Devoir de Philosophie

MAURICE BARRÉS (1862-1923). La vallée de la Moselle.

Publié le 13/06/2011

Extrait du document

Né à Charmes, dans les Vosges, Maurice Barrès fit ses études à Nancy, puis vint à Paris, où il publia, de 1888 à 1891, les romans intitulés : Sous l'oeil des Barbares, Un homme libre et Le Jardin de Bérénice. Il y donnait la théorie et l'exemple de ce qu'il appelait : le culte du moi. Puis il passe à l'action, et compose les « Romans de l'énergie nationale « : L'es Déracinés, L'Appel au soldat et Leurs Figures. Il prend pour thème des deux derniers le boulangisme et l'affaire de Panama. Sous le titre commun de L' Arne française et la guerre, il a réuni, en six volumes, les nombreux articles que lui ont inspirés les événements de 1914-1918. La vallée de la Moselle.

Dans l'Appel au soldat, deux jeunes gens, Sturel et Saint-Phlin, organisent une tournée dans la vallée de la Moselle; ils iront en bicyclette, pour rester sans cesse en contact avec le pays; ainsi ils prendront une « leçon de choses «, en se préoccupant de tout ce qui peut leur fournir « les éléments de la connaissance psychologique et politique «. Leur itinéraire : de la source de la Moselle à Metz, de Metz à Trèves, de Trèves au Rhin. Nous citons la première étape de leur voyage. Pour procéder systématiquement et prendre la Moselle à sa source, ils bilèrent en chemin de fer chercher à Bussang leur point de départ. Cette pleine montagne, tout en « ballons « couverts de sapins, est d'un grand air sévère. Si l'on gravit les pentes, sur un sol feutré de fines aiguilles où le pied glisse, et sous une voûte formée par les cimes, seules respectées, de ces arbres que l'administration ébranche, c'est indéfiniment un monotone spectacle de troncs bruns et résineux, tous pareils, s'élevant droit vers le ciel, avec, au bas, une maigre mousse. Cette monotonie, cette régularité, cette pauvreté même reposent les nerveux. Ordre, calme et beauté : une beauté apaisante que Puvis de Chavannes a mise dans son Bois sacré. Parfois ces jeunes corps sveltes et durs évoquent pour l'imagination, que leur senteur fortifie, une forêt de lances fichées en terre. Et sur la hauteur atteinte, sur le chaume, ce moutonnement des têtes, agitées par le vent, est pathétique comme la rumeur d'un camp. Les vallées longues, étroites, étonnent l'oeil par leur propreté parfaite : des tapis d'une herbe luisante, des ruisseaux emportés et limpides sur les vieilles pierres se détachent d'autant mieux dans le cadre noir des sapins. Cà et là, les hommes ont imposé une maison de garde, une petite ferme à la montagne : elle reste pourtant maîtresse de sa beauté et de ses arrangements, et dans certains cantons forestiers escarpés, nul ne peut exploiter sa vêture. Il faut comprendre le système général de ces contreforts qui soulèvent, creusent et enserrent le pays. Une race est née entre leurs bras, avec la mâchoire forte et la tête carrée, célèbre par son entêtement. Comme des divinités assoupies, toujours pareilles à elles-mêmes, les Vosges sont assises dans l'éminente splendeur (lu midi et au romanesque coucher du soleil et dans le tombeau étoilé de la nuit. Belle assemblée de montagnes, forte, paisible et si salutaire qu'à nos nerfs mêmes elle donne une discipline. De ces colosses immobiles naît la frivolité, la pente, la fuite, l'insaisissable. La Moselle est la délégation de leurs énergies intimes. Elle jaillit sur le versant français à trois cents mètres du tunnel qui franchit le col de Bussang et s'ouvre sur la magnifique plaine d'Alsace. La « source de la Moselle « n'est pas la plus forte, ni la plus reculée des gerbes d'eau qui la forment d'abord, mais celle-là ne tarit jamais. Tous les « ballons « de la région concourent aux premiers développements de la Moselle, comme une mère entourée des personnes de sa famille nourrit, caresse et fortifie pour la vie un petit à ses premiers pas. A deux kilomètres de Bussang, déjà cette enfant travaille. Elle fait tourner les roues de moulins, scieries, tissages, filatures et féculeries. A chaque instant, les industriels lui opposent des barrages, ralentissant son cours, sa vie : c'est presque une morte où apparaît déjà la décomposition. Là contre, elle se Tamasse, fait effort de toutes ses ressources, passe l'obstacle d court, pacifiée, vraiment jeune et gaie. C'est de son courage que vivent Saint-Maurice, le Tillot, Ramonchamp et Rupt, où passèrent d'abord Sturel et Saint-Phlin. Si jeune, elle a déjà pris la plus importante de toutes ses décisions : elle s'arrête dans sa marche au midi pour se jeter au nord-ouest. Le Parisien Sturel sent les détails de la nature comme ferait un convalescent et trouve de neuves délices à l'ampleur des feuillages, au dessin des ombres sur le sol ensoleillé, à la qualité joyeuse de l'air sur son visage et dans sa bouche. Tous deux, chaque quart d'heure, se félicitent d'un mode de locomotion qui ne donne pas seulement un délicieux plaisir de vagabondage, mais qui par sa rapidité permet aux impressions de se masser en larges tableaux. Voici des espaces admirables avec des montagnes trapues, bien garnies en terre, où alternent les spacieux herbages et les immensités d'arbres. A tous instants, d'autres vallées, qui s'ouvrent et vont se perdre dans la principale, fortifient la Moselle, libre, dégagée, charmante, de plus en plus heureuse, par mille contributions empressées. Au pied des ballons, les maisons éparses n'ouvrent que des petits yeux, des fenêtres étroites à cause du froid; courbées, peureuses, abritées sous leurs longs toits qui montent si haut et descendent presque à terre, elles semblent toujours songer aux écrasantes charges de l'hiver. Le torrent, tout prêt à être maté, leur offre sa force motrice; les bois attendent qu'elles les débitent...

