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Pierre LEMIEUX (Contemporain) Apologie de la résistance fiscale Non seulement il n'est pas antisocial de dire non serviam au fisc, mais on peut soutenir que c'est, au contraire, une « responsabilité sociale » dès lors que l'impôt devient clairement spoliateur.

Publié le 21/10/2016

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Pierre LEMIEUX (Contemporain) Apologie de la résistance fiscale Non seulement il n'est pas antisocial de dire non serviam au fisc, mais on peut soutenir que c'est, au contraire, une « responsabilité sociale » dès lors que l'impôt devient clairement spoliateur. [...] Adam Smith écrivait qu'un « impôt exorbitant » qui équivaudrait « au cinquième de la richesse de la nation, justifierait, comme tout abus flagrant de pouvoir, la résistance du peuple ». Les impôts actuels sont spoliateurs et outrageants, s'il en fût jamais. Les révolutionnaires américains et les révolutionnaires français ont pris les armes contre des impôts qui n'atteignaient pas la moitié de ceux que les gens sont aujourd'hui forcés de payer en disant merci. Une autre raison milite en faveur des marchés noirs et de l'évasion fiscale. C'est [qu'ils] constituent un stabilisateur, un frein automatique à la croissance de l'État. Quand le Léviathan devient trop monstrueux, ses sujets lui coupent les vivres de facto en se retirant dans l'économie souterraine. Alors, de deux choses l'une. Ou bien Léviathan recule, et on devrait décorer les travailleurs au noir qui nous en ont délivré. [...] Ceux qui se sont réfugiés dans l'économie souterraine n'ont pas reporté leur fardeau fiscal sur les autres contribuables, ils ont au contraire empêché ceux-ci d'être expropriés davantage par un Léviathan qui n'aurait devant lui que des animaux sacrificiels dociles. Ou bien Léviathan, aux abois, se met en furie, abandonne toute prétention à la mythologie officielle sur l'impôt raisonnable et volontaire, relie ses bases de données, et accentue la répression. Dans ce cas, il devient encore plus impérieux de résister, et on regrettera amèrement de ne pas l'avoir fait plus tôt. [...] Il est vrai que l'évasion fiscale et les marchés noirs comportent des risques moraux. On l'a bien vu en Europe de l'Est où, à force d'exercer leur légitime défense pacifique contre les mange-peuple, les gens ont pris l'habitude de tricher aussi dans leurs relations privées - d'autant plus que la frontière entre le public et le privé était encore plus souillée qu'ici. Mais nous sommes sur la bonne voie. Un effet pervers de la fiscalisation actuelle consiste à nous transformer en Européens de l'Est. Ce ne serait pas la première fois que la coercition étatique aura détruit des conditions essentielles de la vie en société. Le grand drame - je sais bien - est que plusieurs pions de l'échiquier étatique ne sont pas malintentionnés. Les petits bureaucrates, qui grillent timidement leur cigarette sur le parvis des bâtiments gouvernementaux, ne font que gagner leur croûte dans un monde difficile, en obéissant aux ordres et en faisant appliquer la morale dominante. Si cette situation impose des contraintes morales à l'action contestataire, elle ne fonde pas le droit des mange-peuple. Elle est certes complexe et controversée, la question de savoir quel est le niveau de coercition étatique au-delà duquel une société libre devient impossible. Le meilleur gouvernement est-il, comme disait Jefferson, celui qui gouverne le moins ? Ou est-ce plutôt celui qui ne gouverne pas du tout, comme Thoreau ajoutait ? Mais l'immoralité des États dont nous sommes affublés ne fait pas de doute. Et le refus moral s'impose devant ces statocrates qui se plaignent de manquer de ressources tout en confisquant la moitié de ce que les gens produisent et gagnent, qui ont bouché l'avenir de nos enfants, et qui nous ont enfermés dans une tyrannie tranquille, une prison administrative dont ils sont même incapables d'entretenir les dorures sans accentuer encore la répression. 00020000046E00000E22468,Dans ce contexte, et au-delà de l'évasion fiscale, c'est la résistance fiscale et la désobéissance civile qui prennent l'allure d'une véritable responsabilité sociale. La théorie de l'action collective nous explique pourquoi, hélas ! bien peu de gens auront le courage de l'assumer. Mais, même face au fisc et à ses flics, nous disposons encore de quelques moyens de déstabilisation : affirmer que notre consentement à leurs impôts est obtenu sous la contrainte, et démontrer aux bureaucrates fiscaux qu'ils sont, malgré la morale de midinette qu'on leur a apprise, exactement ce qu'en disait La Boétie : « Sous le grand tiran tiranneaux euxmesmes. » Si les gens qui seront confrontés aux contrôleurs du fisc dans l'économie souterraine pouvaient seulement se tenir debout, mener une guérilla pacifique de tous les instants, refuser de coopérer jusqu'à la limite du possible (qui est le flic, la prison et, en cas de résistance, la mort), affirmer au moins verbalement leur souveraineté individuelle, ils contribueraient peut-être à faire, pour nous ou pour nos enfants, l'économie d'une révolution. Le Devoir, 15 octobre 1996.

