Maurice Debesse, dans la revue « les Études philosophiques »
Publié le 23/04/2011
Extrait du document
« Des moyens nouveaux d'une puissance incalculable, la presse, la radio, le cinéma, ont été mis par la science à la disposition de l'éducation moderne. D'autres ont été renouvelés par l'emploi généralisé et systématique qu'on en a fait : c'est ainsi qu'on a utilisé la puissance de communion du chant choral, des défilés et des réunions, les vertus de la camaraderie, faction du meneur, etc. Moyens massifs, faits pour des masses : ainsi se caractérisent les techniques éducatives industrialisées, à la différence des procédés artisanaux d'autrefois, plus déliés et plus menus. La standardisation envahit, ô Montaigne, jusqu'au royaume sacré de l'Institution des enfants. Un machinisme pédagogique tend à se créer. Les éducateurs perspicaces ne s'y trompent pas ; un jeune professeur qui se rendait dans sa classe me disait naguère avec un sourire ironique un peu crispé : « Je vais à l'usine... « « Notre époque tend donc à se placer sous le signe d'une éducation à la fois intégrale et collective. Finies, les plaisanteries des siècles derniers sur le personnage du pédagogue vêtu de noir, chaussé de lorgnons, solennel et pédant, pauvre et amateur de tabac à priser. Le pédagogue d'aujourd'ui se reconnaît moins facilement. Il s'habille comme tout le monde. Il ne hante plus forcément l'école. On devine sa présence même lorsqu'on lit une affiche ou qu'on écoute la radio. A sa clientèle d'enfants, il a ajouté celle des adultes. Ses ambitions ont crû en même temps que ses moyens d'action. Il faut bon gré mal gré compter avec lui. Il est Ormuzd ou Ahriman (1). Bienfaisant, il peut faire l'humanité meilleure. Malfaisant, il peut la jeter dans les guerres et la destruction. « Les avantages possibles d'une éducation souveraine bien comprise ne sont-ils pas évidents? Diffusion de la culture jusque parmi les déshérités du sort ; adaptation de chacun aux tâches qui lui conviennent ; instauration d'une ère de paix et de prospérité dans un monde formé à l'entraide et aux travaux féconds. C'est le rêve millénaire qui s'épanouit dans la République de Platon, l'Utopie de Thomas More, l'Émile de Jean-Jacques Rousseau, ou les Années de Voyage de Wilhelm Meister de Gœthe. Mais ses dangers ne sont pas moindres : l'abus d'une éducation qui, pliant tout à ses normes, risque d'asservir l'homme au lieu de l'élever ; les erreurs commises dans le choix des valeurs qu'on veut inculquer, d'autant plus funestes qu'elles atteignent plus de gens ; l'uniformisation enfin, par le désir de créer un type social aussi parfait que possible. Le Meilleur des Mondes, d'A. Huidey, nous offre, entre autres choses, une satire féroce du « pédagogisme « industrialisé qui nous guette. Singulier monde que celui de ce roman d'anticipation où la fécondation artificielle et le développement de l'embryon se font dans des appareils soigneusement réglés, où la pensée de l'enfant est imprégnée de slogans qu'un phonographe discret répète sans cesse à son oreille pendant son sommeil 1 Monde stable, aseptique et uniforme, où les seuls accidents sont dus à des erreurs de laboratoire : le meilleur des mondes... « Maurice Debesse, dans la revue « les Études philosophiques « (1947). • Vous dégagerez, en un résumé ou une analyse, les idées essentielles de cette page. Puis vous choisirez l'une de ces idées pour la développer et exprimer à son sujet vos opinions personnelles. (1) Dans la religion des Iraniens, Ormuzd est le dieu suprême, principe du Bien ; Ahriman est le principe mauvais et destructeur.
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