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Madame DE STAËL (1766-1817) Les romans nous expliquent les mystères de notre sort.

Publié le 14/01/2018

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tant parlé des affections du cœur. Enfin le genre en lui-même présente des difficultés effrayantes, et il suffit, pour s'en convaincre, de songer au petit nombre de romans placés dans le rang des ouvrages.

 

En effet, il faut une grande puissance d'imagination et de sensibilité pour s'identifier avec toutes les situations de la vie, et conserver ce naturel parfait sans lequel il n'y a rien de grand, de beau, ni de durable ( . . . ).

 

Les événements ne doivent être dans les romans que l'occasion de développer les passions du cœur humain ; il faut conserver dans les événements assez de vraisemblance pour que l'illusion ne soit point détruite : mais les romans qui excitent la curiosité seulement par l'invention des faits ne captivent dans les hommes que cette imagination qui a fait dire que les yeux sont toujours enfants. Les romans que l'on ne cessera jamais d'admirer, Clarisse, Clémentine, Tom Jones, La Nouvelle Héloïse, Werther, etc., ont pour but de révéler ou de retracer une foule de sentiments dont se compose, au fond de l’âme, le bonheur ou le malheur de l’existence ; ces sentiments que l’on ne dit point, parce qu’ils se trouvent liés avec nos secrets ou avec nos faiblesses, et parce que les hommes passent leur vie avec les hommes, sans se confier jamais mutuellement ce qu'ils éprouvent

 

L'histoire ne nous apprend que les grands traits manifestés par la force des circonstances, mais elle ne peut nous faire pénétrer dans les impressions intimes qui, en influant sur la volonté de quelques-uns, ont disposé du sort de tous. Les découvertes en ce genre sont inépuisables ; il n'y a qu'une chose étonnante pour l'esprit humain, c'est lui-même.

 

The proper study of mankind is man.

 

Cherchons donc toutes les ressources du talent, tous les développements de l'esprit, dans la connaissance approfondie des affections de l'âme, et n'estimons les romans que lorsqu'ils nous paraissent, pour ainsi dire, une sorte de confession, dérobée à ceux qui ont vécu comme à ceux qui vivront.

 

Observer le cœur humain, c'est montrer à chaque pas l'influence de la morale sur la destinée : il n'y a qu'un secret dans la vie, c'est le bien ou le mal qu'on a fait ; il se cache, ce secret, sous mille formes trompeuses : vous souffrez longtemps sans l'avoir mérité, vous prospérez longtemps par des moyens condamnables ; mais tout-à-coup votre sort se décide, le mot de votre énigme se révèle, et ce mot, la conscience l'avait dit bien avant que le destin l'eût répété. C'est ainsi que l'histoire de l'homme doit être représentée dans les romans ; c'est ainsi que les fictions doivent nous expliquer, par nos vertus et nos sentiments, les mystères de notre sort. ( ... ) .

 

Je crois donc que les circonstances de la vie, passagères comme elles le sont, nous instruisent moins des vérités durables que les fictions fondées sur ces vérités ; et que les meilleures leçons de la délicatesse et de la fierté peuvent se trouver dans les romans, où les sentiments sont peints avec assez de naturel pour que vous croyiez assister à la vie réelle en les lisant.

Œuvres, tome I, Lefèvre, 1838, pp. 219 sq

Madame DE STAËL (1766-1817)

Les romans nous expliquent \"les mystères de notre sort \"

 

Madame de Staël est l'auteur d'un Essai sur les fictions (1895). Elle réfléchit à nouveau sur le roman dans la préface de Delphine en 1802. Efle attribue à ce genre, qui lui paraît sombrer souvent dans la facilité, la fonction de nous apporter des lumières sur notre propre vie.

