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Nouvelles lettres d'un voyageur Parmi ces fantaisies du commencement du dernier

Publié le 11/04/2014

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Nouvelles lettres d'un voyageur Parmi ces fantaisies du commencement du dernier siècle que stigmatisaient déjà les puristes venus de France trente ou quarante ans plus tard, il en est effectivement de fort laides dans leur détail: mais l'ensemble en est presque toujours agréable, coquet et amusant pour les yeux. C'est dans leurs jardins surtout que les seigneurs italiens déployaient ces richesses d'invention puériles que l'on ne voit pourtant pas disparaître sans regret: Les grandes girandes, immenses constructions de lave, de mosaïque et de ciment, qui, du haut d'une montagne, font descendre en mille cascades tournantes et jaillissantes les eaux d'un torrent jusqu'au seuil d'un manoir; Les grandes cours intérieures, sortes de musées de campagne, où, à côté d'une vasque sortie des villas de Tibère, grimace un triton du temps de Louis XIV, et où la madone sourit dans sa chapelle entourée de faunes et de dryades mythologiques; Le labyrinthe d'escaliers splendides dans le goût de Watteau, qui semblent destinés à quelque cérémonie de peuples triomphants, et qui conduisent à une maisonnette étonnée et honteuse de son gigantesque piédestal, ou tout bonnement à une plate-bande de tulipes très-communes; Les tapis de parterre, ouvrage de patience, qui consiste à dessiner sur le papier le pavé d'une vaste cour ou sur les immenses terrasses d'un jardin, des arabesques, des dessins de tenture, et surtout des armoiries de famille, avec des compartiments de fleurs, de plantes basses, de marbre, de faïence, d'ardoise et de brique; Les concerts hydrauliques, où des personnages en pierre et en bronze jouent de divers instruments mus par les eaux des girandes; Enfin les grottes de coquillages, les châteaux sarrasins en ruine, les jardiniers de granit, et mille autres drôleries qui font rire par la pensée qu'elles ont fait rire de bonne foi une génération plus naïve que la nôtre. Les plus belles girandes de la campagne de Rome sont à Frascati, dans les jardins de la villa Aldobrandini. Ces jardins ont été dessinés et ornés par Fontana, dans les flancs d'une montagne admirablement plantée et arrosée d'eaux vives. Dans un coin du parc, on s'est imaginé de creuser le roc en forme de mascaron, et de faire de la bouche de ce Polyphème une caverne où plusieurs personnes peuvent se mettre à l'abri. Les branches pendantes et les plantes parasites se sont chargées d'orner de barbe et de sourcils cette face fantastique reflétée dans un bassin. A la Rufinella (ou villa Tusculana), une autre fantaisie échappe au crayon par son étendue; c'est une rapide montée d'un kilomètre de chemin, plantée d'inscriptions monumentales en buis taillé. Et, chose étrange, sur cette terre papale dans la liste de cent noms illustres, choisis avec amour, on voit ceux de Voltaire et de Rousseau verdoyer sur la montagne, entretenus et tondus avec le même soin que ceux des écrivains orthodoxes et des poëtes sacrés. Je soupçonne que cette galerie herbagère a été composée par Lucien Bonaparte, autrefois propriétaire de la villa. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle a été respectée par les jésuites, possesseurs, après lui, de cette résidence pittoresque, et qu'elle l'est encore par la reine de Sardaigne, aujourd'hui propriétaire. En résumé, la vétusté de ces décorations princières, et l'état d'abandon où on les voit maintenant, leur prête un grand charme, et, de bouffonnes, toutes ces allégories, toutes ces surprises, toutes ces gaietés d'un autre temps, sont devenues mélancoliques et quasi austères. Le lierre embrasse souvent d'informes débris que l'on pourrait attribuer à des âges plus reculés; les racines des arbres centenaires soulèvent les marbres, et partout les eaux cristallines, restées seules vivantes et actives, s'échappent de leur prison de pierre pour chanter leur éternelle jeunesse sur ces ruines qu'un jour a vues naître et passer. VI. LES JARDINS EN ITALIE 67 Nouvelles lettres d'un voyageur VII. A MADAME ERNEST PÉRIGOIS[18] Deux amoureux sont là guettant la fleur charmante: Le papillon superbe et la bête rampante; L'une qui souille tout dans son embrassement, L'autre qui du pollen s'enivre follement. Femmes, talents, beautés, contemplez votre image; Toujours un ennemi s'abreuve de vos fleurs, Soit qu'il dévore, abject, la tige et le feuillage, Soit qu'il pille, imprudent, le parfum de vos coeurs! Nohant, 30 mai 1856 [Note 18: Écrit sur son album, au-dessous d'un dessin d'Alexandre Manceau représentant une corbeille de fleurs, un escargot et un papillon.] VIII. LES BOIS Dieu! que ne suis-je assise à l'ombre des fortis! Qui de vous, sans être dévoré de passions tragiques n'a soupiré, comme la Phèdre de Racine, après l'ombre et le silence des bois? Ce vers, isolé de toute situation particulière, est comme un cri de l'âme qui aspire au repos et à la liberté, ou plutôt à ce recueillement profond et mystérieux qu'on respire sous les grands arbres. Malheureusement, ces monuments de la nature deviennent chaque jour plus rares devant les besoins de la civilisation et les exigences de l'industrie. Comme il se passera encore peut-être des siècles avant que les besoins de la poésie et les exigences de l'art soient pris en considération par les sociétés, il est à présumer que le progrès industriel détruira de plus en plus les plantes séculaires, ou qu'il ne donnera de longtemps à aucune plante élevée le droit de vivre au delà de l'âge strictement nécessaire à son exploitation. Déjà la forêt de Fontainebleau a souffert de ces idées positives, et des provinces entières se sont dépouillées, à la même époque, de leurs grands chênes et de leurs pins majestueux. Nous savons tous, autour de nous, des endroits regrettés où, dans notre jeunesse, nous avons délicieusement rêvé sous des arbres impénétrables au soleil et à la pluie, et qui ne présentent plus que des sillons ensemencés ou d'humbles taillis. Ce n'est pas seulement en France que ces magnifiques ornements de la terre ont disparu. Dans nos voyages, nous les avons toujours cherchés et nous sommes convaincus que sur les grandes étendues de pays ils n'existent plus. On fait très-bien des journées de marche en France, en Italie et en Espagne, sans rencontrer un seul massif véritablement important, et, dans les forêts mêmes, il n'est presque plus de sanctuaires réservés au développement complet de la vie végétale. Un des plus beaux endroits de la terre serait le golfe de la Spezzia, sur la côte du Piémont, si les grands arbres n'y manquaient absolument. Montagnes gracieuses et fières, sol luxuriant de plantes basses, mouvements de terrain pittoresques, couleur chaude et variée des terrains mêmes, crêtes neigeuses dans le ciel, horizons maritimes merveilleusement encadrés, tout y est, excepté un seul arbre imposant. La montagne et la vallée ne demandent cependant qu'à en produire; mais, aussitôt qu'un pin vigoureux s'élance au-dessus des taillis jetés en pente jusqu'au bord des flots, la marine s'en empare, et même le jeune arbre, à peine grandi, est condamné à aller flotter sur le dos de la petite chaloupe côtière. Si, de là, vous suivez l'Apennin jusqu'à Florence, et de Florence jusqu'à Rome, vous trouvez partout, au sein d'une nature splendide de formes, sa plus belle parure, la haute végétation, absente par suite de l'aridité des VII. A MADAME ERNEST PÉRIGOIS[18] 68

