L'Immortel le pays délicieux, la duchesse aimable et pas gênante, l'ami Freydet qu'on avait découvert à Clos-Jallanges.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
«Pas à première vue, hein? Il faut s'y faire, à ma sculpture, et j'ai bien peur que la princesse, quand elle va voir
cet affreux bonhomme....»
Paul Astier devait la lui amener dans quelques jours, une fois tout raboté, poli, prêt à partir pour la fonte; et
cette visite l'inquiétait, car il connaissait le goût des femmes du monde, il entendait au salon, les jours à cent
sous, ce jabotage en clichés qui court le long des Halles et s'ébat à la sculpture.
Ce qu'elles mentent, ce
qu'elles se forcent! il n'y a de sincère que leurs toilettes de printemps étrennées pour ce Salon qui leur donne
l'occasion de les montrer.
«D'ailleurs, mon gros, continuait Védrine en entraînant son ami hors de l'atelier, de toutes les grimaces
parisiennes, de tous les mensonges de société, il n'y en a pas de plus effronté, de plus comique que
l'engouement pour les choses d'art.
Une momerie à crever de rire, tous pratiquent et personne ne croit.
C'est
comme pour la musique ...
si tu les voyais, le dimanche....»
Ils enfilaient un long couloir en arcades, envahi lui aussi de cette végétation curieuse dont les germes apportés
là des quatre coins du ciel, gonflaient, verdissaient le sol battu, jaillissaient d'entre les peintures des murailles
crevées et noircies par la flamme; puis ils se trouvèrent dans la cour d'honneur, autrefois sablée, formant
aujourd'hui un champ mêlé d'avoine, de plantin, mélilo et séneçon aux mille hampes et thyrses minuscules, au
milieu duquel des planches limitaient un potager fleuri de tournesols, où mûrissaient des fraises, des potirons,
un jardinet de squatter à la lisière de quelque forêt vierge, et, pour compléter l'illusion, une petite construction
en briques y attenait.
«Le jardin du relieur et sa boutique,» dit Védrine désignant au-dessus de la porte entr'ouverte cette enseigne
en lettres d'un pied:
ALBIN FAGE Reliure en tous genres.
Ce Fage, relieur de la Cour des Comptes et du Conseil d'État, ayant obtenu de garder son logement échappé à
l'incendie, était, avec la concierge, le seul locataire du palais.
«Entrons chez lui un moment, dit Védrine ...
tu
vas voir un bon type....» En approchant de la maison, il appela: «Hé! père Fage!...» Mais le modeste atelier de
reliure était désert, l'établi devant la fenêtre, chargé de rognures, de grandes cisailles à carton, de registres
verts cornés de cuivre sous une presse.
La singularité de cet intérieur, c'est que le cousoir, la table en tréteaux,
la chaise vide devant elle, les étagères sur lesquelles s'entassaient les livres et jusqu'au miroir à barbe pendu à
l'espagnolette, tout était de petite dimension, à hauteur et à portée d'un enfant de douze ans; on aurait cru
l'habitation d'un nain, d'un relieur de Lilliput.
«C'est un bossu, chuchotait Védrine à Freydet, et un bossu à femmes, qui se parfume et se pommade....» Une
horrible odeur de salon de coiffure, essences de roses et de Lubin, se mêlait au relent de colle-forte qui prend
à la gorge.
Védrine appela encore une fois vers le fond où était la chambre; puis ils sortirent, Freydet
s'amusant de cette idée d'un bossu Lovelace: «Il est peut-être en bonne fortune....
Tu ris....
Eh bien! mon cher, ce bossu se paye les plus jolies femmes de Paris, s'il faut en croire les murs de
sa chambre tapissés de photographies signées, dédicacées: À mon Albin ...
à mon cher petit Fage....
Et pas de
souillons: des filles de théâtre, la haute bicherie.
Il n'en amène jamais ici; mais de temps en temps, après une
bordée de deux, trois jours, il vient, tout frétillant, me raconter à l'atelier, avec son hideux rictus, qu'il s'est
offert un in-octavo superbe ou un joli petit in-douze, car c'est ainsi qu'il appelle ses conquêtes, selon le grand
ou le moyen format.
Et il est laid, tu dis? L'Immortel
IV 26.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Mme de Sévigné écrit de Montaigne : « Ah! l'aimable homme. C'est mon ancien ami. » En quoi consiste, selon vous, l'amabilité de Montaigne ?
- BEL AMI, Guy de MAUPASSANT Retour au pays natal Deuxième partie, chapitre 1 Depuis « C'étaient deux paysans… » à « … elle qui ne rêvait pas d'ordinaire ? »
- BEL AMI, Guy de MAUPASSANT Retour au pays natal Deuxième partie, chapitre 1 Depuis « C’étaient deux paysans. » à « ... elle qui ne rêvait pas d’ordinaire ? »
- BEL AMI, Guy de MAUPASSANT Retour au pays natal Deuxième partie, chapitre 1 Depuis « C'étaient deux paysans… » à « … elle qui ne rêvait pas d'ordinaire ? »
- Un cannibale de Montaigne arrive à Paris ou dans une autre capitale européenne de votre choix. Il porte un regard amusé et critique sur une coutume ou un fait qui l’étonne tout particulièrement. Dans une lettre adressée à un ami resté dans son pays, il lui fait part de cette expérience surprenante qu’il a vécue.