 

Les romans sont de tous les écrits littéraires ceux qui ont le plus de juges ; il n'existe presque personne qui n'ait le droit de prononcer sur le mérite d'un roman ; les lecteurs même les plus défiants et les plus modestes sur leur esprit ont raison de se confier à leurs impressions. C'est donc une des premières difficultés de ce genre que le succès populaire auquel il doit prétendre

 

Une autre non moins grande, c'est qu'on a fait une telle quantité de romans médiocres, que le commun des hommes est tenté de croire que ces sortes de compositions sont les plus aisées de toutes, tandis que ce sont précisément les essais multipliés dans cette carrière qui ajoutent à sa difficulté; car dans ce genre, comme dans tous les autres, les esprits un peu relevés craignent les routes battues ; et c'est un obstacle à l'expression des sentiments vrais que l'importun souvenir des écrits insipides qui nous ont

« tant parlé des affections du cœur.

Enfin le genre en lui-même présente des difficultés effrayantes, et il suffit, pour s'en convaincr e, de songer au petit no mbre de rom ans placés dans le rang des ouvrag es.

En effet, il faut une grande puissance d'imaginat ion et de sensibilité po ur s'id entifier avec toutes les situat ions de la vie , et con server ce naturel parfait sans lequel il n'y a rien de grand, de beau, ni de durable ( ..

.

).

Les événemen ts ne doivent être dans les roma ns que l'occa sion de déve­ lopper les passions du cœur humain ; il fau t con server dans les événe ments assez de vrai semblance pour que l'illusi on ne soit point détruite : mais les ro mans qui excitent la curiosité seulement par l'invent ion des faits ne ca ptivent dans les hommes que cette imagination qui a fait dire que les yeux sont tou jours enfants.

Les romans que l'on ne cessera jamais d'admi rer, Clar isse, Clémentine, Tom Jones, La Nouvelle Héloïse, Werther, etc., ont po ur but de révéler ou de retracer une foule de sentiments dont se com pose, au fond de l'âm e, le bonh eur ou le ma lheur de l'exis tence ; ces senti ments que l'on ne dit point, parce qu'ils se trouvent liés avec nos secrets ou avec nos faiblesses, et parce que les hommes passent leur vie avec les homm es, sans se confier jamais mutuel lement ce qu'i ls épro uvent L'hi stoire ne nou s appr end que les grands traits manifestés par la force des circonstances, mais elle ne peu t nou s faire pénétrer dans les impres­ sions intimes qui, en influant sur la volonté de quelques -uns, ont disposé du sort de tous.

Les découvertes en ce genre sont inépu isables ; il n'y a qu' une chose étonnante pour l'es prit humain, c'est lui-même.

The proper study of mankind is man.

Cherchons donc toutes les ressources du talent, tous les dével oppeme nts de l'esprit , da ns la conna issance approfo ndie des affections de l'âme, et n' est imons les romans que lorsqu'i ls nou s pa raissent , pou r ainsi dire, une sorte de con fession, dérobée à ceux qui ont vécu comme à ceux qui vivro nt.

Observer le cœu r humain, c'est mon trer à chaq ue pas l'influence de la morale sur la destinée : il n'y a qu' un secret dans la vie, c'est le bien ou le ma l qu 'on a fait ; il se cache, ce secret, sous mille formes trompeuses : vous souffrez longte mps sans l'avoir mérité, vous prospérez longtemps par des moyens condamna bles ; ma is tout-à-cou p votre sort se déc ide, le de votre énigme se révèle, et ce mot, la conscience l'avait dit bien avant que le destin l'eût répété.

C'est ainsi que l'histoire de l'homme doit être représentée dans les rom ans ; c'e st ainsi que les fict ions doiven t nous expliquer, par nos vertus et nos sentiments, les mystères de notre sort .

( ...

) .

Je crois donc que les circonstances de la vie, comm e elles le sont, nous instruisent moins des vérités durables que les fictions fondées sur ces vérités ; et que les meilleures leçons de la délicatesse et de la fierté peu vent se trouver dans les romans, où les sentime nts sont pein ts avec assez de naturel pour que vous croyiez assister à la vie réelle en les lisant.

Œuvres, tome I, Lefèvre, 1838, pp.

219 sq.. »

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