Maurice Maeterlinck, L'Intelligence des Fleurs
Publié le 31/03/2011
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... Pour rentrer dans la logique naturelle que suivent tous les autres êtres vivants, s'il nous est permis d'user d'armes extraordinaires contre nos ennemis d'un ordre différent, nous devrions, entre nous, hommes, ne nous servir que des moyens d'attaque et de défense fournis par notre propre corps. Dans une humanité qui se conformerait strictement au vœu évident de la nature, le poing, qui est à l'homme ce que la corne est au taureau, et au lion la griffe et la dent, suffirait à tous nos besoins de protection, de justice et de vengeance. Sous peine de crime irrémissible (l) contre les lois essentielles de l'espèce, une race plus sage interdirait tout autre mode de combat. Au bout de quelques générations, on parviendrait à répandre ainsi et à mettre en vigueur une sorte de respect panique de la vie humaine. Et quelle sélection prompte et dans le sens exact des volontés de la nature amènerait la pratique intensive du pugilat, où se concentreraient toutes les espérances de la gloire militaire ! Or la sélection est, après tout, la seule chose réellement importante dont nous ayons à nous préoccuper; c'est le premier, le plus vaste et le plus éternel, de nos devoirs envers l'espèce. En attendant, l'étude de la boxe nous donne d'excellentes leçons d'humilité et jette sur la déchéance de quelques-uns de nos instincts les plus précieux une lumière assez inquiétante. Nous nous apercevons bientôt qu'en tout ce qui concerne l'usage de nos membres, l'agilité, l'adresse, la force musculaire, la résistance à la douleur, nous sommes tombés au dernier rang des mammifères ou des batraciens. A ce point de vue, dans une hiérarchie bien comprise, nous aurions droit à une modeste place entre la grenouille et le mouton. Le coup de pied du cheval, de même que le coup de corne du taureau ou le coup de dent du chien sont mécaniquement et anatomiquement imperfectibles. Il serait impossible d'améliorer, par les plus savantes leçons, l'usage instinctif de leurs armes naturelles. Mais nous, les « hominiens «, les plus orgueilleux des primates, nous ne savons pas donner un coup de poing. Nous ne savons même pas quelle est au juste l'arme de notre espèce! Avant qu'un maître ne nous l'ait laborieusement et méthodiquement enseignée, nous ignorons totalement la manière de mettre en œuvre et de concentrer dans notre bras la force relativement énorme qui réside dans notre épaule et dans notre bassin. Regardez deux charretiers, deux paysans qui en viennent aux mains : rien n'est plus pitoyable. Après une copieuse et dilatoire bordée d'injures et de menaces, ils se saisissent à la gorge et aux cheveux, jouent des pieds, du genou, au hasard, se mordent, s'égratignent, s'empêtrent dans leur rage immobile, n'osent pas lâcher prise, et si l'un d'eux parvient à dégager un bras, il en porte, à l'aveuglette et le plus souvent dans le vide, de petits coups précipités, étriqués, bredouillés; et le combat ne finirait jamais si le couteau félon, évoqué (*) par la honte du spectacle incongru, ne surgissait soudain, presque spontanément, de l'une ou l'autre poche. Contemplez, d'autre part, deux boxeurs : pas de mots inutiles, pas de tâtonnements, pas de colère ; le calme de deux certitudes qui savent ce qu'il faut faire. L'attitude athlétique de la garde, l'une des plus belles du corps viril, met logiquement en valeur tous les muscles de l'organisme. Aucune parcelle de force qui, de la tête aux pieds, puisse encore s'égarer. Chacune d'elles a son pôle dans l'un ou l'autre des deux poings massifs surchargés d'énergie. Et quelle noble simplicité dans l'attaque ! Trois coups, sans plus, fruits d'une expérience séculaire, épuisent mathématiquement les mille possibilités inutiles où s'aventurent les profanes. Trois coups synthétiques, irrésistibles, imperfectibles.
Dès que l'un d'eux atteint franchement l'adversaire, la lutte est terminée à la satisfaction complète du vainqueur qui triomphe si incontestablement qu'il n'a nul désir d'abuser de sa victoire, et sans dangereux dommage pour le vaincu simplement réduit à l'impuissance et à l'inconscience durant le temps nécessaire pour que toute rancune s'évapore. Bientôt après, ce vaincu se relèvera sans avarie durable, parce que la résistance de ses os et de ses organes est strictement et naturellement proportionnée à la puissance de l'arme humaine qui l'a frappé et terrassé. Maurice Maeterlinck, L'Intelligence des Fleurs, 1907. in Prouteau Gilbert, Anthologie des textes sportifs de la littérature. 1. Vous résumerez le texte en 190 mots. Une marge de 10 % en plus ou en moins est admise. Vous indiquerez à la fin de votre résumé le nombre de mots employés. 2. Expliquez le sens, dans le texte, des expressions suivantes : — ... sont mécaniquement et anatomiquement imperfectibles ; — deux certitudes. 3. Approuvez-vous l'éloge de la boxe fait par Maurice Maeterlinck ?
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