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Marguerite Yourcenar, née en 1903, imagine que, devenu vieux, Hadrien (76-138 de notre ère), écrit pour le successeur de son choix, encore adolescent — le futur Marc-Aurèle - l'expérience de sa vie d'homme et d'empereur romain.

Publié le 26/04/2011

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yourcenar

   « Il n'y a qu'un seul point sur lequel je me sens supérieur au commun des hommes. Je suis tout ensemble plus libre et plus soumis qu'ils n'osent l'être. Presque tous méconnaissent également leur juste liberté et leur vraie servitude. Ils maudissent leurs fers; ils semblent parfois s'en vanter. D'autre part, leur temps s'écoule en vaines licences; ils ne savent pas se tresser à eux-mêmes le joug le plus léger. Pour moi, j'ai cherché la liberté plus que la puissance, et la puissance seulement parce qu'en partie elle favorisait la liberté. Ce qui m'intéressait n'était pas une philosophie de l'homme libre (tous ceux qui s'y essayent m'ennuyèrent) mais une technique : je voulais trouver la charnière où notre volonté s'articule au destin, où la discipline seconde, au lieu de la freiner, la nature. Comprends bien qu'il ne s'agit pas ici de la dure volonté du stoïque dont tu t'exagères le pouvoir, ni de je ne sais quel choix ou quel refus abstrait qui insulte aux conditions de notre monde plein, continu, formé d'objets et de corps. J'ai rêvé d'un plus secret acquiescement ou d'une plus souple bonne volonté. La vie m'était un cheval dont on épouse les mouvements, mais après l'avoir, de son mieux, dressé. Tout en somme étant une décision de l'esprit, mais lente, mais insensible et qui entraîne aussi l'adhésion du corps, je m'efforçais d'atteindre par degré cet état de liberté ou de soumission presque pur. La gymnastique m'y servait; la dialectique ne m'y nuisait pas.    Je cherchai d'abord une simple liberté de vacances, des moments libres. Toute vie bien réglée a les siens, et qui ne sait pas les provoquer ne sait pas vivre. J'allai plus loin; j'imaginai une liberté de simultanéité, où deux actions, deux états seraient en même temps possibles. J'appris par exemple, me modelant sur César, à dicter plusieurs textes à la fois, à parler en continuant à lire. J'inventai un mode de vie où la plus lourde tâche pourrait être accomplie parfaitement sans s'engager tout entier; en vérité, j'ai parfois osé me proposer d'éliminer jusqu'à la notion physique de fatigue. A d'autres moments je m'exerçais à pratiquer une liberté d'alternance : les émotions, les idées, les travaux devaient à chaque instant rester capables d'être interrompus, puis repris et la certitude de pouvoir les chasser ou les rappeler comme des esclaves leur enlevait toute chance de tyrannie et à moi, tout sentiment de servitude...    Mais c'est encore à la liberté d'acquiescement la plus ardue de toutes, que je me suis le plus rigoureusement appliqué. Je voulais l'état où j'étais; dans mes années de dépendance, ma sujétion perdait ce qu'elle avait d'amer, ou même d'indigne, si j'acceptais d'y voir un exercice utile... Les plus mornes travaux s'exécutaient sans peine pour peu qu'il me plût de m'en éprendre. Dès qu'un objet me répugnait, j'en faisais un objet d'étude; je me forçais adroitement à en tirer un motif de joie...    ... Et c'est de la sorte, avec un mélange de réserve et d'audace, de soumission et de révolte soigneusement concertées, d'exigence extrême et de concessions prudentes, que je me suis finalement accepté moi-même. «    Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien (1951).    Vous résumerez ce texte en respectant le mouvement ou vous l'analyserez en distinguant les thèmes majeurs. Puis, vous choisirez une phrase ou vous dégagerez un thème, dont vous préciserez les données. Vous en discuterez le contenu, après avoir justifié les raisons de votre choix.

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