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Monsieur Bergeret a Paris --Et pour les honnêtes gens, répondit Lacrisse.

Publié le 11/04/2014

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Monsieur Bergeret a Paris --Et pour les honnêtes gens, répondit Lacrisse. Il ajouta avec une bienveillance pleine de dignité: --Je vous remercie, monsieur Bonnaud, et je vous prie de remercier en mon nom nos vaillants amis. Puis, se tournant vers Henri Léon, qui se tenait à son côté: --Léon, lui dit-il à l'oreille, rendez-moi un service, je vous prie: télégraphiez tout de suite à Monseigneur notre succès. Cependant des cris partaient de la rue joyeuse: --Vive Déroulède! vive l'Armée! vive la République! A bas les traîtres! à bas les juifs! Lacrisse se jeta en voiture au milieu des acclamations. La foule barrait la rue. Le baron israélite Golsberg se tenait à la portière. Il saisit la main du nouveau conseiller municipal. --J'ai voté pour vous, monsieur Lacrisse. Vous entendez, j'ai voté pour vous. Parce que, je vais vous dire, l'antisémitisme, c'est une blague--je le sais bien, et vous le savez comme moi--une pure blague, tandis que le socialisme, c'est sérieux. --Oui, oui. Adieu! monsieur Golsberg. Mais le baron ne le lâchait point. --Le socialisme, c'est le danger. M. Raimondin faisait des concessions aux collectivistes. C'est pourquoi j'ai voté pour vous, monsieur Lacrisse. Cependant la foule criait: --Vive Déroulède! Vive l'Armée! A bas les dreyfusards! A bas Raimondin! Mort aux juifs! Le cocher parvint à fendre le flot des électeurs. Joseph Lacrisse trouva madame de Bonmont chez elle, seule, émue, triomphante. Elle savait déjà. --Élu! lui dit-elle, le regard au ciel et les bras ouverts. Et ce nom d'élu, sur les lèvres d'une dame si pieuse, prenait un sens mystique. Elle le pressa dans ses beaux bras: --Ce dont je suis le plus heureuse, c'est que tu me dois ton élection. Elle n'y avait pas contribué de ses deniers. Les fonds, certes, n'avaient pas manqué, et le candidat nationaliste avait puisé à plus d'une caisse. Mais la tendre Elisabeth n'avait rien donné, et Joseph Lacrisse ne comprenait pas ce qu'elle voulait dire. Elle s'expliqua: XXIII 77 Monsieur Bergeret a Paris --J'ai fait brûler tous les jours un cierge à saint Antoine. C'est pourquoi tu as eu ta majorité. Saint Antoine accorde tout ce qu'on lui demande. Le père Adéodat me l'a affirmé et j'en ai fait l'expérience plusieurs fois. Elle le couvrit de baisers. Et une idée lui vint, qu'elle trouvait belle et rappelant les usages de la chevalerie. Elle lui demanda: --Mon ami, les conseillers municipaux portent une écharpe, n'est-ce pas? Ces écharpes sont brodées, dis?... Je veux t'en broder une... Il était très fatigué. Il tomba accablé dans un fauteuil. Mais elle, agenouillée à ses pieds, murmura: --Je t'aime! Et la nuit seule entendit le reste. Ce même soir, Anselme Raimondin apprit le résultat de l'élection dans son petit logement «d'enfant du quartier», comme il disait. Il y avait sur la table de la salle à manger une douzaine de litres de vin et un pâté froid. Son échec l'étonna. --Je m'y attendais, dit-il. Et il fit une pirouette. Il la fit mal et se tordit le pied. --C'est ta faute, lui dit en manière de consolation le docteur Maufle, président de son Comité, vieux radical à face de Silène. Tu as laissé empoisonner le quartier par les nationalistes; tu n'as pas eu le courage de les combattre. Tu n'as rien tenté pour dévoiler leurs mensonges. Au contraire, tu as, comme eux, avec eux, entretenu toutes les équivoques. Tu savais la vérité, tu n'as pas osé détromper les électeurs quand il en était temps encore. Tu as été lâche. Tu es battu, c'est bien fait! Anselme Raimondin haussa les épaules. --Tu es un vieil enfant, Maufle. Tu ne comprends pas le sens de cette élection. Il est pourtant bien clair. Mon échec n'a qu'une cause: le mécontentement des petits boutiquiers écrasés entre les grands magasins et les sociétés coopératives. Ils souffrent; ils m'ont fait payer leurs souffrances. Voilà tout. Et avec un pâle sourire: --Ils seront bien attrapés! XXIV M. Bergeret, rencontrant dans une allée du Luxembourg MM. Goubin et Denis, ses élèves: --J'ai, dit-il, une heureuse nouvelle à vous annoncer, messieurs. La paix de l'Europe ne sera pas troublée. Les Trublions eux-mêmes m'en ont donné l'assurance. Et voici ce que conta M. Bergeret: --J'ai rencontré Jean Coq, Jean Mouton, Jean Laiglon et Gilles Singe qui, à l'Exposition, épiaient le craquement des passerelles. Jean Coq s'approcha de moi et m'adressa ces paroles sévères: XXIV 78

