Pierre CLARAC. Intéresser les élèves. (L'enseignement du français, P.U.F.)

   « Il nous faut du nouveau, n'en fût-il plus au monde «, proclame l'Apollon de La Fontaine. C'est la devise de nombreux spécialistes de la pédagogie. Ils ne jugent pas tous que l'étude des textes a fait son temps ; mais plusieurs d'entre eux demandent le changement des programmes : « Aux élèves d'aujourd'hui faites étudier les écrivains d'aujourd'hui. Quel intérêt voulez-vous que prennent les jeunes Français de l'âge atomique à vos classiques emperruqués et à vos romantiques larmoyants? Racine les fait bâiller et Lamartine les fait rire. «    Je trouve bien modeste, ou bien imprudent, le maître qui, dans la discussion, allègue comme argument l'ennui de ses élèves. Et si cet ennui avait pour cause moins l'auteur ou l'exercice dont il se plaint, que la façon dont il les a présentés ? Il y a des professeurs de qui l'ennui ne saurait émaner, parce qu'ils portent en eux la ferveur et la vie. Ce qui compte plus encore que la nature de l'exercice, c'est l'état d'esprit et de cœur dans lequel on l'aborde. Que le texte soit de Rabelais ou de Balzac, de Ronsard ou de Prévert, on ne le fera aimer que si on l'aime soi-même, si l'on y croit, si l'on a le sentiment qu'en en révélant la beauté à de jeunes esprits on s'acquitte d'une tâche sacrée.    Celui qui se vante d'être insensible au frémissement de vie d'une scène de Racine ou d'une page de Rousseau, je ne croirai jamais qu'il éprouve un plaisir sincère à lire Supervielle ou Éluard. J'avoue mal comprendre ces discussions toujours renaissantes (elles mettaient déjà aux prises les contemporains d'Horace et de Tacite) au sujet des anciens et des modernes. Les modernes d'aujourd'hui sont les anciens de demain. Chacun de ces anciens démodés a été un moderne en son temps. C'est par une illusion d'orgueil et de naïveté que nous conférons une valeur absolue à l'époque où le hasard nous a fait vivre, que nous l'isolons de celles qui l'ont précédée et de celles qui la suivront. Chacun de nous, qu'il le veuille ou non, est l'héritier de ses devanciers et les porte en lui. Des élèves qui ignoreraient tout des chefs-d'œuvre classiques, que pourraient-ils comprendre à des écrivains qui, au contraire, en sont nourris, comme Péguy, Gide, Proust, Valéry, Giraudoux, Camus, pour ne citer que des morts?    Croit-on, d'ailleurs, que, le jour où l'on inscrirait à leur programme les œuvres marquantes de la littérature contemporaine, les adolescents s'y orienteraient plus aisément et y trouveraient moins d'obstacles que dans une comédie de Molière, un conte de Voltaire ou un poème de Hugo? Ne tenons même pas compte de l'affectation d'obscurité, de l'envie d'étonner et de scandaliser qui sont communes, depuis la fin du siècle dernier, à tant d'écrivains et d'artistes. De par les conditions mêmes où elle se développe, la littérature d'aujourd'hui, celle du moins qui est digne de ce nom (je ne songe pas aux romans de la « Série noire « ni aux vaudevilles du Palais-Royal), est nécessairement difficile et complexe. Elle est le reflet d'une époque où, sur une terre rétrécie, toutes les civilisations, toutes les races, tous les génies se mêlent inextricablement. Elle ne s'inspire plus des seules ressources propres à l'art du langage : on veut chanter, peindre, sculpter, construire avec des mots. Plus de doctrine, partant plus de règles ni de genres. « Recueillant le fruit tel que de l'âme il sort «, chacun s'applique moins à être compris ou à plaire qu'à s'exprimer entièrement, jusque dans les nuances et les contradictions par où il est unique, irréductiblement individuel. Rien de tout cela ne facilite l'effort de l'élève qui veut suivre le fil d'une pensée, pénétrer, goûter et juger ce qu'il lit.    Rédigez de ce texte soit un résumé qui respecte l'ordre des idées telles qu'elles sont présentées, soit une analyse qui regroupe les idées essentielles. (Précisez nettement en tête de votre copie la formule que vous avez choisie.)    Vous dégagerez ensuite de ce texte une question à laquelle vous attachez un intérêt particulier, vous en préciserez les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur cette question.