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L'homme Qui Rit Le flot avait joué d'eux, maintenant c'était le tour du vent, Ils s'étaient dégagés eux-mêmes des Casquets; mais devant Ortach la houle avait fait la péripétie; devant Aurigny, ce fut la bise, Il y avait eu subitement une saute du septentrion au midi.

Publié le 12/04/2014

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L'homme Qui Rit Le flot avait joué d'eux, maintenant c'était le tour du vent, Ils s'étaient dégagés eux-mêmes des Casquets; mais devant Ortach la houle avait fait la péripétie; devant Aurigny, ce fut la bise, Il y avait eu subitement une saute du septentrion au midi. Le suroit avait succédé au noroit. Le courant, c'est le vent dans l'eau; le vent, c'est le courant dans l'air; ces deux forces venaient de se contrarier, et le vent avait eu le caprice de retirer sa proie au courant. Les brusqueries de l'océan sont obscures. Elles sont le perpétuel peut-être. Quand on est à leur merci, on ne peut ni espérer, ni désespérer. Elles font, puis défont. L'océan s'amuse. Toutes les nuances de la férocité fauve sont dans cette vaste et sournoise mer, que Jean Bart appelait «la grosse bête». C'est le coup de griffe avec les intervalles voulus de patte de velours. Quelquefois la tempête bâcle le naufrage; quelquefois elle le travaille avec soin; on pourrait presque dire elle le caresse. La mer a le temps. Les agonisants s'en aperçoivent. Parfois, disons-le, ces ralentissements dans le supplice annoncent la délivrance. Ces cas sont rares. Quoi qu'il en soit, les agonisants croient vite au salut, le moindre apaisement dans les menaces de l'orage leur suffit, ils s'affirment eux-mêmes qu'ils sont hors de péril, après s'être crus ensevelis ils prennent acte de leur résurrection, ils acceptent fiévreusement ce qu'ils ne possèdent pas encore, tout ce que la mauvaise chance contenait est épuisé, c'est évident, ils se déclarent satisfaits, ils sont sauvés, ils tiennent Dieu quitte. Il ne faut point trop se hâter de donner de ces reçus l'Inconnu, Le suroit débuta en tourbillon, Les naufragés n'ont jamais que des auxiliaires bourrus. La Matutina fut impétueusement traînée au large par ce qui lui restait d'agrès comme une morte par les cheveux. Cela ressembla à ces délivrances accordées par Tibère, à prix de viol. Le vent brutalisait ceux qu'il sauvait. Il leur rendait service avec fureur. Ce fut du secours sans pitié. L'épave, dans ce rudoiement libérateur, acheva de se disloquer. Des grêlons, gros et durs à charger un tromblon, criblaient le bâtiment. A tous les renversements du flot, ces grêlons roulaient sur le pont comme des billes. L'ourque, presque entre deux eaux, perdait toute forme sous les retombées de vagues et sous les effondrements d'écumes. Chacun dans le navire songeait à soi. Se cramponnait qui pouvait. Après chaque paquet de mer, on avait la surprise de se retrouver tous. Plusieurs avaient le visage déchiré par des éclats de bois. Heureusement le désespoir a les poings solides. Une main d'enfant dans l'effroi a une étreinte de géant. L'angoisse fait un étau avec des doigts de femme. Une jeune fille qui a peur enfoncerait ses ongles roses dans du fer. Ils s'accrochaient, se tenaient, se retenaient. Mais toutes les vagues leur apportaient l'épouvante du balaiement. Soudainement ils furent soulagés. XVI. DOUCEUR SUBITE DE L'ÉNIGME L'ouragan venait de s'arrêter court. Il n'y eut plus dans l'air ni suroit, ni noroit. Les clairons forcenés de l'espace se turent. La trombe sortit du ciel, sans diminution préalable, sans transition, et comme si elle-même avait glissé à pic dans un gouffre. On ne sut plus où elle était. Les flocons remplacèrent