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Marcel PROUST (1871-1922). Un Amour de Swann (extrait)

Publié le 22/03/2011

Extrait du document

proust

Swann, esthète raffiné, aveuglé par sa passion pour Odette de Crécy, en vient à fréquenter en sa compagnie et même à apprécier le milieu médiocre des Verdurin et de leurs relations. Mais, depuis quelque temps, MT* Verdurin favorise les entreprises de Forche-ville auprès d'Odette. C'est pour cela qu 'elle n'a pas invité Swann à la partie de campagne qu'elle organise le lendemain à Chatou, dans la banlieue de Paris. Celui-ci vient de l'apprendre.    Il se représentait avec dégoût cette soirée. (...) Il y aurait là les Cottard, peut-être Brichot. « Est-ce assez grotesque cette vie de petites gens qui vivent les uns sur les autres, qui se croiraient perdus, ma parole, s'ils ne se retrouvaient pas tous demain à Chatou ! « Hélas ! Il y aurait aussi le peintre, le peintre qui aimait « à faire des mariages «, qui inviterait Forcheville à venir avec Odette à son atelier. Il voyait Odette avec une toilette trop habillée pour cette partie de campagne, « car elle est si vulgaire et surtout, la pauvre petite, elle est tellement bête ! ! ! «.    H entendit les plaisanteries que ferait Mme Verdurin après dîner, les plaisanteries qui, quel que fût l'ennuyeux qu'elles eussent pour cible, l'avaient toujours amusé parce qu'il voyait Odette en rire, en rire avec lui, presque en lui. Maintenant il sentait que c'était peut-être de lui qu'on allait faire rire Odette. « Quelle gaieté fétide ! disait-il en donnant à sa bouche une expression de dégoût si forte qu'il avait lui-même la sensation musculaire de sa grimace jusque dans son cou révulsé contre le col de sa chemise. (...) J'habite à trop de milliers de mètres d'altitude au-dessus des bas-fonds où clapotent et clabaudent de tels sales papotages, pour que je puisse être éclaboussé par les plaisanteries d'une Verdurin, s'écria-t-il, en relevant la tête, en redressant fièrement son corps en arrière. Dieu m'est témoin que j'ai sincèrement voulu tirer Odette de là, et l'élever dans une atmosphère plus noble et plus pure. Mais la patience humaine a des bornes, et la mienne est à bout «, se dit-il, comme si cette mission d'arracher Odette à une atmosphère de sarcasmes datait de plus longtemps que de quelques minutes, et comme s'il ne se l'était pas donnée seulement depuis qu'il pensait que ces sarcasmes l'avaient peut-être lui-même pour objet et tentaient de détacher Odette de lui.

Il voyait le pianiste prêt à jouer la sonate Clair de lune et les mines de Mme Verdurin s'effrayant du mal que la musique de Beethoven allait faire à ses nerfs : « Idiote, menteuse ! s'écria-t-il, et ça croit aimer l'Art ! « Elle dira à Odette, après lui avoir insinué adroitement quelques mots louangeurs pour Forche-ville, comme elle avait fait si souvent pour lui : « Vous allez faire une petite place à côté de vous à M. de Forcheville. « « Dans l'obscurité! Maquerelle, entremetteuse! « « Entremetteuse «, c'était le nom qu'il donnait à la musique qui les convierait à se taire, à rêver ensemble, à se regarder, à se prendre la main.

 

Vous présenterez de ce texte un commentaire composé que vous organiserez à votre gré. Vous pourrez par exemple montrer de quelle manière et dans quel esprit le narrateur met sous les yeux du lecteur les pensées par lesquelles Swann brûle ce qu'il a adoré.

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