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A MADAME ERNEST PÉRIGOIS[18] Deux amoureux sont là guettant la fleur charmante: Le papillon superbe et la bête rampante; L'une qui souille tout dans son embrassement, L'autre qui du pollen s'enivre follement. Femmes, talents, beautés, contemplez votre image; Toujours un ennemi s'abreuve de vos fleurs, Soit qu'il dévore, abject, la tige et le feuillage, Soit qu'il pille, imprudent, le parfum de vos coeurs! Nohant, 30 mai 1856 [Note 18: Écrit sur son album, au-dessous d'un dessin d'Alexandre Manceau représentant une corbeille de fleurs, un escargot et un papillon.] VIII.

LES BOIS Dieu! que ne suis-je assise à l'ombre des fortis! Qui de vous, sans être dévoré de passions tragiques n'a soupiré, comme la Phèdre de Racine, après l'ombre et le silence des bois? Ce vers, isolé de toute situation particulière, est comme un cri de l'âme qui aspire au repos et à la liberté, ou plutôt à ce recueillement profond et mystérieux qu'on respire sous les grands arbres. Malheureusement, ces monuments de la nature deviennent chaque jour plus rares devant les besoins de la civilisation et les exigences de l'industrie.

Comme il se passera encore peut-être des siècles avant que les besoins de la poésie et les exigences de l'art soient pris en considération par les sociétés, il est à présumer que le progrès industriel détruira de plus en plus les plantes séculaires, ou qu'il ne donnera de longtemps à aucune plante élevée le droit de vivre au delà de l'âge strictement nécessaire à son exploitation.

Déjà la forêt de Fontainebleau a souffert de ces idées positives, et des provinces entières se sont dépouillées, à la même époque, de leurs grands chênes et de leurs pins majestueux.

Nous savons tous, autour de nous, des endroits regrettés où, dans notre jeunesse, nous avons délicieusement rêvé sous des arbres impénétrables au soleil et à la pluie, et qui ne présentent plus que des sillons ensemencés ou d'humbles taillis. Ce n'est pas seulement en France que ces magnifiques ornements de la terre ont disparu.

Dans nos voyages, nous les avons toujours cherchés et nous sommes convaincus que sur les grandes étendues de pays ils n'existent plus.

On fait très-bien des journées de marche en France, en Italie et en Espagne, sans rencontrer un seul massif véritablement important, et, dans les forêts mêmes, il n'est presque plus de sanctuaires réservés au développement complet de la vie végétale. Un des plus beaux endroits de la terre serait le golfe de la Spezzia, sur la côte du Piémont, si les grands arbres n'y manquaient absolument.

Montagnes gracieuses et fières, sol luxuriant de plantes basses, mouvements de terrain pittoresques, couleur chaude et variée des terrains mêmes, crêtes neigeuses dans le ciel, horizons maritimes merveilleusement encadrés, tout y est, excepté un seul arbre imposant.

La montagne et la vallée ne demandent cependant qu'à en produire; mais, aussitôt qu'un pin vigoureux s'élance au-dessus des taillis jetés en pente jusqu'au bord des flots, la marine s'en empare, et même le jeune arbre, à peine grandi, est condamné à aller flotter sur le dos de la petite chaloupe côtière. Si, de là, vous suivez l'Apennin jusqu'à Florence, et de Florence jusqu'à Rome, vous trouvez partout, au sein d'une nature splendide de formes, sa plus belle parure, la haute végétation, absente par suite de l'aridité des Nouvelles lettres d'un voyageur VII.

A MADAME ERNEST PÉRIGOIS[18] 68. »

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