les grêlons. La neige recommença à tomber lentement. XVI. DOUCEUR SUBITE DE L'ÉNIGME 71 L'homme Qui Rit Plus de flot. La mer s'aplatit. Ces soudaines cessations sont propres aux bourrasques de neige. L'effluve électrique épuisé, tout se tranquillise, même la vague, qui, dans les tourmentes ordinaires, conserve souvent une longue agitation. Ici point. Aucun prolongement de colère dans le flot. Comme un travailleur après une fatigue, le flot s'assoupit immédiatement, ce qui dément presque les lois de la statique, mais n'étonne point les vieux pilotes, car ils savent que tout l'inattendu est dans la mer. Ce phénomène a lieu même, mais très rarement, dans les tempêtes ordinaires. Ainsi, de nos jours, lors du mémorable ouragan du 27 juillet 1867, à Jersey, le vent, après quatorze heures de furie, tomba tout de suite au calme plat. Au bout de quelques minutes, l'ourque n'avait plus autour d'elle qu'une eau endormie. En même temps, car la dernière phase ressemble à la première, on ne distingua plus rien. Tout ce qui était devenu visible dans les convulsions des nuages météoriques redevînt trouble, les silhouettes blêmes se fondirent en délaiement diffus, et le sombre de l'infini se rapprocha de toutes parts du navire. Ce mur de nuit, cette occlusion circulaire, ce dedans de cylindre dont le diamètre décroissait de minute en minute, enveloppait la Matutina, et, avec la lenteur sinistre d'une banquise qui se ferme, se rapetissait formidablement. Au zénith, rien, un couvercle de brume, une clôture. L'ourque était comme au fond du puits de l'abîme. Dans ce puits, une flaque de plomb liquide, c'était la mer. L'eau ne bougeait plus. Immobilité morne. L'océan n'est jamais plus farouche qu'étang. Tout était silence, apaisement, aveuglement. Le silence des choses est peut-être de la taciturnité. Les derniers clapotements glissaient le long du bordage. Le pont était horizontal avec des déclivités insensibles. Quelques dislocations remuaient faiblement. La coque de grenade, qui tenait lieu de fanal, et où brillaient des étoupes dans du goudron, ne se balançait plus au beaupré et ne jetait plus de gouttes enflammées dans la mer. Ce qui restait de souffle dans les nuées n'avait plus de bruit. La neige tombait épaisse, molle, à peine oblique. On n'entendait l'écume d'aucun brisant. Paix de ténèbres. Ce repos, après ces exaspérations et ces paroxysmes, fut pour les malheureux si longtemps ballottés un indicible bien-être. Il leur sembla qu'ils cessaient d'être mis à la question. Ils entrevoyaient autour d'eux et au-dessus d'eux un consentement les sauver. Ils reprirent confiance. Tout ce qui avait ét furie était maintenant tranquillité. Cela leur parut une paix signée. Leurs poitrines misérables se dilatèrent. Ils pouvaient lâcher le bout de corde ou de planche qu'ils tenaient, se lever, se redresser, se tenir debout, marcher, se mouvoir. Ils se sentaient inexprimablement calmés. Il y a, dans la profondeur obscure, de ces effets de paradis, préparation à autre chose. Il était clair qu'ils étaient bien décidément hors de la rafale, hors de l'écume, hors des souffles, hors des rages, délivrés. On avait désormais toutes les chances pour soi. Dans trois ou quatre heures le jour se lèverait, on serait aperçu par quelque navire passant, on serait recueilli. Le plus fort était fait. On rentrait dans la vie. L'important, c'était d'avoir pu se soutenir sur l'eau jusqu'à la cessation de la tempête. Ils se disaient: Cette fois, c'est fini. Tout à coup ils s'aperçurent que c'était fini en effet. Un des matelots, le basque du nord, nommé Galdeazun, descendit, pour chercher du câble, dans la cale, puis XVI. DOUCEUR SUBITE DE L'ÉNIGME 72

« Plus de flot.

