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Monsieur Bergeret a Paris --Et républicain?

Publié le 11/04/2014

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Monsieur Bergeret a Paris --Et républicain? --Mon Dieu! oui. Je vais vous expliquer. Il est royaliste... Alors, vous comprenez... --Ah! chère madame, ces républicains-là sont les meilleurs. Nous inscrirons le nom de M. de Gromance en belle place sur notre liste de nationalistes républicains. --Et vous croyez que Dieudonné passera? --Madame, je le crois. Nous avons pour nous l'évêché et beaucoup d'électeurs sénatoriaux qui, nationalistes de conviction et de sentiment, tiennent au gouvernement par leurs fonctions, leurs intérêts. Et, dans le cas d'un échec, qui ne peut être qu'honorable, M. de Gromance peut compter sur la reconnaissance de l'administration et du gouvernement. Je vous le dis en grand secret: Worms-Clavelin nous est favorable. --Alors, je ne vois pas d'inconvénient à ce que Dieudonné... --Vous m'assurez de son acceptation? --Voyez-le vous-même. --Il n'écoute que vous. --Vous croyez?... --J'en suis sûr. --Alors, c'est entendu. --Mais non, ce n'est pas entendu. Il y a des détails très délicats qu'on ne peut pas régler ainsi, dans la rue... Venez me voir. Je vous montrerai mes Baudouin. Venez demain. Et il lui souffla l'adresse à l'oreille, le numéro d'une rue déserte et languissante dans le quartier de l'Europe. C'est là qu'à une distance respectueuse de son appartement légal et spacieux des Champs-Elysées, il avait un petit hôtel, construit naguère pour un peintre mondain. --C'est donc bien pressé? --Si c'est pressé! Songez donc, chère madame, qu'il ne nous reste plus trois semaines pleines pour faire notre campagne électorale et que Brécé travaille le département depuis six mois. --Mais, est-ce qu'il est absolument nécessaire que j'aille voir vos?... --Mes Baudouin... C'est indispensable. --Croyez-vous? --Écoutez et jugez-en vous-même, chère madame. Le nom de votre mari exerce un certain prestige, je ne le nie point, sur les populations rurales, principalement dans les cantons où il est peu connu. Mais je ne puis vous cacher que lorsque j'ai proposé de l'introduire dans notre liste, des résistances se sont produites. Elles subsistent encore. Il faut que vous me donniez la force de les vaincre. Il faut que je puise dans votre... dans votre amitié, cette volonté irrésistible qui... Enfin, je sens que si vous ne m'accordez pas toute votre XVIII 65 Monsieur Bergeret a Paris sympathie, je n'aurai pas l'énergie nécessaire pour... --Mais ce n'est pas très correct d'aller voir vos... --Oh! à Paris!... --Si j'y vais, ce sera bien pour la patrie et pour l'armée. Il faut sauver la France. --C'est mon avis. --Faites bien mes amitiés à madame Panneton. --Je n'y manquerai pas, chère madame. A demain. XIX Il y a dans le petit hôtel de M. Félix Panneton une grande pièce qui servait autrefois d'atelier au peintre mondain, et que le nouveau propriétaire meubla avec la magnificence d'un gros amateur de curiosités et la sagesse d'un savant ami des femmes. M. Panneton y disposa avec art, dans un ordre déterminé, des canapés, des sofas, des divans de formes diverses. En entrant, le regard, promené de droite à gauche, rencontrait d'abord un petit canapé de soie bleue, dont les bras à col de cygne rappelaient le temps où Bonaparte à Paris, comme autrefois Tibère à Rome, restaurait les moeurs; puis un autre canapé, moins étroit, en beauvais, avec des accotoirs de tapisserie; puis une duchesse en trois parties, garnie de soie; puis un petit sofa de bois, à la capucine, couvert de tapisserie de point à la turque; puis un grand sofa de bois doré, couvert de velours cramoisi ciselé, avec son matelas pareil, provenant de mademoiselle Damours; puis un vaste divan bas, mollement rembourré, en satin ponceau. Au delà il n'y avait plus qu'un amas chancelant de coussins moelleux, sur un divan oriental, très bas, qui, tout baigné d'une ombre rose, touchait à la chambre des Baudouin, à gauche. Comme de la porte on embrassait d'un coup d'oeil tous ces sièges, chaque visiteuse pouvait choisir celui qui convenait le mieux à son caractère moral et à l'état présent de son âme. Panneton, dès l'abord, observait les amies nouvelles, épiait leurs regards, s'étudiait à deviner leurs préférences et prenait soin de ne les faire asseoir que là où elles voulaient être assises. Les plus pudiques allaient droit au petit canapé bleu et posaient leur main gantée sur le col de cygne. Il y avait même un haut fauteuil de velours de Gênes et de bois doré, trône autrefois d'une duchesse de Modène et de Parme, qui était pour les orgueilleuses. Les Parisiennes s'asseyaient tranquillement dans le canapé de beauvais. Les princesses étrangères marchaient d'ordinaire vers l'un ou l'autre sofa. Grâce à cette disposition judicieuse des meubles de conversation, Panneton savait tout de suite ce qui lui restait à faire. Il était en état de garder toutes les convenances, averti de ne point tenter des passages trop brusques dans la succession nécessaire de ses attitudes, et aussi d'éviter à la visiteuse comme à lui-même des stations longues et inutiles entre les politesses de la porte et la vue des Baudouin. Ses démarches en prenaient une sûreté et une maîtrise qui lui faisaient honneur. Madame de Gromance montra tout de suite un tact dont Panneton lui sut gré. Sans regarder seulement le trône de Parme et de Modène, et laissant à sa droite le col de cygne consulaire, elle s'assit dans le beauvais fleuri, comme une Parisienne. Clotilde avait langui dans la petite noblesse agricole du département, un peu traîné avec de petits jeunes gens mal élevés. Mais le sens de la vie lui venait. Les embarras d'argent avaient beaucoup exercé son intelligence et elle commençait à comprendre le devoir social. Panneton ne lui déplaisait pas excessivement. Cet homme chauve, avec des cheveux très noirs collés aux tempes, de gros yeux hors de la tête, un air d'amoureux apoplectique, lui donnait un peu envie de rire et contentait ce besoin de comique qu'elle avait dans l'amour. Sans doute elle eût préféré un superbe garçon, mais elle était encline à la gaieté XIX 66

