Monsieur Bergeret a Paris --Oui, dit M.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Elle s'arrêta de manger du poulet et dit:
Papa, je t'admire.
Je suis fière de toi.
Tu es un grand homme.
C'est aussi l'avis de Riquet, le petit chien, dit M.
Bergeret.
II
Le mobilier du professeur fut emballé sous la surveillance de mademoiselle Zoé, et porté au chemin de fer.
Pendant les jours de déménagement, Riquet errait tristement dans l'appartement dévasté.
Il regardait avec
défiance Pauline et Zoé dont la venue avait précédé de peu de jours le bouleversement de la demeure naguère
si paisible.
Les larmes de la vieille Angélique, qui pleurait toute la journée dans la cuisine, augmentaient sa
tristesse.
Ses plus chères habitudes étaient contrariées.
Des hommes inconnus, mal vêtus, injurieux et
farouches, troublaient son repos et venaient jusque dans la cuisine fouler au pied son assiette à pâtée et son bol
d'eau fraîche.
Les chaises lui étaient enlevées à mesure qu'il s'y couchait et les tapis tirés brusquement de
dessous son pauvre derrière, que, dans sa propre maison, il ne savait plus où mettre.
Disons, à son honneur, qu'il avait d'abord tenté de résister.
Lors de l'enlèvement de la fontaine, il avait aboyé
furieusement à l'ennemi.
Mais à son appel personne n'était venu.
Il ne se sentait point encouragé, et même, à
n'en point douter, il était combattu.
Mademoiselle Zoé lui avait dit sèchement: «Tais-toi donc!» Et
mademoiselle Pauline avait ajouté: «Riquet, tu es ridicule!» Renonçant désormais à donner des avertissements
inutiles et à lutter seul pour le bien commun, il déplorait en silence les ruines de la maison et cherchait
vainement de chambre en chambre un peu de tranquillité.
Quand les déménageurs pénétraient dans la pièce où
il s'était réfugié, il se cachait par prudence sous une table ou sous une commode, qui demeuraient encore.
Mais cette précaution lui était plus nuisible qu'utile, car bientôt le meuble s'ébranlait sur lui, se soulevait,
retombait en grondant et menaçait de l'écraser.
Il fuyait, hagard et le poil rebroussé, et gagnait un autre abri,
qui n'était pas plus sûr que le premier.
Et ces incommodités, ces périls même, étaient peu de chose auprès des peines qu'endurait son coeur.
En lui,
c'est le moral, comme on dit, qui était le plus affecté.
Les meubles de l'appartement lui représentaient non des choses inertes, mais des êtres animés et bienveillants,
des génies favorables, dont le départ présageait de cruels malheurs.
Plats, sucriers, poêlons et casseroles,
toutes les divinités de la cuisine; fauteuils, tapis, coussins, tous les fétiches du foyer, ses lares et ses dieux
domestiques, s'en étaient allés.
Il ne croyait pas qu'un si grand désastre pût jamais être réparé.
Et il en recevait
autant de chagrin qu'en pouvait contenir sa petite âme.
Heureusement que, semblable à l'âme humaine, elle
était facile à distraire et prompte à l'oubli des maux.
Durant les longues absences des déménageurs altérés,
quand le balai de la vieille Angélique soulevait l'antique poussière du parquet, Riquet respirait une odeur de
souris, épiait la fuite d'une araignée, et sa pensée légère en était divertie.
Mais il retombait bientôt dans la
tristesse.
Le jour du départ, voyant les choses empirer d'heure en heure, il se désola.
Il lui parut spécialement funeste
qu'on empilât le linge dans de sombres caisses.
Pauline, avec un empressement joyeux, faisait sa malle.
Il se
détourna d'elle comme si elle accomplissait une oeuvre mauvaise.
Et, rencogné au mur, il pensait: «Voilà le
pire! C'est la fin de tout!» Et, soit qu'il crût que les choses n'étaient plus quand il ne les voyait plus, soit qu'il
évitât seulement un pénible spectacle, il prit soin de ne pas regarder du côté de Pauline.
Le hasard voulut qu'en
allant et venant, elle remarquât l'attitude de Riquet.
Cette attitude, qui était triste, elle la trouva comique et elle
se mit à rire.
Et, en riant, elle l'appela: «Viens! Riquet, viens!» Mais il ne bougea pas de son coin et ne tourna
pas la tête.
Il n'avait pas en ce moment le coeur à caresser sa jeune maîtresse et, par un secret instinct, par une
sorte de pressentiment, il craignait d'approcher de la malle béante.
Pauline l'appela plusieurs fois.
Et, comme il Monsieur Bergeret a Paris
II 6.
»
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