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ORIENT ET OCCIDENT

Publié le 08/03/2011

Extrait du document

   La Chine, fort longtemps, nous fut une planète séparée. Nous la peuplions d'un peuple de fantaisie, car il n'est rien de plus naturel que de réduire les autres à ce qu'ils offrent de bizarre à nos regards. Une tête à perruque et à poudre, ou porteuse d'un chapeau haut de forme, ne peut concevoir des têtes à longue queue.    Nous prêtions pêle-mêle à ce peuple extravagant, de la sagesse et des niaiseries ; de la faiblesse et de la durée ; une inertie et une industrie prodigieuses ; une ignorance, mais une adresse, une naïveté, mais une subtilité incomparables; une sobriété et des raffinements miraculeux; une infinité de ridicules. On considérait la Chine immense et impuissante ; inventive et stationnaire, superstitieuse et athée ; atroce et philosophique; patriarcale et corrompue; et, déconcertés par cette idée désordonnée que nous en avions, ne sachant où la placer, dans notre stystème de la civilisation que nous rapportons invinciblement aux Égyptiens, aux Juifs, aux Grecs et aux Romains; ne pouvant ni la ravaler au rang de barbare qu'elle nous réserve à nous-mêmes, ni la hausser à notre point d'orgueil, nous la mettions dans une autre sphère et dans une autre chronologie, dans la catégorie de ce qui est à la fois réel et incompréhensible; coexistant, mais à l'infini.    Rien, par exemple, ne nous est plus malaisé à concevoir que la limitation dans les volontés de l'esprit et que la modération dans l'usage de la puissance matérielle. Comment peut-on inventer la boussole, se demande l'Européen, sans pousser la curiosité et continuer son attention jusqu'à la science du magnétisme ; et comment, l'ayant inventée, peut-on ne pas songer à conduire au loin une flotte qui aille reconnaître et maîtriser les contrées au-delà des mers ? — Les mêmes qui inventent la poudre ne s'avancent pas dans la chimie et ne se font point de canons ; ils la dissipent en artifices et en vains amusements de la nuit.    La boussole, la poudre, l'imprimerie ont changé l'allure du monde. Les Chinois, qui les ont trouvées, ne s'aperçurent donc pas qu'ils tenaient les moyens de troubler indéfiniment le repos de la terre.    Voilà qui est un scandale pour nous. C'est à nous, qui avons au plus haut degré le sens de l'abus, qui ne concevons pas qu'on ne l'ait point et qu'on ne tire, de tout avantage et de toute occasion, les conséquences les plus rigoureuses et les plus excessives, qu'il appartenait de développer ces inventions jusqu'à l'extrême de leurs effets. Notre affaire n'est-elle point de rendre l'univers trop petit pour nos mouvements, et d'accabler notre esprit, non plus tant par l'infinité indistincte de ce qu'il ignore que par la quantité actuelle de tout ce qu'il pourrait et ne pourra jamais savoir?    Il nous faut aussi que les choses soient toujours plus intenses, plus rapides, plus précises, plus concentrées, plus surprenantes. Le nouveau, qui est cependant le périssable par essence, est pour nous une qualité si éminente, que son absence nous corrompt toutes les autres et que sa présence les remplace. A peine de nullité, de mépris et d'ennui, nous nous contraignons d'être toujours plus avancés dans les arts, dans les mœurs, dans la politique et dans les idées, et nous sommes formés à ne plus priser que l'étonnement et l'effet instantané de choc. César estimant qu'on n'avait rien fait, tant qu'il restait quelque chose à faire; Napoléon qui écrit : « Je ne vis jamais que dans deux ans «, semblent avoir communiqué cette inquiétude, cette intolérance à l'égard de tout ce qui est, à presque toute la race blanche. Nous sommes excités comme eux à ne rien faire qui ne détruise ce qui le précède, moyennant sa propre dissipation.    Il est à remarquer que cette tendance, que l'on pourrait croire créatrice, n'est pas, en réalité, moins automatique dans son procédé que la tendance contraire. Il arrive assez souvent que la poursuite systématique du neuf soit une forme de moindre action, une simple facilité.    Entre une société dont l'accélération est devenue une loi évidente, et une autre dont l'inertie est la propriété la plus sensible, les relations ne peuvent guère être symétriques, et la réciprocité, qui est la condition de l'équilibre, et qui définit le régime d'une véritable paix, ne saurait que difficilement exister.    Paul Valéry, Regards sur le monde actuel (1931).    Vous présenterez d'abord un résumé ou une analyse de ce texte (vous préciserez, au début de la copie, la nature de votre choix). Puis vous en dégagerez un problème auquel vous attachez un intérêt particulier; vous en préciserez les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question.   

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