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Monsieur Parent --Il n'y avait personne que cette dame qui avait mal au ventre.

Publié le 11/04/2014

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Monsieur Parent --Il n'y avait personne que cette dame qui avait mal au ventre. C'est donc que l'abbé est prestidigitateur, comme Robert Houdin qui fait venir un bocal de poissons sous un tapis. --Tais-toi, voyons. C'est le bon Dieu qui l'a envoyé. --Mais où l'avait-il mis, le bon Dieu? Je n'ai rien vu, moi. Est-il entré par la portière, dis? Madame de Bridoie, impatientée, répliqua:--Voyons, c'est fini, tais-toi. Il est venu sous un chou comme tous les petits enfants. Tu le sais bien. --Mais il n'y avait pas de chou dans le wagon? Alors Gontran de Vaulacelles, qui écoutait avec un air sournois, sourit et dit: --Si, il y avait un chou. Mais il n'y a que monsieur l'abbé qui l'a vu. ÇA IRA J'étais descendu à Barviller uniquement parce que j'avais lu dans un guide (je ne sais plus lequel): Beau musée, deux Rubens, un Téniers, un Ribera. Donc je pensais: Allons voir ça. Je dînerai à l'hôtel de l'Europe, que le guide affirme excellent, et je repartirai le lendemain. Le musée était fermé: on ne l'ouvre que sur la demande des voyageurs; il fut donc ouvert à ma requête, et je pus contempler quelques croûtes attribuées par un conservateur fantaisiste aux premiers maîtres de la peinture. Puis je me trouvai tout seul, et n'ayant absolument rien à faire, dans une longue rue de petite ville inconnue, bâtie au milieu de plaines interminables, je parcourus cette artère, j'examinai quelques pauvres magasins; puis, comme il était quatre heures, je fus saisi par un de ces découragements qui rendent fous les plus énergiques. Que faire? Mon Dieu, que faire? J'aurais payé cinq cents francs l'idée d'une distraction quelconque! Me trouvant à sec d'inventions, je me décidai, tout simplement, à fumer un bon cigare et je cherchai le bureau de tabac. Je le reconnus bientôt à sa lanterne rouge, j'entrai. La marchande me tendit plusieurs boites au choix; ayant regardé les cigares, que je jugeai détestables, je considérai, par hasard, la patronne. C'était une femme de quarante-cinq ans environ, forte et grisonnante. Elle avait une figure grasse, respectable, en qui il me sembla trouver quelque chose de familier. Pourtant je ne connaissais point cette dame? Non, je ne la connaissais pas assurément? Mais ne se pouvait-il faire que je l'eusse rencontrée? Oui, c'était possible! Ce visage-là devait être une connaissance de mon oeil, une vieille connaissance perdue de vue, et changée, engraissée énormément sans doute? Je murmurai: --Excusez-moi, madame, de vous examiner ainsi, mais il me semble que je vous connais depuis longtemps. Elle répondit en rougissant: --C'est drôle... Moi aussi. ÇA IRA 75 Monsieur Parent Je poussai un cri:--Ah! Ça ira! Elle leva ses deux mains avec un désespoir comique, épouvantée de ce mot et balbutiant: --Oh! oh! Si on vous entendait.... Puis soudain elle s'écria à son tour:--Tiens, c'est toi, Georges! Puis elle regarda avec frayeur si on ne l'avait point écoutée. Mais nous étions seuls, bien seuls! «Ça ira.» Comment avais-je pu reconnaître «_Ça ira_», la pauvre Ça ira, la maigre Ça ira, la désolée Ça ira, dans cette tranquille et grasse fonctionnaire du gouvernement? Ça ira! Que de souvenirs s'éveillèrent brusquement en moi: Bougival, La Grenouillère, Chatou, le restaurant Fournaise, les longues journées en yole au bord des berges, dix ans de ma vie passés dans ce coin de pays, sur ce délicieux bout de rivière. Nous étions alors une bande d'une douzaine, habitant la maison Galopois, à Chatou, et vivant là d'une drôle de façon, toujours à moitié nus et à moitié gris. Les moeurs des canotiers d'aujourd'hui ont bien changé. Ces messieurs portent des monocles. Or notre bande possédait une vingtaine de canotières, régulières et irrégulières. Dans certains dimanches, nous en avions quatre; dans certains autres, nous les avions toutes. Quelques-unes étaient là, pour ainsi dire, à demeure, les autres venaient quand elles n'avaient rien de mieux à faire. Cinq ou six vivaient sur le commun, sur les hommes sans femmes, et, parmi celles-là, Ça ira. C'était une pauvre fille maigre et qui boitait. Cela lui donnait des allures de sauterelle. Elle était timide, gauche, maladroite en tout ce qu'elle faisait. Elle s'accrochait avec crainte, au plus humble, au plus inaperçu, au moins riche de nous, qui la gardait un jour ou un mois, suivant ses moyens. Comment s'était-elle trouvée parmi nous, personne ne le savait plus. L'avait-on rencontrée, un soir de pochardise, au bal des Canotiers et emmenée dans une de ces rafles de femmes que nous faisions souvent? L'avions-nous invitée à déjeuner, en la voyant seule, assise à une petite table, dans un coin. Aucun de nous ne l'aurait pu dire; mais elle faisait partie de la bande. Nous l'avions baptisée Ça ira, parce qu'elle se plaignait toujours de la destinée, de sa malechance, de ses déboires. On lui disait chaque dimanche: «Eh bien, Ça ira, ça va-t-il?» Et elle répondait toujours: «Non, pas trop, mais faut espérer que ça ira mieux un jour.» Comment ce pauvre être disgracieux et gauche était-il arrivé à faire le métier qui demande le plus de grâce, d'adresse, de ruse et de beauté? Mystère. Paris, d'ailleurs, est plein de filles d'amour laides à dégoûter un gendarme. Que faisait-elle pendant les six autres jours de la semaine? Plusieurs fois, elle nous avait dit qu'elle travaillait? A quoi? nous l'ignorions, indifférents à son existence. Et puis, je l'avais à peu près perdue de vue. Notre groupe s'était émietté peu à peu, laissant la place à une autre génération, à qui nous avions aussi laissé Ça ira. Je l'appris en allant déjeuner chez Fournaise de temps en temps. Nos successeurs, ignorant pourquoi nous l'avions baptisée ainsi, avaient cru à un nom d'Orientale et la nommaient Zaïra; puis ils avaient cédé à leur tour leurs canots et quelques canotières à là génération suivante. (Une génération de canotiers vit, en général, trois ans sur l'eau, puis quitte la Seine pour entrer dans la magistrature, la médecine ou la politique). Zaïra était alors devenue Zara, puis, plus tard, Zara s'était encore modifié en Sarah. On la crut alors israélite. ÇA IRA 76

