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L'homme. A lord Byron. Lamartine

Publié le 10/07/2011

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byron

Notre crime est d'être homme et de vouloir connaître: Ignorer et servir, c'est la loi de notre être. Byron, ce mot est dur: longtemps j'en ai douté: Mais pourquoi reculer devant la vérité? Ton titre devant Dieu, c'est d'être son ouvrage, De sentir, d'adorer ton divin esclavage; Dans l'ordre universel faible atome emporté, D'unir à ses desseins ta libre volonté, D'avoir été conçu par son intelligence, De le glorifier par ta seule existence : Voilà, voilà ton sort. Ah! loin de l'accuser, Baise plutôt le joug que tu voudrais briser ; Descends du rang des dieux qu'usurpait ton audace; Tout est bien, tout est bon, tout est grand à sa place; Aux regards de Celui qui fit l'immensité L'insecte vaut un monde: ils ont autant coûté! Mais cette loi, dis-tu, révolte ta justice; Elle n'est à tes yeux qu'un bizarre caprice, Un piège où la raison trébuche à chaque pas. Confessons-la, Byron, et ne la jugeons pas. Comme toi, ma raison en ténèbres abonde, Et ce n'est pas à moi de t'expliquer le monde. Que Celui qui l'a fait t'explique l'univers: Plus je sonde l'abîme, hélas! plus je m'y perds. Ici-bas, la douleur à la douleur s'enchaîne, Le jour succède au jour, et la peine à la peine. Borné dans sa nature, infini dans ses vœux, L'homme est un dieu tombé qui se souvient des deux. Soit que, déshérité de son antique gloire, De ses destins perdus il garde la mémoire; Soit que de ses désirs l'immense profondeur Lui présage de loin sa future grandeur, Imparfait ou déchu, l'homme est le grand mystère. Dans la prison des sens enchaîné sur la terre, Esclave, il sent un cœur né pour la liberté; Malheureux, il aspire à la félicité; Il veut sonder le monde, et son œil est débile: Il veut aimer toujours, ce qu'il aime est fragile! Tout mortel est semblable à l'exilé d'Eden: Lorsque Dieu l'eut banni du céleste jardin, Mesurant d'un regard les fatales limites, Il s'assit en pleurant aux portes interdites. Il entendit de loin dans le divin séjour L'harmonieux soupir de l'éternel amour, Les accents du bonheur, les saints concerts des anges Qui, dans le sein de Dieu, célébraient ses louanges; Et, s'arrachant du ciel dans un pénible effort, Son œil avec effroi retomba sur son sort. J'ai vu le bien, le mal, sans choix et sans dessein, Tomber comme au hasard, échappés de son sein ; J'ai vu partout le mal où le mieux pouvait être, Et je l'ai blasphémé, ne pouvant le connaître; Et ma voix, se brisant contre ce ciel d'airain, N'a pas même eu l'honneur d'irriter le destin. Mais un jour que, plongé dans ma propre infortune, J'avais lassé le ciel d'une plainte importune, Une clarté d'en haut dans mon sein descendit, Me tenta de bénir ce que j'avais maudit; Et, cédant sans combattre au souffle qui m'inspire, L'hymne de la raison s'élança de ma lyre. « Gloire à toi dans les temps et dans l'éternité, Eternelle raison, suprême volonté! Toi, dont l'immensité reconnaît la présence; Toi, dont chaque matin annonce l'existence! Ton souffle créateur s'est abaissé sur moi; Celui qui n'était pas a paru devant toi ! J'ai reconnu ta voix avant de me connaître, Je me suis élancé jusqu'aux portes de l'Etre: Me voici ! le néant te salue en naissant ; Me voici! mais que suis-je? un atome pensant. Qui peut entre nous deux mesurer la distance? Moi, qui respire en toi ma rapide existence, A l'insu de moi-même, à ton gré façonné, Que me dois-tu, Seigneur, quand je ne suis pas né? Rien avant, rien après: gloire à la fin suprême! Qui tira tout de soi se doit tout à soi-même. Jouis, grand artisan, de l'œuvre de tes mains.

L'ensemble. — Lamartine ne s'est pas borné à la poésie sentimentale et élégiaque; il a exprimé, dans la pièce intitulée l'Homme, dédiée à lord Byron, de hautes pensées philosophiques. On y retrouve les idées que Bossuet, dans le Sermon sur la Mort, et Pascal, dans les Pensées, ont souvent développées : le dualisme de l'âme humaine, déchirée entre ses aspirations élevées et ses mauvaises tendances, le mystère de notre nature, le secret de notre destinée. La foi chrétienne de Lamartine l'inspire également. Il s'incline sous la main de Dieu, il croit à la chute originelle. Lamartine s'adresse à Byron, car il avait subi très fortement l'influence du grand poète anglais et il avait été douloureusement frappé du ton d'amertume, de scepticisme, d'ironie et de révolte que révèlent les œuvres de celui-ci, et, utopiste et optimiste comme il l'était, Lamartine rêve de le ramener à Dieu. On ne sait même pas, d'ailleurs, si Byron connut jamais ce poème, qui prouve, ainsi que le Dernier chant du pèlerinage d'Harold, combien le prestige du poète anglais fut puissant parmi les jeunes poètes de la génération romantique.

Les mots : Byron : célèbre poète anglais, auteur de Childe Harold, Don Juan, Lara, Manfred, le Corsaire (1788- 1824). dieu tombé... ; allusion à l'état d'Adam dans le paradis terrestre et au dogme de la chute. Eden : mot hébreu qui signifie paradis terrestre, lieu de délices où furent placés, par Dieu, le premier homme et la première femme. ma propre infortune : la mort de Julie Charles et le chagrin qu'en éprouva Lamartine. me tenta : forme incorrecte pour dire : me fit tenter de bénir. atome : élément des corps, corps regardé comme indivisible à cause de sa petitesse. 

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