« ?tait encore plus souill?e qu'ici.

Mais nous sommes sur la bonne voie.

Un effet pervers de la fiscalisation actuelle consiste ? nous transformer en Europ?ens de l'Est.

Ce ne serait pas la premi?re fois que la coercition ?tatique aura d?truit des conditions essentielles de la vie en soci?t?. Le grand drame - je sais bien - est que plusieurs pions de l'?chiquier ?tatique ne sont pas malintentionn?s.

Les petits bureaucrates, qui grillent timidement leur cigarette sur le parvis des b?timents gouvernementaux, ne font que gagner leur cro?te dans un monde difficile, en ob?issant aux ordres et en faisant appliquer la morale dominante.

Si cette situation impose des contraintes morales ? l'action contestataire, elle ne fonde pas le droit des mange-peuple. Elle est certes complexe et controvers?e, la question de savoir quel est le niveau de coercition ?tatique au-del? duquel une soci?t? libre devient impossible.

Le meilleur gouvernement est-il, comme disait Jefferson, celui qui gouverne le moins?? Ou est-ce plut?t celui qui ne gouverne pas du tout, comme Thoreau ajoutait?? Mais l'immoralit? des ?tats dont nous sommes affubl?s ne fait pas de doute.

Et le refus moral s'impose devant ces statocrates qui se plaignent de manquer de ressources tout en confisquant la moiti? de ce que les gens produisent et gagnent, qui ont bouch? l'avenir de nos enfants, et qui nous ont enferm?s dans une tyrannie tranquille, une prison administrative dont ils sont m?me incapables d'entretenir les dorures sans accentuer encore la r?pression. 00020000046E00000E22468,Dans ce contexte, et au-del? de l'?vasion fiscale, c'est la r?sistance fiscale et la d?sob?issance civile qui prennent l'allure d'une v?ritable responsabilit? sociale.

La th?orie de l'action collective nous explique pourquoi, h?las?! bien peu de gens auront le courage de l'assumer. Mais, m?me face au fisc et ? ses flics, nous disposons encore de quelques moyens de d?stabilisation?: affirmer que notre consentement ? leurs imp?ts est obtenu sous la contrainte, et d?montrer aux bureaucrates fiscaux qu'ils sont, malgr? la morale de midinette qu'on leur a apprise, exactement ce qu'en disait La Bo?tie?: ??Sous le grand tiran tiranneaux euxmesmes.?? Si les gens qui seront confront?s aux contr?leurs du fisc dans l'?conomie souterraine pouvaient seulement se tenir debout, mener une gu?rilla pacifique de tous les instants, refuser de coop?rer jusqu'? la limite du possible (qui est le flic, la prison et, en cas de r?sistance, la mort), affirmer au moins verbalement leur souverainet?. »

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