« Je poussai un cri:—Ah! Ça ira! Elle leva ses deux mains avec un désespoir comique, épouvantée de ce mot et balbutiant: —Oh! oh! Si on vous entendait....

Puis soudain elle s'écria à son tour:—Tiens, c'est toi, Georges! Puis elle regarda avec frayeur si on ne l'avait point écoutée.

Mais nous étions seuls, bien seuls! «Ça ira.» Comment avais-je pu reconnaître «_Ça ira_», la pauvre Ça ira, la maigre Ça ira, la désolée Ça ira, dans cette tranquille et grasse fonctionnaire du gouvernement? Ça ira! Que de souvenirs s'éveillèrent brusquement en moi: Bougival, La Grenouillère, Chatou, le restaurant Fournaise, les longues journées en yole au bord des berges, dix ans de ma vie passés dans ce coin de pays, sur ce délicieux bout de rivière. Nous étions alors une bande d'une douzaine, habitant la maison Galopois, à Chatou, et vivant là d'une drôle de façon, toujours à moitié nus et à moitié gris.

Les moeurs des canotiers d'aujourd'hui ont bien changé.

Ces messieurs portent des monocles. Or notre bande possédait une vingtaine de canotières, régulières et irrégulières.

Dans certains dimanches, nous en avions quatre; dans certains autres, nous les avions toutes.

Quelques-unes étaient là, pour ainsi dire, à demeure, les autres venaient quand elles n'avaient rien de mieux à faire.

Cinq ou six vivaient sur le commun, sur les hommes sans femmes, et, parmi celles-là, Ça ira.

C'était une pauvre fille maigre et qui boitait.

Cela lui donnait des allures de sauterelle.

Elle était timide, gauche, maladroite en tout ce qu'elle faisait.

Elle s'accrochait avec crainte, au plus humble, au plus inaperçu, au moins riche de nous, qui la gardait un jour ou un mois, suivant ses moyens.

Comment s'était-elle trouvée parmi nous, personne ne le savait plus.

L'avait-on rencontrée, un soir de pochardise, au bal des Canotiers et emmenée dans une de ces rafles de femmes que nous faisions souvent? L'avions-nous invitée à déjeuner, en la voyant seule, assise à une petite table, dans un coin.

Aucun de nous ne l'aurait pu dire; mais elle faisait partie de la bande. Nous l'avions baptisée Ça ira, parce qu'elle se plaignait toujours de la destinée, de sa malechance, de ses déboires.

On lui disait chaque dimanche: «Eh bien, Ça ira, ça va-t-il?» Et elle répondait toujours: «Non, pas trop, mais faut espérer que ça ira mieux un jour.» Comment ce pauvre être disgracieux et gauche était-il arrivé à faire le métier qui demande le plus de grâce, d'adresse, de ruse et de beauté? Mystère.

Paris, d'ailleurs, est plein de filles d'amour laides à dégoûter un gendarme. Que faisait-elle pendant les six autres jours de la semaine? Plusieurs fois, elle nous avait dit qu'elle travaillait? A quoi? nous l'ignorions, indifférents à son existence. Et puis, je l'avais à peu près perdue de vue.

Notre groupe s'était émietté peu à peu, laissant la place à une autre génération, à qui nous avions aussi laissé Ça ira.

Je l'appris en allant déjeuner chez Fournaise de temps en temps. Nos successeurs, ignorant pourquoi nous l'avions baptisée ainsi, avaient cru à un nom d'Orientale et la nommaient Zaïra; puis ils avaient cédé à leur tour leurs canots et quelques canotières à là génération suivante. (Une génération de canotiers vit, en général, trois ans sur l'eau, puis quitte la Seine pour entrer dans la magistrature, la médecine ou la politique). Zaïra était alors devenue Zara, puis, plus tard, Zara s'était encore modifié en Sarah.

On la crut alors israélite.

Monsieur Parent ÇA IRA 76. »

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