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Paul Valéry, Discours au collège de Sète

Publié le 23/04/2011

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discours

« Jamais l'avenir ne fut si difficile à imaginer. A peine le traitons-nous en esquisse, les traits se brouillent, les idées s'opposent aux idées, et nous nous perdons dans le désordre caractéristique du monde moderne. Vous savez assez que les plus savants, les plus subtils, ne peuvent rien en dire qu'ils ne se sentent aussitôt tentés de se rétracter ; qu'il n'est de philosophe, ni de politique, ni d'économiste qui puisse se flatter d'assigner à ce chaos un terme dans la durée, et un état final dans l'ordre et la stabilité. Cette phase critique est l'effet composé de l'activité de l'esprit humain : nous avons, en effet, en quelques dizaines d'années, créé et bouleversé tant de choses aux dépens du passé — en le réfutant, en le désorganisant, en refaisant les idées, les méthodes, les institutions — que le présent nous apparaît comme une conjoncture sans précédent et sans exemple, un conflit sans issue entre des choses qui ne savent pas mourir et des choses qui ne peuvent pas vivre. C'est pourquoi il m'arrive parfois de dire sous forme de paradoxe : que la tradition et le progrès sont les deux grands ennemis du genre humain.    « Le monde est devenu, en quelques années, entièrement méconnaissable aux yeux de ceux qui ont assez vécu pour l'avoir vu bien différent. Songez à tous les faits nouveaux — entièrement nouveaux —, prodigieusement nouveaux qui se sont révélés à partir du commencement du siècle dernier. (...)    « Songez quel effort d'adaptation s'impose à une race si longtemps enfermée dans la contemplation, l'explication et l'utilisation des mêmes phénomènes immédiatement observables depuis l'origine!    « En somme, nous avons le privilège — ou le grand malheur — d'assister à une transformation profonde, rapide, irrésistible, totale de toutes les conditions de la vie et de l'action humaines. Elle amorce sans doute un certain avenir, mais un avenir que nous ne pouvons absolument pas imaginer. C'est là, entre autres nouveautés, la plus grande, sans doute. Nous ne pouvons plus déduire de ce que nous savons quelque figure du futur à laquelle nous puissions attacher la moindre créance. Nous ne voyons, de toutes parts, sur cette terre, que tentatives, expériences, plans et tâtonnements précipités dans tous les ordres. La Russie, l'Allemagne, l'Italie, les États-Unis sont comme de vastes laboratoires où se poursuivent des essais d'une ampleur jusqu'ici inconnue ; où l'on tente de façonner un homme nouveau ; de faire une économie, des mœurs, des lois et jusqu'à des croyances nouvelles. On voit partout que l'action de l'esprit humain créant ou détruisant furieusement, multipliant des moyens matériels d'énorme puissance, a engendré des modifications d'échelle mondiale du monde humain, et ces modifications inouïes se sont imposées sans ordre, sans frein ; et surtout sans égard à la nature vivante, à sa lenteur d'adaptation, à ses limites originelles. En un mot, on peut dire que l'homme, s'éloignant de plus en plus, et bien plus rapidement que jamais, de ses conditions primitives d'existence, il arrive que tout ce qu'il sait, c'est-à-dire tout ce qu'il peut, s'oppose fortement à ce qu'il est. «    Paul Valéry, Discours au collège de Sète (1935).    • Selon votre préférence, résumez ce texte en respectant son mouvement, ou bien analysez-lé en distinguant et ordonnant les thèmes et en vous attachant à rendre compte de leurs rapports.    Après ce résumé ou cette analyse, vous dégagerez du texte un problème auquel vous attachez un intérêt particulier : vous en préciserez les données, vous les discuterez s'il y a lieu et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.

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