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« L’étude d’un cas curieux de physiologie... »

Publié le 14/01/2018

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Le roman, expérimentation dans l’imaginaire...

Zola publia en décembre 1880 Le Roman expérimental, recueil d'articles qu'il avait d’abord publiés dans la presse. La première étude du recueil, celle qui lui donne son titre, Le Roman expérimental, a paru dans Le Messager de l'Europe en septembre 1870, et dans Le Voltaire en octobre 1879. Zola venait de lire, selon toute probabilité, Y Introduction à l'étude de la médecine expérimentale de Claude Bernard que lui avait prêtée son ami Henry Céard. Aussitôt après avoir lu son étude dans Le Voltaire, Céard lui écrivit le 28 octobre 1879 : a II y a un sophisme capital dans votre étude sur Le Roman expérimental. Claude Bernard, quand il institue son expérience, sait parfaitement dans quelles conditions elle se produira, et sous l’influence exacte de quelles lois déterminées (...)• En outre, il a en main le moyen précis de vérifier toutes ses expériences. En est il identiquement de même pour le romancier ?... ».

 

Eh bien ! en revenant au roman, nous voyons également que le romancier est fait d'un observateur et d'un expérimentateur, L'observateur chez lui donne les faits tels qu'il les a observés, pose le point de départ, établit le terrain solide sur lequel vont marcher les personnages et se développer les phénomènes. Puis, l'expérimentateur paraît et institue l'expérience, je veux dire fait mouvoir les personnages dans une histoire particulière, pour y montrer que la succession des faits y sera telle que l'exige le déterminisme des phénomènes mis à l'étude. C'est presque toujours ici une expérience « pour voir », comme l'appelle Claude Bernard. Le romancier part à la recherche d'une vérité. Je prendrai comme exemple la figure du baron Hulot dans La Cousine Bette, de Balzac. Le fait général observé par Balzac est le ravage que le tempérament amoureux d'un homme amène chez lui, dans sa famille et dans la société. Dès qu'il a eu choisi son sujet, il est parti des faits observés, puis il a institué son expérience en soumettant Hulot à une série d'épreuves, en le faisant passer par certains milieux, pour montrer le fonctionnement du mécanisme de sa passion. Il est donc évident qu'il n'y a pas seulement là observation, mais qu'il y a aussi expérimentation, puisque Balzac ne s'en tient pas strictement en photographe aux faits recueillis par lui, puisqu'il intervient d'une façon directe pour placer son personnage dans des conditions dont il reste le maître. Le problème est de savoir ce que telle passion, agissant dans tel milieu et dans telles circonstances, produira au point de vue de l'individu et de la société ; et un roman expérimental, La Cousine Bette par exemple, est simplement le procès-verbal de l'expérience, que le romancier répète sous les yeux du public. En somme, toute l'opération consiste à prendre les faits dans la nature, puis à étudier le mécanisme des faits, en agissant sur eux par les modifications des circonstances et des milieux,

« L’étude d’un cas curieux de physiologie... » Zola avait d’abord pensé que Thérèse Raquin pouvait se passer de préface. Mais la critique a accueilli son roman « d'une voix brutale et indignée ». Elle l’a jugé immoral et choquant. Zola proteste ici de la pureté de ses intentions : il a voulu faire œuvre scientifique, et non œuvre licencieuse. Lui-même devait dénoncer, dans La Tribune du 29 novembre 1869, la littérature « immonde » de la « galanterie ». ( . . . ) Dans Thérèse Raquin, j'ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J'ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus. J'ai cherché à suivre pas à pas dans ces brutes le travail sourd des passions, les poussées de l'instinct, les détraquements cérébraux survenus à la suite d'une crise nerveuse. Les amours de mes deux héros sont le contentement d'un besoin ; le meurtre qu'ils commettent est une conséquence de leur adultère, conséquence qu'ils acceptent comme les loups acceptent l'assassinat des moutons ; enfin, ce que j'ai été obligé d'appeler leurs remords, consiste en un simple désordre organique, en une rébellion du système nerveux tendu à se rompre. L'âme est parfaitement absente, j'en conviens aisément, puisque je l'ai voulu ainsi.

sans jamais s'écarter des lois de la nature. Au bout, il y a la connaissance de l'homme, la connaissance scientifique, dans son action individuelle et sociale.

 

Sans doute, nous sommes loin ici des certitudes de la chimie et même de la physiologie. Nous ne connaissons point encore les réactifs qui décomposent les passions et qui permettent de les analyser. Souvent, dans cette étude, je rappellerai ainsi que le roman expérimental est plus jeune que la médecine expérimentale, laquelle pourtant est à peine née. Mais je n'entends pas constater les résultats acquis, je désire simplement exposer clairement une méthode. Si le romancier expérimental marche encore à tâtons dans la plus obscure et la plus complexe des sciences, cela n'empêche pas cette science d'exister. Il est indéniable que le roman naturaliste, tel que nous le comprenons à cette heure, est une expérience véritable que le romancier fait sur l'homme, en s'aidant de l'observation.

