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Nature et culture: Bronislaw MALINOWSKI & Claude LÉVI-STRAUSS

Publié le 13/06/2011

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culture

« L'homme n'est qu'un ensemble de fonctions et de besoins élémentaires : mais la véritable nature humaine réside dans les structures sociales, second milieu créé par l'homme. [...] « Il n'est pas d'activité humaine, concertée ou non, qui puisse passer pour "naturelle" ou instinctive. Même la respiration, les sécrétions internes, la circulation, la digestion s'inscrivent dans un milieu artificiel déterminé par la culture. [...] Examinons comment les instincts, les activités et les satisfactions se manifestent dans une situation culturelle. Il est clair que dans toute société humaine, la tradition se charge de remanier tous les instincts. Dynamiquement, ils font encore figure de tendances, mais de tendances modifiées, travaillées et déterminées par la tradition. On respire dans des espaces confinés, dans une maison, dans une cave, une mine, une usine. Il s'établit un compromis entre le besoin d'oxygène dans les poumons et le besoin de protection absolue pendant le sommeil, le travail ou les réunions. On laisse à des dispositifs culturels le soin de régler la température et l'aération. L'organisme s'adapte ou s'habitue et le degré de température ne se dose pas de la même façon en Angleterre, en Allemagne, en Italie ou en Russie. Autre complication qui vient modifier l'instinct d'oxygénation : les organes respiratoires sont aussi des organes articulatoires. Le compromis, l'adaptation de la respiration profonde à la pratique oratoire, à l'incantation magique, aux vocalises, constituent encore un domaine dans lequel l'acte culturel de respiration ne se confond pas avec l'acte physiologique. « On connaît les effets de la détermination culturelle sur la faim ou l'appétit, en somme sur les dispositions alimentaires. Les limites du savoureux, de l'admissible, du bon, les tabous d'ordre religieux, magique, hygiénique ou social dont on entoure la qualité des mets, leurs ingrédients et leur préparation ; la routine des horaires et des menus, on les trouvera dans notre civilisation, dans le judaïsme, l'islam, le brahmanisme et lé shintoïsme aussi bien que dans les cultures primitives. L'appétit sexuel, opiniâtre et toujours bridé, est lui aussi entouré de sévères interdits, comme celui de l'inceste, des abstinences, des voeux de chasteté, tantôt momentanés, tantôt définitifs. [...] « Bref, il serait puéril de négliger le fait que l'instinct qui engendre l'accomplissement physiologique le plus simple est aussi malléable et aussi esclave de la tradition qu'il est inéluctable à la longue, parce qu'il est précisément déterminé par des exigences physiologiques. On voit aussi pourquoi les instincts physiologiques ne peuvent pas exister à l'état simple dans une situation culturelle. «

Bronislaw MALINOWSKI, anthropologue anglais (1884-1942), Une théorie scientifique de la culture. Points, Le Seuil.

« De tous les principes avancés par les précurseurs de la sociologie, aucun n'a, sans doute, été répudié avec tant d'assurance que celui qui a trait à la distinction entre état de nature et état de société. On ne peut en effet se référer sans contradiction à une phase de l'évolution de l'humanité au cours de laquelle celle-ci, en l'absence de toute organisation sociale, n'en aurait pas moins développé des formes d'activités qui sont partie intégrante de la culture. Mais la distinction proposée peut comporter des interprétations plus valables. [...] « On commence à comprendre que la distinction entre état de nature et état de société, à défaut d'une signification historique acceptable, présente une valeur logique qui justifie pleinement son utilisation, par la sociologie moderne, comme un instrument de méthode. L'homme est un être biologique en même temps qu'un individu social. Parmi les réponses qu'il fournit aux excitations extérieures ou intérieures, certaines relèvent intégralement de sa nature, d'autres de sa condition : ainsi n'aura-t-on aucune peine à trouver l'origine respective du réflexe pupillaire et de la position prise par la main du cavalier au simple contact des rênes. Mais la distinction n'est pas toujours aussi aisée : souvent le stimulus physico-biologique et le stimulus psycho-social suscitent des réactions du même type et on peut se demander, comme le faisait déjà Locke, si la peur de l'enfant dans l'obscurité s'explique comme une manifestation de sa nature animale, ou comme le résultat des contes de sa nourrice. Plus encore : dans la majorité des cas, les causes ne sont même pas distinctes réellement, et la réponse du sujet constitue une véritable intégration des sources sociales et biologiques de son comportement. Ainsi, l'attitude de la mère envers son enfant, ou les émotions complexes du spectateur d'un défilé militaire. C'est que la culture n'est, ni simplement juxtaposée, ni simplement superposée à la vie. En un sens, elle se substitue à la vie, en un autre, elle l'utilise et la transforme, pour réaliser une synthèse d'un ordre nouveau. «

Claude LÉVI-STRAUSS, Les Structures élémentaires de la parenté.   

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