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L'Etui de nacre n'être point arrêté comme suspect.

Publié le 11/04/2014

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L'Etui de nacre n'être point arrêté comme suspect. M. Mille n'avait pas reparu à l'hôtel depuis le 10 Août. Je ne sais trop où il logeait; mais il ne manquait pas une seule séance de la Commune et il récitait tous les jours devant la municipalité, aux grands applaudissements des tricoteuses et des sans-culottes, un hymne nouveau. Il était le plus patriote des poètes et le citoyen Dorat-Cubières lui-même semblait auprès de lui un timide feuillant suspect aux démagogues. J'étais d'un commerce dangereux; aussi M. Mille ne venait pas me visiter, et la délicatesse me faisait un facile devoir de ne point le rechercher. Pourtant, comme il était honnête homme, il m'envoya le recueil imprimé de ses chansons. Oh! que sa seconde muse ressemblait peu à la première! Celle-ci était poudrée, fardée, musquée. L'autre avait l'air d'une furie à chevelure de serpents. Je me rappelle encore la chanson des sans-culottes qui voulait être bien méchante. Elle commençait ainsi: Amis, assez et trop longtemps, Sous le règne affreux des tyrans, On chanta les despotes: Sous celui de l'Égalité, Des Lois et de la Liberté, Chantons les Sans-culottes. Le procès du roi me jeta dans un trouble indicible. Mes jours s'écoulaient dans l'horreur. Un matin, on vint frapper à ma porte. Je devinai une main douce et amie; j'ouvris, madame Berthemet se jeta dans mes bras: Sauvez-moi, sauvez-nous, me dit-elle. Mon frère Eustance, mon frère unique, porté sur une liste d'émigrés, est venu chercher un asile chez moi. Il a été dénoncé, arrêté. Il est en prison depuis cinq jours. Heureusement, l'accusation qui pèse sur lui est vague et mal fondée, Mon frère n'a jamais émigré. Il suffit, pour qu'il soit relâché, qu'on vienne témoigner de sa résidence. J'ai demandé ce service au chevalier de Saint-Ange. Il me l'a refusé prudemment. Eh bien! mon ami, mon fils, ce service, périlleux pour lui, et plus périlleux encore pour vous, je viens vous le demander. Je la remerciai de cette demande comme d'une faveur. C'en était une, en effet, et la plus précieuse dont un honnête homme pût être honoré. Je savais bien que vous ne refuseriez pas, vous! s'écria madame Berthemet en m'embrassant. Mais ce n'est pas tout, ajouta-t-elle. Il faut que vous trouviez un second témoin, il est nécessaire qu'il s'en présente deux pour que mon frère soit relâché. Mon ami, en quel temps vivons-nous! Monsieur de Saint-Ange s'éloigne de nous: notre malheur l'importune; et monsieur Mille craindrait de fréquenter des suspects. Qui l'eût dit, mon ami; qui l'eût dit? Vous souvient-il du jour de la Fédération? Nous étions tous animés de sentiments fraternels, et j'avais une bien belle robe. Elle me quitta en pleurant. Je descendis l'escalier sur ses pas pour querir un témoin, et j'étais, à vrai dire, fort embarrassé d'en trouver un. En me prenant le menton dans les mains, je m'avisai que j'avais une barbe de huit jours qui pourrait me rendre suspect, et je me rendis tout de suite chez mon barbier au coin de la rue Saint-Guillaume. Ce barbier était un très bon homme nommé Larisse, long comme un peuplier, agité comme un tremble. Quand j'entrai dans son échoppe, il accommodait un marchand de vin du quartier, qui de sa bouche barbouillée de savon vomissait toutes sortes de gentillesses. Joli merlan des dames, disait-il, on te coupera la tête et on la mettra au bout d'une pique, pour satisfaire tes aspirations aristocratiques. Il faut que tous les ennemis du peuple crachent dans le panier, depuis le gros Capet jusqu'au mince Larisse. Et ça ira! M. Larisse, plus pâle que la lune et plus tremblant que la feuille, rasait avec d'infinies précautions le menton du patriote injurieux. MÉMOIRES D'UN VOLONTAIRE 55 L'Etui de nacre Je constatai que jamais perruquier n'avait éprouvé plus d'effroi. Et j'en augurai bien pour le succès du dessein que j'avais soudainement formé. Mon intention en effet était de prier M. Larisse de venir témoigner avec moi au comité. Il est si poltron, me disais-je, qu'il n'osera pas me refuser. Le marchand de vin se retira en grommelant de nouvelles menaces et me laissa seul avec le perruquier qui, tout frémissant encore, me passa une serviette au cou. Ah! monsieur, me dit-il à l'oreille d'une voix plus faible qu'un soupir, l'enfer est déchaîné sur nous! N'ai-je donc étudié l'art de la coiffure que pour accommoder des démons? Les têtes qui me faisaient honneur sont maintenant à Londres ou à Coblentz. Comment se porte monseigneur le duc de Puybonne? C'était un bon maître. Je l'assurai que le duc vivait à Londres, en donnant des leçons d'écriture. En effet, le duc m'avait fait tenir récemment un papier où il me mandait qu'il vivait parfaitement heureux à Londres avec quatre shillings six pence par jour. Il se peut, me répondit M. Larisse, mais on n'est pas coiffé à Londres comme à Paris. Les Anglais savent faire des constitutions, mais ils ne savent pas faire de perruques, et leur poudre n'est pas d'un blanc assez pur. M. Larisse m'eut vite rasé. Je n'avais pas alors la barbe bien rude. A peine avait-il fermé son rasoir que, lui saisissant le poignet, je lui dis résolument: Mon cher monsieur Larisse, vous êtes un galant homme: vous allez m'accompagner à l'assemblée générale de la section des Postes, en la ci-devant église Saint-Eustache. Vous y attesterez avec moi que monsieur Eustance n'a jamais émigré. A ces mots, M. Larisse pâlit et murmura d'une voix mourante: Mais je ne connais pas monsieur Eustance. Moi non plus, lui répondis-je. Ce qui était la pure vérité. J'avais bien auguré du caractère de M. Larisse. Il était anéanti. La peur même le jetait dans le péril. Je le pris par le bras, il me suivit sans résistance. Mais vous me menez à la niort, me dit-il doucement. A la gloire! lui répondis-je. Je ne sais s'il connaissait ses tragiques, mais il était sensible à l'honneur; il parut flatté. Il avait quelque littérature, car me quittant le bras pour se rendre dans son arrière-boutique: Cher monsieur, me dit-il, laissez-moi mettre du moins mon bel habit. Dans l'antiquité, les victimes étaient parées de fleurs. Je l'ai lu dans l'Almanach des honnêtes gens. Il tira de sa commode un habit bleu qu'il passa autour de sa longue et flexible personne. C'est dans cet équipage qu'il m'accompagna à l'assemblée générale de la section des Postes, qui était en permanence. Au seuil de l'église désaffectée, sur la porte de laquelle on lisait les mots: Liberté, égalité, fraternité ou la MÉMOIRES D'UN VOLONTAIRE 56

