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NICOLAS MACHIAVEL À FRANCESCO VETTORI (minute d'une lettre) Vous me demandez quel parti

Publié le 01/10/2013

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NICOLAS MACHIAVEL À FRANCESCO VETTORI (minute d'une lettre) Vous me demandez quel parti devrait prendre Sa Sainteté pour maintenir l'Église dans la réputation où elle l'a trouvée, au cas où la France, appuyée par l'Angleterre et Venise, voudrait à tout prix récupérer le Milanais, et où cette province serait défendue par les Suisses, l'Espagne et l'Empereur. C'est la plus i mportante de vos questions, car toutes les autres en dépendent ; il faut néanmoins éclaircir celles-ci pour éclaircir celle-là. Je ne crois pas qu'il se soit posé depuis vingt ans un plus grave problème ; je n'en connais aucun, parmi les problèmes passés, de plus difficile à résoudre, de plus incertain à juger et sur lequel il soit plus dangereux de se prononcer. Toutefois, puisque vous m'y forcez, je vais l'aborder et le discuterai, si ce n'est de façon à vous satisfaire, du moins de toute ma bonne foi. Quand on veut calculer les chances de succès de deux adversaires en guerre, il convient de mettre d'abord en balance leurs forces et leur valeur respectives. Les forces des rois de France et d'Angleterre consistent dans les préparatifs qu'ils font, dit-on, pour la conquête du Milanais : attaquer les Suisses par la Bourgogne avec vingt mille hommes, attaquer Milan avec des troupes plus nombreuses, attaquer la Navarre enfin avec des troupes plus nombreuses encore pour jeter la révolution et la confusion dans les États de l'Espagne ; équiper une forte flotte pour attaquer Gênes et Naples, ou partout ailleurs où ils trouveraient un avantage. Les préparatifs dont je parle sont possibles pour ces deux rois, ils sont indispensables à la victoire : je les crois donc réels. Et quoique vous ayez réservé pour votre dernière question celle de savoir si l'Angleterre se détacherait de la France parce qu'elle la verrait mal volontiers s'agrandir en Italie, je veux la discuter d'abord, parce que si l'Angleterre s'en détachait toute la question serait tranchée. Je crois que le motif pour lequel le roi d'Angleterre est allé s'emplâtrer avec le roi de France est le désir de prendre sur l' Espagne la revanche des torts qu'elle lui a fait subir tandis qu'il faisait la guerre à la France, ressentiment justifié et je ne vois rien qui puisse venir de sitôt l'effacer ni éteindre l'amitié des deux monarques. Je ne me laisse pas ébranler par l'antique inimitié entre Français et Anglais qui touche tant de gens, car les peuples veulent ce que veulent leurs rois et non les rois ce que veulent leurs peuples. Quant à la possibilité qu'il prenne ombrage d'un agrandissement de la France en Italie, cela ne pourrait naître que de l'envie ou de la crainte : de l'envie, si l'Angleterre ne pouvait acquérir de gloire d'un autre côté et devait rester oisive ; mais elle peut fort bien se couvrir de gloire en Espagne et toute cause de jalousie s'évanouit ; quant à la crainte, sachez qu'on peut étendre ses États sans devenir plus fort ; observez et constatez qu'en acquérant des possessions en Italie la France agrandit il est vrai ses États, mais, vis-à-vis de l'Angleterre, elle ne devient pas plus forte, car elle peut attaquer cette île avec les moyens tout aussi puissants, qu'elle possède ou non des États en Italie. Quant aux diversions auxquelles pourrait donner lieu la possession du Milanais, elles sont à redouter surtout pour la France, obligée de se maintenir dans un pays d'une fidélité douteuse, et qui n'a pu, même à prix d'argent, détourner les Suisses de l'attaquer ; ces derniers en effet, réellement attaqués par la France, deviendraient des ennemis véritables, et non tels qu'ils se sont montrés jusqu'à présent. Comme d'un autre côté il pourrait se faire que si la France acquérait le Milanais l'Angleterre renverse le gouver- nement de Castille, elle nuirait bien plus à la France par cette conquête que la France ne lui nuirait par celle de Milan. Je ne vois donc pas pourquoi l'Angleterre, dès les premiers heurts de cette guerre, aurait à séparer ses intérêts de ceux de la France ; et je maintiens que l'union entre les deux peuples et les préparatifs que j'ai dits sont nécessaires et possibles. Restent les Vénitiens dont le concours avec ces deux rois n'a pas plus d'importance que celui des forces du duché pour leurs adversaires : je regarde leurs ressources comme extrêmement faibles, si faibles qu'il suffirait pour les arrêter de la moitié des troupes stationnées en Lombardie. Si nous considérons les défenseurs de Milan, je vois les Suisses capables de mettre sur pied deux armées pour faire tête tant aux Français qui attaqueraient par la Bourgogne qu'à ceux qui marcheraient sur l'Italie ; en effet si tous les Suisses s'unissaient alors et que les Grisons et les Valaisans s'armaient en même temps que le reste des cantons, ils pourraient former une armée de plus de vingt mille hommes chacun. A l'égard de l'Empereur, comme je ne sais rien de ce qu'il peut bien faire, je ne veux pas rechercher de quoi il serait capable. Mais à totaliser Espagne, Empereur, Milan et Gênes, je doute qu'on puisse dépasser quinze mille hommes d'armes ; car l'Espagne, qui est dans le cas d'avoir à soutenir la guerre chez elle, ne pourra renouveler ses forces chez nous. Du côté de la mer, si l'argent ne leur manque pas, Génois et Espagnols pourront à mon avis armer une flotte assez nombreuse pour faire tête quelque temps à celle de leurs adversaires. Telle est je crois la situation exacte des forces en présence. Si l'on veut examiner maintenant de quel côté la victoire a le plus de chances de pencher, j'observe d'abord que les deux rois alliés, étant fort riches, peuvent tenir longtemps leurs armées sur pied ; que les autres, ne l'étant pas, ne le peuvent pas. Ainsi donc, compte tenu des forces militaires, des dispositions et des moyens financiers respectifs, je crois qu'on peut se risquer à pronostiquer une victoire pour les occupants de l'Italie, dans le cas seul d'une grande bataille immédiate ; mais que
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« pour attaquer Gênes et Naples, ou partout ailleurs où ils trouve- raient un avantage.

