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L'Etui de nacre Parfois encore, s'il traversait la chaussée, la voiture du laitier où dansaient en chantant les boîtes de fer-blanc s'arrêtait si près de lui, qu'il sentait sur sa joue le souffle chaud du cheval.

Publié le 11/04/2014

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L'Etui de nacre Parfois encore, s'il traversait la chaussée, la voiture du laitier où dansaient en chantant les boîtes de fer-blanc s'arrêtait si près de lui, qu'il sentait sur sa joue le souffle chaud du cheval. Mais, sans hâte, il suivait son chemin, sous les jurons dédaignés du laitier rustique. Certes, sa démarche, assurée sur le bâton de cornouiller, était fière et tranquille. Mais au-dedans le vieil homme chancelait. Il ne lui restait plus rien de l'allégresse matinale. L'alouette qui avait jeté ses trilles joyeux dans son être avec les premières gouttes du vin paillet s'était envolée à tire-d'aile, et maintenant son âme était une rookery brumeuse où les corbeaux croassaient sur les arbres noirs. Il était mortellement triste. Un grand dégoût de lui-même lui soulevait le coeur. La voix de son repentir et de sa honte lui criait: "Cochon! cochon! Tu es un cochon!" Et il admirait cette voix irritée et pure, cette belle voix d'ange qui était en lui mystérieusement et qui répétait: "Cochon! cochon! Tu es un cochon!" Il lui naissait un désir infini d'innocence et de pureté. Il pleurait; de grosses larmes coulaient sur sa barbe de bouc. Il pleurait sur lui-même. Docile à la parole du maître qui a dit: "Pleurez sur vous et sur vos enfants, filles de Jérusalem", il versait la rosée amère de ses yeux sur sa chair prostituée aux sept péchés et sur ses rêves obscènes, enfantés par l'ivresse. La foi de son enfance se ranimait en lui, s'épanouissait toute fraîche et toute fleurie. De ses lèvres coulaient des prières naïves. Il disait tout bas: "Mon Dieu, donnez-moi de redevenir semblable au petit enfant que j'étais." Un jour qu'il faisait cette simple oraison, il se trouva sous le porche d'une église. C'était une vieille église, jadis blanche et belle sous sa dentelle de pierre, que le temps et les hommes ont déchirée. Maintenant elle est devenue noire comme la sulamite et sa beauté ne parle plus qu'au coeur des poètes; c'était une église "pauvrette et ancienne" comme la mère de François Villon qui, peut-être, en son temps, vint s'y agenouiller et vit sur les murailles, aujourd'hui blanchies à la chaux, ce paradis peint dont elle croyait entendre les harpes, et cet enfer où les damnés sont "bouillus", ce qui faisait grand-peur à la bonne créature. Gestas entra dans la maison de Dieu. Il n'y vit personne, pas même un donneur d'eau bénite, pas même une pauvre femme comme la mère de François Villon. Formée en bon ordre dans la nef, l'assemblée des chaises attestait seule la fidélité des paroissiens et semblait continuer la prière en commun. Dans l'ombre humide et fraîche qui tombait des voûtes, Gestas tourna sur sa droite vers le bas-côté où, près du porche, devant la statue de la Vierge, un if de fer dressait ses dents aiguës, sur lesquelles aucun cierge votif ne brûlait encore. Là, contemplant l'image blanche, bleue et rose, qui souriait au milieu des petits coeurs d'or et d'argent suspendus en offrande, il inclina sa vieille jambe raidie, pleura les larmes de saint Pierre et soupira des paroles très douces qui ne se suivaient pas. "Bonne Vierge, ma mère, Marie, Marie, votre enfant, votre enfant, maman!" Mais très vite, il se releva, fit quelques pas rapides et s'arrêta devant un confessionnal. De chêne bruni par le temps, huilé comme les poutres des pressoirs, ce confessionnal avait l'air honnête, intime et domestique d'une vieille armoire à linge. Sur les panneaux, des emblèmes religieux, sculptés dans des écussons de coquilles et de rocailles, faisaient songer aux bourgeoises de l'ancien temps qui vinrent incliner là leur bonnet à hautes barbes de dentelle et laver à cette piscine symbolique leur âme ménagère. Où elles avaient mis le genou Gestas mit le genou et, les lèvres contre le treillis de bois, il appela à voix basse: "Mon père, mon père!" Comme personne ne répondait à son appel, il frappa tout doucement du doigt au guichet. Mon père, mon père! Il s'essuya les yeux pour mieux voir par les trous du grillage, et il crut deviner dans l'ombre le surplis blanc d'un prêtre. Il répétait: Mon père, mon père, écoutez-moi donc! Il faut que je me confesse, il faut que je lave mon âme; elle est noire et sale; elle me dégoûte, j'en ai le coeur soulevé. Vite, mon père, le bain de la pénitence, le bain du pardon, le bain de Jésus. A la pensée de mes immondices le coeur me monte aux lèvres, et je me sens vomir GESTAS 35 L'Etui de nacre du dégoût de mes impuretés. Le bain, le bain! Puis il attendit. Tantôt croyant voir qu'une main lui faisait signe au fond du confessionnal, tantôt ne découvrant plus dans la logette qu'une stalle vide, il attendit longtemps. Il demeurait immobile, cloué par les genoux au degré de bois, le regard attaché sur ce guichet d'où lui devaient venir le pardon, la paix, le rafraîchissement, le salut, l'innocence, la réconciliation avec Dieu et avec lui-même, la joie céleste, le contentement dans l'amour, le souverain bien. Par intervalles, il murmurait des supplications tendres: Monsieur le curé, mon père, monsieur le curé! J'ai soif, donnez-moi à boire, j'ai bien soif! Mon bon monsieur le curé, donnez-moi de quoi vous avez, de l'eau pure, une robe blanche et des ailes pour ma pauvre âme. Donnez-moi la pénitence et le pardon. Ne recevant point de réponse, il frappa plus fort à la grille et dit tout haut: La confession, s'il vous plaît! Enfin, il perdit patience, se releva et frappa à grands coups de son bâton de cornouiller les parois du confessionnal en hurlant: Oh! hé! le curé! Oh! hé! le vicaire! Et, à mesure qu'il parlait, il frappait plus fort, les coups tombaient furieusement sur le confessionnal d'où s'échappaient des nuées de poussière et qui répondait à ces offenses par le gémissement de ses vieux ais vermoulus. Le suisse qui balayait la sacristie accourut au bruit, les manches retroussées. Quand il vit l'homme au bâton, il s'arrêta un moment, puis s'avança vers lui avec la lenteur prudente des serviteurs blanchis dans les devoirs de la plus humble police. Parvenu à portée de voix, il demanda: Qu'est-ce que vous voulez? Je veux me confesser. On ne se confesse pas à cette heure-ci. Je veux me confesser. Allez-vous-en. Je veux voir le curé. Pour quoi faire? Pour me confesser. Le curé n'est pas visible. Le premier vicaire, alors. Il n'est pas visible non plus. Allez-vous-en. GESTAS 36
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« du dégoût de mes impuretés.

