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L'homme Qui Rit maniait merveille les baguettes, et Fibi pinçait de la morache, qui est une sorte de guiterne.

Publié le 12/04/2014

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L'homme Qui Rit maniait merveille les baguettes, et Fibi pinçait de la morache, qui est une sorte de guiterne. Le loup avait été promu utilité. Il faisait décidément partie de «la compagnie», et jouait dans l'occasion des bouts de rôle. Souvent, quand ils paraissaient côte à côte sur le théâtre, Ursus et Homo, Ursus dans sa peau d'ours bien lacée, Homo dans sa peau de loup mieux ajustée encore, on ne savait lequel des deux était la bête; ce qui flattait Ursus. IX. EXTRAVAGANCES QUE LES GENS SANS GOUT APPELLENT POÉSIE Les pièces d'Ursus étaient des interludes, genre un peu passé de mode aujourd'hui. Une de ces pièces, qui n'est pas venue jusqu' nous, était intitulée Ursus Rursus. Il est probable qu'il y jouait le principal rôle. Une fausse sortie suivie d'une rentrée, c'était vraisemblablement le sujet, sobre et louable. Le titre des interludes d'Ursus était quelquefois en latin, comme on le voit, et la poésie quelquefois en espagnol. Les vers espagnols d'Ursus étaient rimés comme presque tous les sonnets castillans de ce temps-là. Cela ne gênait point le peuple. L'espagnol était alors une langue courante, et les marins anglais parlaient castillan de même que les soldats romains parlaient carthaginois. Voyez Plaute. D'ailleurs, au spectacle comme à la messe, la langue latine ou autre que l'auditoire ne comprenait pas, n'embarrassait personne. On s'en tirait en l'accompagnant gaîment de paroles connues. Notre vieille France gauloise particulièrement avait cette manière-là d'être dévote. A l'église, sur un Immolatus les fidèles chantaient Liesse prendrai, et sur un Sanctus, Baise-moi, ma mie. Il fallut le concile de Trente pour mettre fin à ces familiarités. Ursus avait fait spécialement pour Gwynplaine un interlude, dont il était content. C'était son oeuvre capitale. Il s'y était mis tout entier. Donner sa somme dans son produit, c'est le triomphe de quiconque crée. La crapaude qui fait un crapaud fait un chef-d'oeuvre. Vous doutez? Essayez d'en faire autant. Ursus avait heaucoup léché cet interlude. Cet ourson était intitulé: Chaos vaincu. Voici ce que c'était: Un effet de nuit. Au moment où la triveline s'écartait, la foule massée devant la Green-Box ne voyait que du noir. Dans ce noir se mouvaient, à l'état reptile, trois formes confuses, un loup, un ours et un homme. Le loup était le loup, Ursus était l'ours, Gwynplaine était l'homme. Le loup et l'ours représentaient les forces féroces de la nature, les faims inconscientes, l'obscurit sauvage, et tous deux se ruaient sur Gwynplaine, et c'était le chaos combattant l'homme. On ne distinguait la figure d'aucun. Gwynplaine se débatait couvert d'un linceul, et son visage était caché par ses épais cheveux tombants. D'ailleurs tout était ténèbres. L'ours grondait, le loup grinçait, l'homme criait. L'homme avait le dessous, les deux bêtes l'accablaient; il demandait aide et secours, il jetait dans l'inconnu un profond appel. Il râlait. On assistait à cette agonie de l'homme ébauche, encore à peine distinct des brutes; c'était lugubre, la foule regardait haletante; une minute de plus, les fauves triomphaient, et le chaos allait résorber l'homme. Lutte, cris, hurlements, et tout à coup silence. Un chant dans l'ombre. Un souffle avait passé, on entendait une voix. Des musiques mystérieuses flottaient, accompagnant ce chant de l'invisible, et subitement, sans qu'on sut d'où ni comment, une blancheur surgissait. Cette blancheur était une lumière, cette lumière était une femme, cette femme était l'esprit. Dea, calme, candide, belle, formidable de sérénité et de douceur, apparaissait au centre d'un nimbe. Silhouette de clarté dans de l'aurore. La voix, c'était elle. Voix légère, profonde, ineffable. D'invisible faite visible, dans cette aube elle chantait. On croyait entendre une chanson d'ange ou un hymne d'oiseau. A cette apparition, l'homme, dressé dans un sursaut d'éblouissement, abattait ses deux poings sur les deux brutes terrassées. Alors la vision, portée sur un glissement difficile à comprendre et d'autant plus admiré, chantait ces vers, d'une puret espagnole suffisante pour les matelots anglais qui écoutaient: Ora! Hora! IX. EXTRAVAGANCES QUE LES GENS SANS GOUT APPELLENT POÉSIE 171 L'homme Qui Rit De palabra Nace razon, Da luze el son[1]. [1] Prie! pleure! Du verbe naît la raison. Le chant crée la lumière. Puis elle baissait les yeux au-dessous d'elle comme si elle eût vu un gouffre, et reprenait: Noche quitta te de alli El alba canta hallali[2]. [2] Nuit! va-t'en! L'aube chante hallali! A mesure qu'elle chantait, l'homme se levait de plus en plus, et, de gisant, il était maintenant agenouillé, les mains levées vers la vision, ses deux genoux posés sur les deux bêtes immobiles et comme foudroyées. Elle continuait, tournée vers lui: Es menester a cielos ir, Y tu que llorabas reir[3]. [3] Il faut aller au ciel,et rire, toi qui pleurais. Et s'approchant, avec une majesté d'astre, elle ajoutait: Gebra barzon! Dexa, monstro, A tu negro Caparazon[4]. [4] Brise le joug!quitte, monstre,ta noirecarapace. Et elle lui posait la main sur le front. Alors une autre voix s'élevait, plus profonde et par conséquent plus douce encore, voix navrée et ravie, d'une gravité tendre et farouche, et c'était le chant humain répondant au chant sidéral. Gwynplaine, toujours agenouillé dans l'obscurité sur l'ours et le loup vaincus, la tète sous la main de Dea, chantait: O ven! ama! Eres alma, Soy corazon[5]. [5] Oh! viens! aime!tu es âme,je suis coeur. Et brusquement, dans cette ombre, un jet de lumière frappait Gwynplaine en pleine face, On voyait dans ces ténèbres le monstre épanoui. Dire la commotion de la foule est impossible. Un soleil de rire surgissant, tel était l'effet. Le rire naît de l'inattendu, et rien de plus inattendu que ce dénoûment. Pas de saisissement comparable à ce soufflet de lumière sur ce masque bouffon et terrible. On riait autour de ce rire; partout, en haut, en bas, sur le devant, au IX. EXTRAVAGANCES QUE LES GENS SANS GOUT APPELLENT POÉSIE 172

