Mon enfant est mort hier, - c'était aussi ton enfant.
Publié le 30/10/2013
Extrait du document
«
détresse
lesfemmes lesplus pauvres, lesréprouvées, lesoubliées, làau milieu delaplus rebutante misère,c’est
là que l’enfant, tonenfant, estvenu aumonde.
C’estàmourir, cethôpital ; toutvous yest étranger, étranger,
étranger ; etnous nousregardions commedesétrangères, nousquigisions là,solitaires, etmutuellement pleines
de haine, nousqueseuls lamisère etles mêmes tourments avaientcontraintes àprendre placedanscette salle, à
l’atmosphère viciée,emplie dechloroforme etde sang, decris etde gémissements.
Toutceque lapauvreté doit
subir d’humiliations, d’outragesmorauxetphysiques, jel’ai souffert, danscette promiscuité avecdesprostituées
et des malades quifaisaient delacommunauté denotre sortunecommune infamie…Souslecynisme deces
jeunes médecins qui,avec unsourire d’ironie, relevaient ledrap delitetpalpaient lecorps delafemme sans
défense, sousunfaux prétexte desouci scientifique… Enprésence delacupidité desinfirmières.
Oh !Là-bas, la
pudeur humaine nerencontre quedesregards quilacrucifient etdes paroles quilaflagellent.
Votrenomsurune
pancarte, c’esttoutcequi reste devous, carcequi gîtdans lelit n’est qu’un paquet dechair pantelante, que
tâtent lescurieux etqui n’est plusqu’un objetd’exhibition etd’étude.
Oh !elles nesavent pas,lesfemmes qui
donnent desenfants àleur mari auxpetits soins, dansleurpropre maison, ceque c’est quedemettre aumonde
un enfant lorsqu’on setrouve seule,sansprotection etcomme surune table d’expérimentation médicale.
Aujourd’hui encore,quandjerencontre dansunlivre lemot “enfer”, jepense immédiatement, malgrémoi,à
cette sallebondée danslaquelle, parmilesmauvaises odeurs,lesgémissements, lesrires etles cris sanglants de
femmes entassées, j’aitant souffert, –àcet abattoir delapudeur.
Pardonne-moi, pardonne-moideteparler decela ! Maisc’estlaseule foisque jelefais, jene t’en parlerai
jamais plus,jamais plus.Pendant onzeansjen’en aidit mot etbientôt jeserai muette pourl’éternité.
Jedevais
le crier unefois, ceque m’avait coûtécetenfant quiétait mafélicité etqui àprésent estlà,inanimé.
Jeles avais
déjà oubliées, cesheures-là, depuislongtemps oubliées,danslesourire, danslavoix del’enfant, dansmon
bonheur ; maismaintenant qu’ilestmort, monsupplice, lui,estdevenu vivant,etj’avais besoin desoulager mon
âme enlecriant unefois, cette seule fois.
Mais cen’est pastoique j’accuse ; jen’accuse queDieu, rienqueDieu quiavoulu cesupplice absurde.
Jene
t’accuse pas,jelejure, etjamais dansmacolère jene me suis dressée contretoi.Même àl’heure oùmon corps se
tordait danslesdouleurs, mêmelorsque devantlesjeunes externes, ilbrûlait dehonte ensubissant les
attouchements deleurs regards, mêmeàla seconde oùladouleur medéchira l’âme,jamais jene t’ai accusé
devant Dieu,jamais jen’ai regretté nosnuits ; jamais monamour pourtoin’a subi l’atteinte d’unreproche dema
part ; toujours jet’ai aimé, toujours j’aibéni l’heure oùjet’ai rencontré.
Etdussé-je denouveau traverser l’enfer
de ces heures-là, quandbienmême jesaurais d’avance cequi m’attend, ômon bien-aimé, jereferais encoreune
fois ceque j’aifait, encore unefois, encore millefois !
Notre enfant estmort hier.Tunel’as jamais connu.
Jamais, mêmedansunefugitive rencontre, dueau
hasard, cepetit êtreenfleur, nédeton être, n’afrôlé enpassant tonregard.
Dèsquej’eus cetenfant, jeme tins
cachée àtes yeux pendant longtemps.
Monardent amour pourtoiétait devenu moinsdouloureux ; jecrois
même quejene t’aimais plusaussi passionnément ; toutaumoins, monamour neme faisait plusautant
souffrir.
Jene voulais pasmepartager entretoietlui ; aussi jeme consacrai nonpasàtoi, quiétais heureux et
vivais endehors demoi, mais àcet enfant quiavait besoin demoi, quejedevais nourrir, quejepouvais prendre
dans mesbras etcouvrir debaisers.
Jesemblais délivréedutrouble quetuavais jetédans monâme, arrachée à
mon mauvais destin,sauvéeenfinparcetautre toi-même, maisquiétait vraiment àmoi ; etce n’était plusque
rarement, toutàfait rarement, quemapassion seportait humblement au-devantdetamaison.
Jene faisais
qu’une chose : àton anniversaire, jet’envoyais régulièrement unbouquet deroses blanches, exactement
pareilles àcelles quetum’avais offertes aprèsnotrepremière nuitd’amour.
T’es-tujamaisdemandé ences dix,
en ces onze années, quiteles envoyait ? T’es-tusouvenu, peut-être, decelle àqui tuas donné, unjour, desroses
pareilles ? Jel’ignore etjene connaîtrai jamaistaréponse.
Ilme suffisait, quantàmoi, deteles offrir
secrètement etde faire éclore, unefoischaque année,lesouvenir decet instant.
Tu nel’as jamais connu, notrepauvre petit.Aujourd’hui, jem’en veuxdel’avoir dérobé àtes yeux, cartu
l’aurais aimé.Jamais tune l’as connu, lepauvre enfant, jamaistune l’as vusourire, quandilsoulevait
légèrement sespaupières etque sesyeux noirs etintelligents –tes yeux ! –jetaient surmoi, surlemonde entier,
leur lumière claireetjoyeuse.
Ah !ilétait sigai, sicharmant : toutelalégèreté deton être seretrouvait danscet
enfant ; tonimagination viveetremuante serenouvelait enlui ; pendant desheures entières, ilpouvait s’amuser
follement avecunobjet, comme toituprends plaisiràjouer aveclavie ; puis onlevoyait redevenir sérieuxetse
tenir assisdevant seslivres, lessourcils froncés.
Saressemblance avectoigrandissait chaquejour.Déjàmême
commençait àse développer enlui, visiblement, cettedualité desérieux etd’enjouement quit’est propre ; etplus
il te ressemblait, plusjel’aimais.
Ilapprenait bien,etbavardait enfrançais commeunepetite pie ;sescahiers
étaient lesplus propres delaclasse ; aveccela, comme ilétait gentil, élégant, danssoncostume develours noir
ou dans sapetite marinière blanche !Partoutoùilallait, ilétait toujours leplus distingué ; quandjepassais avec
lui sur laplage deGrado {23}.
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