Le bain, le bain! Puis il attendit.

Tantôt croyant voir qu'une main lui faisait signe au fond du confessionnal, tantôt ne découvrant plus dans la logette qu'une stalle vide, il attendit longtemps.

Il demeurait immobile, cloué par les genoux au degré de bois, le regard attaché sur ce guichet d'où lui devaient venir le pardon, la paix, le rafraîchissement, le salut, l'innocence, la réconciliation avec Dieu et avec lui-même, la joie céleste, le contentement dans l'amour, le souverain bien.

Par intervalles, il murmurait des supplications tendres: \24 Monsieur le curé, mon père, monsieur le curé! J'ai soif, donnez-moi à boire, j'ai bien soif! Mon bon monsieur le curé, donnez-moi de quoi vous avez, de l'eau pure, une robe blanche et des ailes pour ma pauvre âme.

Donnez-moi la pénitence et le pardon. Ne recevant point de réponse, il frappa plus fort à la grille et dit tout haut: \24 La confession, s'il vous plaît! Enfin, il perdit patience, se releva et frappa à grands coups de son bâton de cornouiller les parois du confessionnal en hurlant: \24 Oh! hé! le curé! Oh! hé! le vicaire! Et, à mesure qu'il parlait, il frappait plus fort, les coups tombaient furieusement sur le confessionnal d'où s'échappaient des nuées de poussière et qui répondait à ces offenses par le gémissement de ses vieux ais vermoulus. Le suisse qui balayait la sacristie accourut au bruit, les manches retroussées.

Quand il vit l'homme au bâton, il s'arrêta un moment, puis s'avança vers lui avec la lenteur prudente des serviteurs blanchis dans les devoirs de la plus humble police.

Parvenu à portée de voix, il demanda: \24 Qu'est-ce que vous voulez? \24 Je veux me confesser. \24 On ne se confesse pas à cette heure-ci. \24 Je veux me confesser. \24 Allez-vous-en. \24 Je veux voir le curé. \24 Pour quoi faire? \24 Pour me confesser. \24 Le curé n'est pas visible. \24 Le premier vicaire, alors. \24 Il n'est pas visible non plus.

Allez-vous-en.

L'Etui de nacre GESTAS 36. »

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