« De palabra Nace razon, Da luze el son[1]. [1] Prie! pleure! Du verbe naît la raison.

Le chant crée la lumière. Puis elle baissait les yeux au-dessous d'elle comme si elle eût vu un gouffre, et reprenait: Noche quitta te de alli El alba canta hallali[2]. [2] Nuit! va-t'en! L'aube chante hallali! A mesure qu'elle chantait, l'homme se levait de plus en plus, et, de gisant, il était maintenant agenouillé, les mains levées vers la vision, ses deux genoux posés sur les deux bêtes immobiles et comme foudroyées.

Elle continuait, tournée vers lui: Es menester a cielos ir, Y tu que llorabas reir[3]. [3] Il faut aller au ciel,\24et rire, toi qui pleurais. Et s'approchant, avec une majesté d'astre, elle ajoutait: Gebra barzon! Dexa, monstro, A tu negro Caparazon[4]. [4] Brise le joug!\24quitte, monstre,\24ta noire\24carapace. Et elle lui posait la main sur le front. Alors une autre voix s'élevait, plus profonde et par conséquent plus douce encore, voix navrée et ravie, d'une gravité tendre et farouche, et c'était le chant humain répondant au chant sidéral.

Gwynplaine, toujours agenouillé dans l'obscurité sur l'ours et le loup vaincus, la tète sous la main de Dea, chantait: O ven! ama! Eres alma, Soy corazon[5]. [5] Oh! viens! aime!\24tu es âme,\24je suis coeur. Et brusquement, dans cette ombre, un jet de lumière frappait Gwynplaine en pleine face, On voyait dans ces ténèbres le monstre épanoui. Dire la commotion de la foule est impossible.

Un soleil de rire surgissant, tel était l'effet.

Le rire naît de l'inattendu, et rien de plus inattendu que ce dénoûment.

Pas de saisissement comparable à ce soufflet de lumière sur ce masque bouffon et terrible.

On riait autour de ce rire; partout, en haut, en bas, sur le devant, au L'homme Qui Rit IX.

EXTRAVAGANCES QUE LES GENS SANS GOUT APPELLENT POÉSIE 172. »

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