« —J'ai fait brûler tous les jours un cierge à saint Antoine.

C'est pourquoi tu as eu ta majorité.

Saint Antoine accorde tout ce qu'on lui demande.

Le père Adéodat me l'a affirmé et j'en ai fait l'expérience plusieurs fois. Elle le couvrit de baisers.

Et une idée lui vint, qu'elle trouvait belle et rappelant les usages de la chevalerie. Elle lui demanda: —Mon ami, les conseillers municipaux portent une écharpe, n'est-ce pas? Ces écharpes sont brodées, dis?... Je veux t'en broder une... Il était très fatigué.

Il tomba accablé dans un fauteuil.

Mais elle, agenouillée à ses pieds, murmura: —Je t'aime! Et la nuit seule entendit le reste. Ce même soir, Anselme Raimondin apprit le résultat de l'élection dans son petit logement «d'enfant du quartier», comme il disait.

Il y avait sur la table de la salle à manger une douzaine de litres de vin et un pâté froid.

Son échec l'étonna. —Je m'y attendais, dit-il. Et il fit une pirouette.

Il la fit mal et se tordit le pied. —C'est ta faute, lui dit en manière de consolation le docteur Maufle, président de son Comité, vieux radical à face de Silène.

Tu as laissé empoisonner le quartier par les nationalistes; tu n'as pas eu le courage de les combattre.

Tu n'as rien tenté pour dévoiler leurs mensonges.

Au contraire, tu as, comme eux, avec eux, entretenu toutes les équivoques.

Tu savais la vérité, tu n'as pas osé détromper les électeurs quand il en était temps encore.

Tu as été lâche.

Tu es battu, c'est bien fait! Anselme Raimondin haussa les épaules. —Tu es un vieil enfant, Maufle.

Tu ne comprends pas le sens de cette élection.

Il est pourtant bien clair.

Mon échec n'a qu'une cause: le mécontentement des petits boutiquiers écrasés entre les grands magasins et les sociétés coopératives.

Ils souffrent; ils m'ont fait payer leurs souffrances.

Voilà tout. Et avec un pâle sourire: —Ils seront bien attrapés! XXIV M.

Bergeret, rencontrant dans une allée du Luxembourg MM.

Goubin et Denis, ses élèves: —J'ai, dit-il, une heureuse nouvelle à vous annoncer, messieurs.

La paix de l'Europe ne sera pas troublée.

Les Trublions eux-mêmes m'en ont donné l'assurance. Et voici ce que conta M.

Bergeret: —J'ai rencontré Jean Coq, Jean Mouton, Jean Laiglon et Gilles Singe qui, à l'Exposition, épiaient le craquement des passerelles.

Jean Coq s'approcha de moi et m'adressa ces paroles sévères: Monsieur Bergeret a Paris XXIV 78. »

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