Les préparatifs dont je parle sont possibles pour ces deux rois, ils sont indispensables à la victoire : je les crois donc réels.

Et quoique vous ayez réservé pour votre der- nière question celle de savoir si l'Angleterre se détacherait de la France parce qu'elle la verrait mal volontiers s'agrandir en Italie, je veux la discuter d'abord, parce que si l'Angleterre s'en déta- chait toute la question serait tranchée.

Je crois que le motif pour lequel le roi d'Angleterre est allé s'emplâtrer avec le roi de France est le désir de prendre sur l' Espagne la revanche des torts qu'elle lui a fait subir tandis qu'il faisait la guerre à la France, ressentiment justifié et je ne vois rien qui puisse venir de sitôt l'effacer ni éteindre l'amitié des deux monarques.

Je ne me laisse pas ébranler par l'antique ini- mitié entre Français et Anglais qui touche tant de gens, car les peuples veulent ce que veulent leurs rois et non les rois ce que veulent leurs peuples.

Quant à la possibilité qu'il prenne ombrage d'un agrandisse- ment de la France en Italie, cela ne pourrait naître que de l'envie ou de la crainte : de l'envie, si l'Angleterre ne pouvait acquérir de gloire d'un autre côté et devait rester oisive ; mais elle peut fort bien se couvrir de gloire en Espagne et toute cause de jalou- sie s'évanouit ; quant à la crainte, sachez qu'on peut étendre ses États sans devenir plus fort ; observez et constatez qu'en acqué- rant des possessions en Italie la France agrandit il est vrai ses États, mais, vis-à-vis de l'Angleterre, elle ne devient pas plus forte, car elle peut attaquer cette île avec les moyens tout aussi puissants, qu'elle possède ou non des États en Italie.

Quant aux diversions auxquelles pourrait donner lieu la possession du Milanais, elles sont à redouter surtout pour la France, obligée de se maintenir dans un pays d'une fidélité douteuse, et qui n'a pu, même à prix d'argent, détourner les Suisses de l'attaquer ; ces derniers en effet, réellement attaqués par la France, devien- draient des ennemis véritables, et non tels qu'ils se sont montrés jusqu'à présent.

Comme d'un autre côté il pourrait se faire que si la France acquérait le Milanais l'Angleterre renverse le gouver-. »

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