Lettre sur la mort de M. de La Rochefoucauld. Mme de Sévigné
Publié le 12/07/2011
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A Paris, dimanche 17 mars 1680.
Quoique cette lettre ne parte que mercredi, je ne puis m'empêcher de la commencer aujourd'hui, pour vous dire que M. de la Rochefoucauld est mort cette nuit. J'ai la tête si pleine de ce malheur, et de l'extrême affliction de notre pauvre amie, qu'il faut que je vous en parle. Hier samedi, le remède de l'Anglais avait fait des merveilles, toutes les espérances de vendredi que je vous écrivais étaient augmentées; on chantait victoire, la poitrine était dégagée, la tête libre, la fièvre moindre, des évacuations salutaires ; dans cet état, hier à six heures, il se tourne à la mort : tout d'un coup les redoublements de fièvre, l'oppression, les rêveries, en un mot, la goutte l'étrangle traîtreusement; et quoiqu'il eût beaucoup de force, et qu'il ne fût point abattu des saignées, il n'a fallu que quatre ou cinq heures pour l'emporter; et à minuit il a rendu l'âme entre les mains de M. de Condom. M. de Marsillac ne l'a pas quitté d'un moment; il est mort entre ses bras, dans cette chaise que vous connaissez. Il lui a parlé de Dieu avec courage. Il est dans une affliction qui ne se peut représenter; mais il retrouvera le roi et la cour; toute sa famille se retrouvera en sa place; mais où Mme de la Fayette retrouvera-t-elle un tel ami, une telle société, une pareille douceur, un agrément, une confiance, une considération pour elle et pour son fils? Elle est infirme, elle est toujours dans sa chambre, elle ne court point les rues; M. de la Rochefoucauld était sédentaire aussi: cet état les rendait nécessaires l'un à l'autre: rien ne pouvait être comparé à la confiance et aux charmes de leur amitié. Ma fille, songez-y, vous trouverez qu'il est impossible de faire une perte plus sensible, et dont le temps puisse moins consoler. Je ne lai pas quittée tous ces jours: elle n'allait point faire la presse parmi cette famille; ainsi elle avait besoin qu'on eût pitié d'elle.
L'ensemble. — Ici, c'est surtout en amie que parle Mme de Sévigné. Nous trouvons dans cette lettre de précieux détails sur le caractère et sur la mort de La Rochefoucauld, l'admirable auteur des Maximes, et sur la douleur qu'en ressent celle qui lui était si profondément attachée, Mme de La Fayette, l'auteur de la Princesse de Clève. Tout ceci est très intéressant au point de vue de l'histoire littéraire.
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