« sympathie, je n'aurai pas l'énergie nécessaire pour... —Mais ce n'est pas très correct d'aller voir vos... —Oh! à Paris!... —Si j'y vais, ce sera bien pour la patrie et pour l'armée.

Il faut sauver la France. —C'est mon avis. —Faites bien mes amitiés à madame Panneton. —Je n'y manquerai pas, chère madame.

A demain. XIX Il y a dans le petit hôtel de M.

Félix Panneton une grande pièce qui servait autrefois d'atelier au peintre mondain, et que le nouveau propriétaire meubla avec la magnificence d'un gros amateur de curiosités et la sagesse d'un savant ami des femmes.

M.

Panneton y disposa avec art, dans un ordre déterminé, des canapés, des sofas, des divans de formes diverses. En entrant, le regard, promené de droite à gauche, rencontrait d'abord un petit canapé de soie bleue, dont les bras à col de cygne rappelaient le temps où Bonaparte à Paris, comme autrefois Tibère à Rome, restaurait les moeurs; puis un autre canapé, moins étroit, en beauvais, avec des accotoirs de tapisserie; puis une duchesse en trois parties, garnie de soie; puis un petit sofa de bois, à la capucine, couvert de tapisserie de point à la turque; puis un grand sofa de bois doré, couvert de velours cramoisi ciselé, avec son matelas pareil, provenant de mademoiselle Damours; puis un vaste divan bas, mollement rembourré, en satin ponceau.

Au delà il n'y avait plus qu'un amas chancelant de coussins moelleux, sur un divan oriental, très bas, qui, tout baigné d'une ombre rose, touchait à la chambre des Baudouin, à gauche. Comme de la porte on embrassait d'un coup d'oeil tous ces sièges, chaque visiteuse pouvait choisir celui qui convenait le mieux à son caractère moral et à l'état présent de son âme.

Panneton, dès l'abord, observait les amies nouvelles, épiait leurs regards, s'étudiait à deviner leurs préférences et prenait soin de ne les faire asseoir que là où elles voulaient être assises.

Les plus pudiques allaient droit au petit canapé bleu et posaient leur main gantée sur le col de cygne.

Il y avait même un haut fauteuil de velours de Gênes et de bois doré, trône autrefois d'une duchesse de Modène et de Parme, qui était pour les orgueilleuses.

Les Parisiennes s'asseyaient tranquillement dans le canapé de beauvais.

Les princesses étrangères marchaient d'ordinaire vers l'un ou l'autre sofa.

Grâce à cette disposition judicieuse des meubles de conversation, Panneton savait tout de suite ce qui lui restait à faire.

Il était en état de garder toutes les convenances, averti de ne point tenter des passages trop brusques dans la succession nécessaire de ses attitudes, et aussi d'éviter à la visiteuse comme à lui-même des stations longues et inutiles entre les politesses de la porte et la vue des Baudouin.

Ses démarches en prenaient une sûreté et une maîtrise qui lui faisaient honneur. Madame de Gromance montra tout de suite un tact dont Panneton lui sut gré.

Sans regarder seulement le trône de Parme et de Modène, et laissant à sa droite le col de cygne consulaire, elle s'assit dans le beauvais fleuri, comme une Parisienne.

Clotilde avait langui dans la petite noblesse agricole du département, un peu traîné avec de petits jeunes gens mal élevés.

Mais le sens de la vie lui venait.

Les embarras d'argent avaient beaucoup exercé son intelligence et elle commençait à comprendre le devoir social.

Panneton ne lui déplaisait pas excessivement.

Cet homme chauve, avec des cheveux très noirs collés aux tempes, de gros yeux hors de la tête, un air d'amoureux apoplectique, lui donnait un peu envie de rire et contentait ce besoin de comique qu'elle avait dans l'amour.

Sans doute elle eût préféré un superbe garçon, mais elle était encline à la gaieté Monsieur Bergeret a Paris XIX 66. »

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