 

Le Roman expérimental, 1880, Eugène FasqueUe, 1913, pp. 7-8.

L’importance du milieu

Nous venons de voir l'importance décisive donnée par Claude Bernard à l'étude du milieu intra-organique, dont on doit tenir compte, si l'on veut trouver le déterminisme des phénomènes chez les êtres vivants. Eh bien ! dans l'étude d'une famille, d'un groupe d'êtres vivants, je crois que le milieu social a également une importance capitale. Un jour, la physiologie nous expliquera sans doute le mécanisme de la pensée et des passions ; nous saurons comment fonctionne la machine individuelle de l'homme, comment il pense, comment il aime, comment il va de la raison à la passion et à la folie ; mais ces phénomènes, ces faits du mécanisme des organes agissant sous l'influence du milieu intérieur, ne se produisent pas au dehors isolément et dans le vide. L'homme n'est pas seul, il vit dans une société, dans un milieu social, et dès lors pour nous, romanciers, ce milieu social modifie sans cesse les phénomènes. Même notre grande étude est là, dans le travail réciproque de la société sur l'individu et de l'individu sur la société. Pour le physiologiste, le milieu extérieur et le milieu intérieur sont purement chimiques et physiques, ce qui lui permet d'en trouver les lois aisément. Nous n’en sommes pas à pouvoir prouver que le milieu social n'est, lui aussi, que chimique et physique. Il l'est à coup sûr, ou plutôt il est le produit variable d'un groupe d'êtres vivants, qui, eux, sont absolument soumis aux lois physiques et chimiques qui régissent aussi bien les corps vivants que les corps

« Ém ile Zola On commence, j'espère , à comprendre que mon but a été un but scien­ ti fique avant tout.

Lors que mes deux personna ges, Thérèse et Laure nt, ont été créés, je me suis plu à me poser et à résoud re certains problèmes ; ainsi, j' ai tenté d'expliquer l'union étrange qui peut se pro duire entre deux tem­ péraments différents, j'ai mon tré les troubles profonds d'une nature sanguine au contact d'une nature nerveu se.

Qu'on lise le roman avec soin, on verra que chaq ue chap itre est l'étude d'un cas curieux de physiolog ie.

En un mot, je n'a i eu qu'un désir : étant donné un homme puissant et une femme inas­ so uvie , chercher en eux la bête, ne voir même que la bête, les jeter dans un drame violent, et noter scrupu leusemen t les sens ations et les actes de ces êtr es.

J'ai simplement fait sur deux corps vivan ts le trava il analytique que les chirurgiens font sur des cadavr es.

Avouez qu'il est dur, quand on sort d'u n pareil travail, tou t entier enco re aux graves jouiss ances de la recherche du vrai, d'entendre des gens vous accuser d'avoir eu pour unique but la peinture de tableaux obscènes.

Je me suis trouvé dans le cas de ces peintres qui copient des nudités, sans qu'u n seul désir les effleu re, et qui restent profondément surpris lorsqu'u n critique se déclare scanda lisé par les chairs vivantes de leur œuvre .

Tant que j'ai écrit Thérèse Raquin, j'ai oublié le monde, je me suis perdu dans la copie exacte et minutieuse de la vie , me donnant tout entier à l'ana lyse du mécanisme humain, et je vous assure que les amou rs cruelles de Thérèse et de Laurent n'avaient pour moi rien d'im moral, rien qui puisse pousser aux passions mauvai ses.

L'huma nité des modèles disparaissait comme elle disp araît aux yeux de l'artiste qui a une femme nue vautrée devant lui, et qui songe uniquement à mettre cette femme sur sa toile dans la vérité de ses formes et de ses colorat ions.

Aussi ma surprise a-t-elle été grande quand j'ai entendu traiter mon œuvre de flaq ue de bou e et de sang, d'égout, d'i mmond ice, que sais- je ? Je conna is le joli jeu de la criti que, je l'ai jo ué moi-même ; ma is j'a voue que l'ensem ble de l'atta que m'a un peu décon certé.

Quoi ! il ne s'est pas trouvé un seul de mes confrères pour expliquer mon livre, sinon pour le défen dre! Pa rmi le co ncert de voix qui criaient : «L 'au­ teur de Thérèse Raquin est un misérable hystérique qui se plaît à étaler des porn ographi es)), j'a i va inemen t attendu une voix qui répond ît :. »

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