Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans. Bossuet
Publié le 12/07/2011
Extrait du document
Considérez la princesse; représentez-vous cet esprit qui, répandu par tout son extérieur, en rendait les grâces si vives. Tout était esprit, tout était bonté. Affable à tous avec dignité, elle savait estimer les uns sans fâcher les autres: et, quoique le mérite fût distingué, la faiblesse ne se sentait pas dédaignée: quand quelqu'un traitait avec elle, il semblait qu'elle eût oublié son rang pour ne se soutenir que par sa raison; on ne s'apercevait presque pas qu'on parlât à une personne si élevée: on sentait seulement au fond de son cœur qu'on eût voulu lui rendre au centuple la grandeur dont elle se dépouillait si obligeamment. Fidèle en ses paroles, incapable de déguisement, sûre à ses amis, par la lumière et la droiture de son esprit elle les mettait à couvert des vains ombrages, et ne leur laissait à craindre que leurs propres fautes. Très reconnaissante des service, elle aimait à prévenir les injures par sa bonté; vive à ^s sentir, facile à les pardonner. Que dirai-je de sa libéralité? elle donnait non seulement avec joie, mais avec une hauteur d'âme qui marquait tout ensemble et le mépris du don et l'estime de la personne: tantôt par des paroles touchantes, tantôt même par son silence, elle relevait ses présents ; et cet art de donner agréablement, qu'elle avait si bien pratiqué durant sa vie, Va suivie, je le sais, jusqu'entre les bras de la mort. Avec tant de grandes et d'aimables qualités, qui eût pu lui refuser son admiration? mais avec son crédit, avec sa puissance, qui n'eût voulu s'attacher à elle? N'allait-elle pas gagner tous les cœurs? c'est-à-dire la seule chose qu'ont à gagner ceux à qui la naissance et la fortune semblent tout donner; et si cette haute élévation est un précipice affreux pour les chrétiens, ne puis-je pas dire, messieurs, pour me servir des paroles fortes du plus grave des historiens, « qu'elle allait être précipitée dans la gloire? « car quelle créature fut jamais plus propre à être l'idole du monde? Mais ces idoles que le monde adore, à combien de tentations délicates ne sont-elles pas exposées ? La gloire, il est vrai, les défend de quelques faiblesses, mais la gloire les défend-elle de la gloire même? ne s'adorent- elles pas secrètement? ne veulent-elles pas être adorées? que n'ont-elles pas à craindre de leur amour-propre? et que se peut refuser la faiblesse humaine pendant que le monde lui accorde tout? n'est-ce pas là qu'on apprend à faire servir à l'ambition, à la grandeur, à la politique, et la vertu et la religion et le nom de Dieu? La modération que le monde affecte n'étouffe pas les mouvements de vanité: là elle ne sert qu'à les cacher: et plus elle ménage le dehors, plus elle livre le cœur aux sentiments les plus délicats et les plus dangereux de la fausse gloire: on ne compte plus que soi-même, et on dit au fond de son cœur: « Je suis, et il n'y a que moi sur la terre. « En cet état, messieurs, la vie n'est-elle pas un péril? la mort n'est-elle pas une grâce? Que ne doit-on pas craindre de ses vices, si les bonnes qualités sont si dangereuses? N'est-ce donc pas un bienfait de Dieu d'avoir abrégé les tentations avec les jours de Madame; de l'avoir arrachée à sa propre gloire avant que cette gloire par son excès eût mis en hasard sa modération? Qu'importe que sa vie ait été si courte? jamais ce qui doit finir ne peut être long. Quand nous ne compterions point ses confessions plus exactes, ses entretiens de dévotion plus fréquents, son application plus forte à la piété dans les derniers temps de sa vie; ce peu d'heures saintement passées parmi les plus rudes épreuves et dans les sentiments les plus purs du christianisme tiennent lieu toutes seules d'un âge accompli. Le temps a été court, je l'avoue, mais l'opération de la grâce a été forte, mais la fidélité de l'âme a été parfaite. C'est l'effet d'un art consommé de réduire en petit tout un grand ouvrage: et la grâce, cette excellente ouvrière, se plaît quelquefois à renfermer en un jour la perfection dune longue vie. Je sais que Dieu ne veut pas qu'on s'attende à de tels miracles: mais si la témérité insensée des hommes abuse de ses bontés, son bras pour cela n'est pas raccourci et sa main n'est pas affaiblie. Je me confie pour Madame en cette miséricorde, qu'elle a si sincèrement et si humblement réclamée. Il semble que Dieu ne lui ait conservé le jugement libre jusqu'au dernier soupir qu'afin de faire durer les témoignages de sa foi. Elle a aimé en mourant le Sauveur Jésus; les bras lui ont manqué plutôt que l'ardeur d'embrasser la croix.
L'ensemble. — Certains passages des oraisons funèbres de Bossuet sont entièrement historiques. Le début de celui-ci en est un exemple. Tous les détails qu'il donne sur la personne de la duchesse d'Orléans, sur ses goûts et sur son rôle dans la société, intéressent directement l'Histoire; c'est d'ailleurs surtout chez Bossuet que nous allons puiser quand nous voulons connaître Henriette d'Angleterre. Mais, plus encore qu'historien, Bossuet est prêtre. Dans la deuxième partie de ce morceau, il cherche, avant tout, à dégager du récit de la vie et de la mort de la princesse des éléments d'édification, des exemples de piété, d'esprit de sacrifice et d'amour de Dieu. On voit ici comment Bossuet a transformé l'Oraison funèbre en lui donnant toute la valeur d'un sermon.
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