(L'Appel au soldat, Plon, édit.) QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. -- Une description de la haute vallée d'une rivière. — Cette description n'est pas un tableau observé par un personnage immobile; elle se déroule sous les yeux de deux voyageurs qui parcourent en bicyclette la route de Bussang à Toul; — On prend la Moselle à sa source et l'on en suit le cours; il y a donc une succession de panoramas; on a l'impression du mouvement; — Malgré la variété des tableaux, il y a unité, grâce à la présence continue de la Moselle, qui est comme le coeur vivant de ces paysages. II. — L'analyse du morceau. — Distinguer les différentes parties de la description : a) la montagne et les sapins; b) la source de la Moselle; c) l'activité industrielle de son cours; d) les vallées adjacentes; — Parmi ces divers tableaux, quel est celui que l'auteur vous sembla voir le mieux développé? — Ne prête-t-il pas à la nature (aux sapins et à la rivière) une vie mystérieuse? — Cependant ne mêle-t-il pas à la poésie le sens des réalités, en rappelant l'usage que les riverains savent faire des eaux de la Moselle? III. — Le style ; — les expressions. — Quel est le sens exact de ballons? (Ce mot n'est-il pas spécial aux montagnes des Vosges?) le sens de : chaume, imposé, exploiter, discipline, délégation? — De quelles images se sert l'auteur pour donner la vie poétique à ses paysages? en particulier aux arbres, aux montagnes, à la rivière? pourquoi appelle-t-il la Moselle une enfant? — Étudier particulièrement les jeux de l'ombre et de la lumière à travers les sapins et dans les vallées. IV. — La grammaire — Indiquer le sens des mots : feutré, maigre mousse, moutonnement, vêture...; Analyser les propositions du dernier paragraphe : Voici des espaces... etc... Rédaction. — Vous raconterez vos impressions d'une promenade à bicyclette dans une région montagneuse.

Liens utiles