d'entrer chez moi? repetait-il. Comment etes-vous avec Jules, maintenant? Est-il aimable? oui, vous m'entendez bien? Repondez donc! Elle riait, elle ne se scandalisait pas. --Pardi! quand vous l'emmenez, vous lui payez du vermouth en lui racontant des choses, qui le font rentrer comme un fou.... Oh! il est trop aimable. Vous savez, je n'en demande pas tant. Mois j'aime mieux que ca se passe chez moi qu'autre part, bien sur. Elle redevint serieuse et ajouta: --Tenez, je vous rapporte votre Balzac, je n'ai pas pu le finir.... C'est trop triste, il n'a que des choses desagreables a vous dire, ce monsieur-la! Et elle lui demanda des histoires ou il y eut beaucoup d'amour, avec des aventures et des voyages dans des pays etrangers. Puis, elle parla de l'enterrement: elle irait a l'eglise, Jules pousserait jusqu'au cimetiere. Jamais elle n'avait eu peur des morts; a douze ans, elle etait restee une nuit entiere pres d'un oncle et d'une tante, emportes par la meme fievre. Jules, au contraire, detestait causer des morts, a ce point que, depuis la veille, il lui avait defendu de parler du proprietaire, etendu sur le dos, en bas; mais elle ne trouvait rien a dire en dehors de cette conversation, lui non plus, si bien qu'ils n'echangeaient pas dix mots par heure, tout en pensant continuellement au pauvre monsieur. Ca devenait ennuyeux, elle serait contente pour Jules, quand on l'emporterait. Et, heureuse d'en pouvoir parler a l'aise, satisfaisant son gout, elle accabla le jeune homme de questions: l'avait-il vu? etait-il beaucoup change? devait-elle croire ce qu'on racontait, un abominable accident, pendant la mise en biere? quant a la famille, ne decousait-elle pas les matelas, pour fouiller partout? Tant d'histoires circulaient, dans une maison comme la leur, ou galopait une debandade de bonnes! La mort etait la mort: on ne s'occupait que de ca. --Vous me fourrez encore un Balzac, reprit-elle en regardant les livres qu'il lui pretait de nouveau. Non, reprenez-le.... Ca ressemble trop a la vie. Comme elle lui tendait le volume, il la saisit par le poignet et voulut l'attirer dans la chambre. Elle l'amusait, avec sa curiosite de la mort; elle lui paraissait drole, plus vivante, tout d'un coup desirable. Mais elle comprit, devint tres rouge, puis se degagea, se sauva, en disant: --Merci, monsieur Mouret.... A tout a l'heure, au convoi. XI 134

« Les obseques de M.

Vabre eurent lieu seulement le surlendemain.

Duveyrier avait quand meme ajoute aux lettres de faire-part les mots: “muni des sacrements de l'Eglise”.

Comme le magasin etait ferme, Octave se trouvait libre.

Ce conge le ravissait, car depuis longtemps il desirait ranger sa chambre, changer des meubles de place, mettre ses quelques livres dans une petite bibliotheque, achetee d'occasion.

Il s'etait leve plus tot que de coutume, il achevait son rangement vers huit heures, le matin du convoi, lorsque Marie frappa.

Elle lui rapportait un paquet de livres. —Puisque vous ne venez pas les chercher, dit-elle, il faut bien que je me donne la peine de vous les rendre. Mais elle refusa d'entrer, rougissant, choquee a l'idee d'etre chez un jeune homme.

Leurs relations, d'ailleurs, avaient completement cesse, d'une facon toute naturelle, parce qu'il n'etait plus retourne la prendre.

Et elle restait aussi tendre avec lui, le saluait toujours d'un sourire, quand elle le rencontrait. Octave etait tres gai, ce matin-la.

Il voulut la taquiner. —Alors, c'est Jules qui vous defend d'entrer chez moi? repetait-il.

Comment etes-vous avec Jules, maintenant? Est-il aimable? oui, vous m'entendez bien? Repondez donc! Elle riait, elle ne se scandalisait pas. —Pardi! quand vous l'emmenez, vous lui payez du vermouth en lui racontant des choses, qui le font rentrer comme un fou....

Oh! il est trop aimable.

Vous savez, je n'en demande pas tant.

Mois j'aime mieux que ca se passe chez moi qu'autre part, bien sur. Elle redevint serieuse et ajouta: —Tenez, je vous rapporte votre Balzac, je n'ai pas pu le finir....

C'est trop triste, il n'a que des choses desagreables a vous dire, ce monsieur-la! Et elle lui demanda des histoires ou il y eut beaucoup d'amour, avec des aventures et des voyages dans des pays etrangers.

Puis, elle parla de l'enterrement: elle irait a l'eglise, Jules pousserait jusqu'au cimetiere.

Jamais elle n'avait eu peur des morts; a douze ans, elle etait restee une nuit entiere pres d'un oncle et d'une tante, emportes par la meme fievre.

Jules, au contraire, detestait causer des morts, a ce point que, depuis la veille, il lui avait defendu de parler du proprietaire, etendu sur le dos, en bas; mais elle ne trouvait rien a dire en dehors de cette conversation, lui non plus, si bien qu'ils n'echangeaient pas dix mots par heure, tout en pensant continuellement au pauvre monsieur.

Ca devenait ennuyeux, elle serait contente pour Jules, quand on l'emporterait.

Et, heureuse d'en pouvoir parler a l'aise, satisfaisant son gout, elle accabla le jeune homme de questions: l'avait-il vu? etait-il beaucoup change? devait-elle croire ce qu'on racontait, un abominable accident, pendant la mise en biere? quant a la famille, ne decousait-elle pas les matelas, pour fouiller partout? Tant d'histoires circulaient, dans une maison comme la leur, ou galopait une debandade de bonnes! La mort etait la mort: on ne s'occupait que de ca. —Vous me fourrez encore un Balzac, reprit-elle en regardant les livres qu'il lui pretait de nouveau.

Non, reprenez-le....

Ca ressemble trop a la vie. Comme elle lui tendait le volume, il la saisit par le poignet et voulut l'attirer dans la chambre.

Elle l'amusait, avec sa curiosite de la mort; elle lui paraissait drole, plus vivante, tout d'un coup desirable.

Mais elle comprit, devint tres rouge, puis se degagea, se sauva, en disant: —Merci, monsieur Mouret....

A tout a l'heure, au convoi.

Pot-bouille XI 134. »

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