La mer s'aplatit. Ces soudaines cessations sont propres aux bourrasques de neige.

L'effluve électrique épuisé, tout se tranquillise, même la vague, qui, dans les tourmentes ordinaires, conserve souvent une longue agitation.

Ici point.

Aucun prolongement de colère dans le flot.

Comme un travailleur après une fatigue, le flot s'assoupit immédiatement, ce qui dément presque les lois de la statique, mais n'étonne point les vieux pilotes, car ils savent que tout l'inattendu est dans la mer. Ce phénomène a lieu même, mais très rarement, dans les tempêtes ordinaires.

Ainsi, de nos jours, lors du mémorable ouragan du 27 juillet 1867, à Jersey, le vent, après quatorze heures de furie, tomba tout de suite au calme plat. Au bout de quelques minutes, l'ourque n'avait plus autour d'elle qu'une eau endormie. En même temps, car la dernière phase ressemble à la première, on ne distingua plus rien.

Tout ce qui était devenu visible dans les convulsions des nuages météoriques redevînt trouble, les silhouettes blêmes se fondirent en délaiement diffus, et le sombre de l'infini se rapprocha de toutes parts du navire.

Ce mur de nuit, cette occlusion circulaire, ce dedans de cylindre dont le diamètre décroissait de minute en minute, enveloppait la Matutina, et, avec la lenteur sinistre d'une banquise qui se ferme, se rapetissait formidablement.

Au zénith, rien, un couvercle de brume, une clôture.

L'ourque était comme au fond du puits de l'abîme. Dans ce puits, une flaque de plomb liquide, c'était la mer.

L'eau ne bougeait plus.

Immobilité morne.

L'océan n'est jamais plus farouche qu'étang. Tout était silence, apaisement, aveuglement. Le silence des choses est peut-être de la taciturnité. Les derniers clapotements glissaient le long du bordage.

Le pont était horizontal avec des déclivités insensibles.

Quelques dislocations remuaient faiblement.

La coque de grenade, qui tenait lieu de fanal, et où brillaient des étoupes dans du goudron, ne se balançait plus au beaupré et ne jetait plus de gouttes enflammées dans la mer.

Ce qui restait de souffle dans les nuées n'avait plus de bruit.

La neige tombait épaisse, molle, à peine oblique.

On n'entendait l'écume d'aucun brisant.

Paix de ténèbres. Ce repos, après ces exaspérations et ces paroxysmes, fut pour les malheureux si longtemps ballottés un indicible bien-être.

Il leur sembla qu'ils cessaient d'être mis à la question.

Ils entrevoyaient autour d'eux et au-dessus d'eux un consentement les sauver.

Ils reprirent confiance.

Tout ce qui avait ét furie était maintenant tranquillité.

Cela leur parut une paix signée.

Leurs poitrines misérables se dilatèrent.

Ils pouvaient lâcher le bout de corde ou de planche qu'ils tenaient, se lever, se redresser, se tenir debout, marcher, se mouvoir.

Ils se sentaient inexprimablement calmés.

Il y a, dans la profondeur obscure, de ces effets de paradis, préparation à autre chose.

Il était clair qu'ils étaient bien décidément hors de la rafale, hors de l'écume, hors des souffles, hors des rages, délivrés. On avait désormais toutes les chances pour soi.

Dans trois ou quatre heures le jour se lèverait, on serait aperçu par quelque navire passant, on serait recueilli.

Le plus fort était fait.

On rentrait dans la vie. L'important, c'était d'avoir pu se soutenir sur l'eau jusqu'à la cessation de la tempête.

Ils se disaient: Cette fois, c'est fini. Tout à coup ils s'aperçurent que c'était fini en effet. Un des matelots, le basque du nord, nommé Galdeazun, descendit, pour chercher du câble, dans la cale, puis L'homme Qui Rit XVI.

DOUCEUR SUBITE DE L'ÉNIGME 72. »

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