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MACHIAVEL ET LE CHRISTIANISME (Discours sur la 1e décade de Tite-Live, Livre II)

Publié le 07/02/2011

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machiavel

Pour quelle raison les hommes d'à présent sont-ils moins attachés à la liberté que ceux d'autrefois : pour la même raison, je pense, qui fait que ceux d'aujourd'hui sont moins forts ; et c'est, si je ne me trompe, la différence d'éducation fondée sur la différence de religion. Notre religion, en effet, nous ayant montré la vérité et le droit chemin, fait que nous estimons moins la gloire de ce monde. Les païens, au contraire, qui l'estimaient beaucoup, qui plaçaient en elle le souverain bien, mettaient dans leurs actions infiniment plus de férocité : c'est ce qu'on peut inférer de la plupart de leurs institutions, à commencer par la magnificence de leurs sacrifices, comparée à l'humilité de nos cérémonies religieuses, dont la pompe, plus flatteuse que grandiose, n'a rien de féroce ni de gaillard. Leurs cérémonies étaient non seulement pompeuses, mais on y joignait des sacrifices ensanglantés par le massacre d'une infinité d'animaux ; ce qui rendait les hommes aussi féroces, aussi terribles que le spectacle qu'on leur présentait. En outre, la religion païenne ne déifiait que des hommes d'une gloire terrestre, des capitaines d'armées, des chefs de républiques. Notre religion glorifie plutôt les humbles voués à la vie contemplative que les hommes d'action. Notre religion place le bonheur suprême dans l'humilité, l'abjection, le mépris des choses humaines ; et l'autre, au contraire, le faisait consister dans la grandeur d'âme, la force du corps et dans toutes les qualités qui rendent les hommes redoutables. Si la nôtre exige quelque force d'âme, c'est plutôt celle qui fait supporter les maux que celle qui porte aux fortes actions.    Il me paraît donc que ces principes, en rendant les peuples plus débiles, les ont disposés à être plus facilement la proie des méchants. Ceux-ci ont vu qu'ils pouvaient tyranniser sans crainte des hommes qui, pour aller en paradis, sont plus disposés à recevoir leurs coups qu'à les rendre. Mais si ce monde est efféminé, si le ciel paraît désarmé, n'en accusons que la lâcheté de ceux qui ont interprété notre religion selon la paresse et non selon la vertu. S'ils avaient considéré que cette religion nous permet d'exalter et de défendre la patrie, ils auraient vu qu'elle nous ordonne d'aimer cette patrie, de l'honorer, et de nous rendre capables de la défendre.    Ces fausses interprétations, et notre mauvaise éducation, font qu'on voit aujourd'hui bien moins de républiques qu'on n'en voyait autrefois, et que les peuples, par conséquent, ont moins d'amour pour la liberté. Je croirais cependant que ce qui y a bien plus contribué encore, ce sont les conquêtes des Romains, dont l'empire a englouti toutes les républiques et tous les États libres ; et quoique cet empire ait disparu, ces cités jadis libres n'ont pu encore se reconstituer si ce n'est en bien peu d'endroits. Quoi qu'il en soit, les Romains trouvèrent dans toutes les parties du monde une ligue de républiques armées et obstinées à la défense de leur liberté ; ce qui prouve qu'ils ne les auraient jamais soumises sans une extrême virtù.

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