« Je constatai que jamais perruquier n'avait éprouvé plus d'effroi.

Et j'en augurai bien pour le succès du dessein que j'avais soudainement formé.

Mon intention en effet était de prier M.

Larisse de venir témoigner avec moi au comité. \24 Il est si poltron, me disais-je, qu'il n'osera pas me refuser. Le marchand de vin se retira en grommelant de nouvelles menaces et me laissa seul avec le perruquier qui, tout frémissant encore, me passa une serviette au cou. \24 Ah! monsieur, me dit-il à l'oreille d'une voix plus faible qu'un soupir, l'enfer est déchaîné sur nous! N'ai-je donc étudié l'art de la coiffure que pour accommoder des démons? Les têtes qui me faisaient honneur sont maintenant à Londres ou à Coblentz.

Comment se porte monseigneur le duc de Puybonne? C'était un bon maître. Je l'assurai que le duc vivait à Londres, en donnant des leçons d'écriture.

En effet, le duc m'avait fait tenir récemment un papier où il me mandait qu'il vivait parfaitement heureux à Londres avec quatre shillings six pence par jour. \24 Il se peut, me répondit M.

Larisse, mais on n'est pas coiffé à Londres comme à Paris.

Les Anglais savent faire des constitutions, mais ils ne savent pas faire de perruques, et leur poudre n'est pas d'un blanc assez pur. M.

Larisse m'eut vite rasé.

Je n'avais pas alors la barbe bien rude.

A peine avait-il fermé son rasoir que, lui saisissant le poignet, je lui dis résolument: \24 Mon cher monsieur Larisse, vous êtes un galant homme: vous allez m'accompagner à l'assemblée générale de la section des Postes, en la ci-devant église Saint-Eustache.

Vous y attesterez avec moi que monsieur Eustance n'a jamais émigré. A ces mots, M.

Larisse pâlit et murmura d'une voix mourante: \24 Mais je ne connais pas monsieur Eustance. \24 Moi non plus, lui répondis-je. Ce qui était la pure vérité.

J'avais bien auguré du caractère de M.

Larisse.

Il était anéanti.

La peur même le jetait dans le péril.

Je le pris par le bras, il me suivit sans résistance. \24 Mais vous me menez à la niort, me dit-il doucement. A la gloire! lui répondis-je. Je ne sais s'il connaissait ses tragiques, mais il était sensible à l'honneur; il parut flatté.

Il avait quelque littérature, car me quittant le bras pour se rendre dans son arrière-boutique: \24 Cher monsieur, me dit-il, laissez-moi mettre du moins mon bel habit.

Dans l'antiquité, les victimes étaient parées de fleurs.

Je l'ai lu dans l'Almanach des honnêtes gens. Il tira de sa commode un habit bleu qu'il passa autour de sa longue et flexible personne.

C'est dans cet équipage qu'il m'accompagna à l'assemblée générale de la section des Postes, qui était en permanence. Au seuil de l'église désaffectée, sur la porte de laquelle on lisait les mots: Liberté, égalité, fraternité ou la L'Etui de nacre MÉMOIRES D'UN VOLONTAIRE 56. »

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