L'ingratitude et l'injustice des hommes envers la fortune. La Fontaine
Publié le 12/07/2011
Extrait du document

Un trafiquant sur mer, par bonheur, s'enrichit. Il triompha des vents pendant plus d'un voyage: Gouffre, banc, ni rocher, n'exigea de péage D'aucun de ses ballots; le Sort l'en affranchit. Sur tous ses compagnons Atropos et Neptune Recueillirent leurs droits, tandis que la Fortune Prenait soin d'amener son marchand à bon port. Facteurs, associés, chacun lui fut fidèle. Il vendit son tabac, son sucre, sa cannelle, Ce qu'il voulut, sa porcelaine encor: Le luxe et la folie enflèrent son trésor ; Bref, il plut dans son escarcelle. On ne parlait chez lui que par doubles ducats; Et mon homme d'avoir chiens, chevaux et carrosses; Ses jours de jeûne étaient des noces. Un sien ami, voyant ces somptueux repas, Lui dit: « Et d'où vient donc un si bon ordinaire? — Et d'où me viendrait-il que de mon savoir-faire? Je n'en dois rien qu'à moi, qu'à mes soins, qu'au talent De risquer à propos, et bien placer l'argent. « Le profit lui semblant une fort douce chose, Il risqua de nouveau le gain qu'il avait fait; Mais rien, pour cette fois, ne lui vint à souhait. Son imprudence en fut la cause: Un vaisseau mal frété périt au premier vent, Un autre, mal pourvu des armes nécessaires, Fut enlevé par les corsaires; Un troisième au port arrivant, Rien n'eut cours ni débit: le luxe et la folie N'étaient plus tels qu'auparavant. Enfin ses facteurs le trompant, Et lui-même ayant fait grand fracas, chère lie, Mis beaucoup en plaisirs, en bâtiments beaucoup, Il devint pauvre tout d'un coup. Son ami, le voyant en mauvais équipage, Lui dit: « D'où cela vient? — De la Fortune, hélas! — Consolez-vous, dit l'autre, et s'il ne lui plaît pas Que vous soyez heureux, tout au moins soyez sage. « Mais je sais que chacun impute, en cas pareil, Son bonheur à son industrie; Et si de quelque échec notre faute est suivie, Nous disons injures au Sort. Chose n'est ici plus commune. Le bien, nous le faisons; le mal, c'est la Fortune. On a toujours raison, le Destin toujours tort.
L'ensemble. — La Fontaine touche tous les sujets. Ici, il nous conte les aventures d'un homme qui, ayant d'abord gagné beaucoup d'argent dans toutes sortes de métiers, d'industries et de peines, perdit d'un coup sa fortune, les événements ayant cessé de lui être favorables. N'est-ce pas là le sort de beaucoup de nos contemporains et la leçon que leur donne La Fontaine n'est-elle pas très juste ? Nous nous glorifions personnellement de ce qui nous arrive d'heureux, nous l'attribuons à notre énergie, à notre valeur, mais nous ne cherchons jamais, dans le retour des choses, la part de nos erreurs ou de nos fautes.
Liens utiles
- FOUQUET ou FOUCQUET, Nicolas, vicomte de Vaux (1615-1680) Surintendant des Finances, il fait un usage généreux de l'immense fortune amassée grâce à ses fonctions, protégeant les hommes de lettres : Molière, La Fontaine, Pellisson.
- FOUQUET ou FOUCQUET, Nicolas, vicomte de Vaux (1615-1680) Surintendant des Finances, il fait un usage généreux de l'immense fortune amassée grâce à ses fonctions, protégeant les hommes de lettres : Molière, La Fontaine, Pellisson.
- MAÎTRE DU "COEUR D'AMOUR ÉPRIS": A la fontaine de Fortune (analyse du tableau).
- Il faut mener les hommes de telle façon qu'ils ne croient pas être menés, mais vivre selon leur libre décret (1) et conformément à leur complexion (2) propre ; il faut donc les tenir par le seul amour de la liberté, le désir d'accroître leur fortune et l'espoir de s'élever aux honneurs.
- Les hommes prétendent que, par nature, Il est bon de commettre l'injustice et mauvais de la souffrir, mais qu'il y a plus de mal à la souffrir que de bien à la commettre.