Nouvelles lettres d'un voyageur quoi bon vivre, puisque les vrais biens de la vie, les joies du coeur et de la pensée, sont aussi fragiles que la propriété des choses matérielles?
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
partis vivent, chantent et pensent maintenant une octave plus haut que nous; c'est pourquoi nous ne les
entendons plus; mais nous savons bien que le choeur sacré des âmes n'est pas muet et que notre partie y est
écrite et nous attend.
Au delà, oui, au delà! Faut-il s'inquiéter de ce peu de notes que nous avons à dire encore? Et, quand nous
avons souhaité le bonsoir au vivant qui ferme la porte et descend l'escalier, savons-nous si ce mot n'est pas le
dernier que nous aurons dit dans la langue des hommes?
Vivre est un bonheur quand même, parce que la vie est un don; mais il y a bien des jours, dans notre éphémère
existence humaine, où nous ne sentons pas ce bonheur.
Ce n'est pas la faute de l'univers! Les personnalités
puissantes souffrent moins que les autres.
Elles traversent les crises avec une vaillance extraordinaire, et,
quand elles sont forcées de descendre dans les abîmes du doute et de la douleur, elles remontent, les mains
pleines de poésies sublimes.
Tel vous êtes, ô poëte que nous admirons! dans la tempête, vous chantez plus haut que la foudre, et, quand un
rayon de soleil vous enivre, vous avez l'exubérante gaieté du printemps.
Si tout est gris et morne autour de
vous, votre âme se met à l'unisson des heures pâles et lugubres; mais vous chantez toujours et vous voyez,
vous sentez, même sous l'impression accablante du néant, la profondeur des choses cachées sous le silence et
l'ombre.
Ce mutisme intérieur des coeurs brisés, cette surdité subite de l'esprit fermé à tous les
renouvellements du dehors, vous ne les connaissez pas.
Cela est heureux pour nous, car votre voix est un
événement dans nos destinées, et, quand nous n'entendons plus celle de la nature, vous parlez pour elle et vous
nous forcez d'écouter.
Il faut donc s'éveiller, et demander à votre immense vitalité un souffle qui nous ranime.
Nul n'a le droit d'être indifférent quand votre fanfare retentit.
C'est un appel à la vie, à la force, à la croyance, à
la reconnaissance que nous devons à l'auteur du beau dans l'univers.
Ne pas vous écouter, c'est être ingrat
envers lui, car personne ne le connaît et ne le célèbre comme vous.
La poésie, la grande poésie! quelle arme dans les mains de l'homme pour combattre l'horreur du doute! La
philosophie est belle et grande, soit qu'elle rejette, soit qu'elle affirme l'espérance.
Elle aussi fouille les
profondeurs, éclaire les abîmes et relève énergiquement la puissance intellectuelle.
Par elle, celui-ci, qui croit
au néant, se dévoue à tripler les forces de son être pour marquer son passage en ce monde.
Par elle encore,
celui-là, qui croit à sa propre immortalité, se rend digne d'un monde meilleur.
Appel à la libre raison sur toute
la ligne! Travail généreux de la pensée qui cherche Dieu toujours, quand même elle le nie!
Mais voici venir la poésie.
Celle-ci ne raisonne ni ne discute, elle s'impose.
Elle vous saisit, elle vous enlève
au-dessus même de la région où vous vous sentiez libres.
Vous pouvez bien encore discuter ses audaces et
rejeter ses promesses, mais vous n'en êtes pas moins la proie de l'émotion qu'elle suscite.
C'est ce cheval
fantastique qui de son vol puissant sépare les nuées et embrasse les horizons.
Le poëte l'appelle monstrueux et
divin.
Il est l'un et l'autre, mais qu'on l'aime classique, comme la Grèce, ou qu'il ait «l'échevèlement des
prophètes,» il a cela d'étrange et de surnaturel que chacun voudrait pouvoir le monter, et qu'au bruit
formidable de sa course, tout frémit du désir de s'envoler avec lui.
C'est la magie de cet art qui s'adresse à la partie la plus impressionnable de l'âme humaine, à l'imagination, au
sens de l'infini, et, si le poëte vous arrache ce cri: «C'est grand! c'est beau!» il a vaincu! Il a prouvé Dieu,
même sans parler de lui, car, à propos d'un brin d'herbe, il a fait palpiter en vous l'immortalité, il a fait jaillir
de vous cette flamme qui veut monter au-dessus du réel.
Il ne vous a pas dit comme le philosophe: «Croyez
ou niez, vous êtes libre.» Il vous a dit: «Voyez et entendez, vous voilà délivré.»
Au delà d'une certaine région où l'esprit humain ne peut plus affirmer rien, et où il craint de s'affirmer
lui-même, le poëte peut affirmer tout.
C'est le voyant qui regarde par-dessus toutes nos montagnes.
Qui osera
lui dire qu'il se trompe, s'il a fait passer en vous l'enthousiasme de l'inconnu, et si sa vision palpitante a fait
vibrer en vous une corde que la raison et la volonté laissaient muette? Nouvelles lettres d'un voyageur
II.
LES CHANSONS DES BOIS 6.
»
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