L'homme aux quarante écus Ainsi, monsieur, les Suisses ne sont pas de droit divin dépouillés de la moitié de leurs biens; et celui qui possède quatre vaches n'en donne pas deux à l'Etat?
Publié le 12/04/2014
Extrait du document
«
LE GÉOMÈTRE
C'est souvent le fruit de la science.
AVENTURE AVEC UN CARME
Quand j'eus bien remercié l'académicien de l'Académie des sciences de m'avoir mis au fait, je m'en allai tout
pantois, louant la Providence, mais grommelant entre mes dents ces tristes paroles: Je me trouvai bientôt
vis-à-vis d'une maison superbe.
Je sentais déjà la faim; je n'avais pas seulement la cent vingtième partie de la
somme lui appartient de droit à chaque individu; mais, dès qu'on m'eut appris que ce palais était le couvent
des révérends pères carmes déchaussés, je conçus de grandes espérances, et je dis: "Puisque ces saints sont
assez humbles pour marcher pieds nus, ils seront assez charitables pour me donner à dîner."
Je sonnai; un carme vint : ( Que voulez-vous, mon fils ? - Du pain, mon révérend père; les nouveaux édits
m'ont tout ôté.
- Mon fils, nous demandons nous-mêmes l'aumône; nous ne la faisons pas.
- Quoi! votre
saint institut vous ordonne de n'avoir pas de souliers, et vous avez une maison de prince, et vous me refusez à
manger! - Mon fils, il est vrai que nous sommes sans souliers et sans bas : c'est une dépense de moins; mais
nous n'avons pas plus froid aux pieds qu'aux mains; et si notre saint institut nous avait ordonné d'aller cul nu,
nous n'aurions point froid au derrière.
A l'égard de notre belle maison, nous l'avons aisément bâtie, parce que
nous avons cent mille livres de rente en maisons dans la même rue.
- Ah! ah! vous me laissez mourir de
faim, et vous avez cent mille livres de rente! Vous en rendez donc cinquante mille au nouveau
gouvernement? - Dieu nous préserve de payer une obole! Le seul produit de la terre cultivée par des mains
laborieuses, endurcies de calus et mouillées de larmes, doit des tributs à la puissanoe législatrice et
exécutrice.
Les aumônes qu'on nous a données nous ont mis en état de faire bâtir ces maisons, dont nous
tirons cent mille livres par an; mais ces aumônes venant des fruits de la terre, ayant déjà payé le tribut, elles
ne doivent pas payer deux fois : elles ont sanctifié les fidèles qui se sont appauvris en nous enrichissant, et
nous continuons à demander l'aumône et à mettre à contribution le faubourg St-Germain pour sanctifier
encore les fidèles.
" Ayant dit Ces mots, le carme me ferma la porte au nez.
Je passai par-devant l'hôtel des mousquetaires gris; je contai la chose à un de ces messieurs: ils me donnèrent
un bon dîner et un écu.
L'un d'eux proposa d'aller brûler le couvent; mais un mousquetaire plus sage lui
montra que le temps n'était pas encore venu, et le pria d'attendre encore deux ou trois ans.
AUDIENCE DE MONSIEUR LE CONTROLEUR GÉNÉRAL
J'allai, avec mon écu, présenter un placet à monsieur le contrôleur général, qui donnait audience ce jour-là.
Son antichambre était remplie de gens de toute espèce.
Il y avait surtout des visages encore plus pleins, des
ventres plus rebondis, des mines plus fières que mon homme aux huit millions.
Je n'osais m'approcher; je les
voyais, et ils ne me voyaient pas.
Un moine, gros décimateur, avait intenté un procès à des citoyens qu'il appelait ses paysans.
Il avait déjà plus
de revenu que la moitié de ses paroissiens ensemble, et de plus il était seigneur de fief.
Il prétendait que ses
vassaux, ayant converti avec des peines extrêmes leurs bruyères en vignes, ils lui devaient la dixième partie
de leur vin, ce qui faisait, en comptant le prix du travail et des échalas, et des futailles, et du cellier, plus du
quart de la récolte.
" Mais comme les dîmes, disait-il, sont de droit divin, je demande le quart de la substance
de mes paysans au nom de Dieu.
Le ministre lui dit: "Je vois combien vous êtes charitable!"
Un fermier général, fort intelligent dans les aides, lui dit alors : "Monseigneur, ce village ne peut rien donner
à ce moine : car, ayant fait payer aux paroissiens l'année passée trente-deux impôts pour leur vin, et les ayant
fait condamner ensuite à payer le trop bu, ils sont entièrement ruinés.
J'ai fait vendre leurs bestiaux et leurs L'homme aux quarante écus
L'homme aux quarante écus 12.
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