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LES PENSÉES (Extraits) -PASCAL

Publié le 05/02/2011

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pascal

L'homme n'est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie et en soi-même et à l'égard des autres. Il ne veut pas qu'on lui dise la vérité, il évite de la dire aux autres... Je mets en fait que, si tous les hommes savaient ce qu'ils disent les uns des autres, il n'y aurait pas quatre amis dans le monde. Cela paraît par les querelles que causent les rapports indiscrets qu'on en fait quelquefois... Plaindre les malheureux n'est pas contre la concupiscence. Au contraire, on est bien aise d'avoir à rendre ce témoignage d'amitié, et à s'attirer la réputation de tendresse, sans rien donner... Tous les hommes se haïssent naturellement l'un l'autre. On s'est servi comme on a pu de la concupiscence pour la faire servir au bien public ; mais ce n'est que feinte, et une fausse image de la charité ; car au fond ce n'est que haine. On a fondé et tiré de la concupiscence des règles admirables de police, de morale et de justice ; mais, dans le fond, ce vilain fond de l'homme, ce figmentum malum, n'est que couvert : il n'est pas ôté. Le moi est haïssable : vous, Miton, le couvrez, vous ne l'ôtez pas pour cela ; vous êtes donc toujours haïssable. — Point, car en agissant, comme nous faisons, obligeamment pour tout le monde, on n'a plus sujet de nous haïr. — Cela est vrai, si on ne haïssait dans le moi que le déplaisir qui nous en revient. Mais si je le hais parce qu'il se fait centre du tout, je le haïrai toujours.

En un mot, le moi a deux qualités : il est injuste en soi, en ce qu'il se fait centre du tout ; il est incommode aux autres, en ce qu'il les veut asservir : car chaque moi est l'ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l'incommodité, mais non pas l'injustice ; et ainsi vous ne le rendez pas aimable à ceux qui en haïssent l'injustice : vous ne le rendez aimable qu'aux injustes, qui n'y trouvent plus leur ennemi, et ainsi vous demeurez injuste et ne pouvez plaire qu'aux injustes... Quel dérèglement de jugement, par lequel il n'y a personne qui ne se mette au-dessus de tout le reste du monde, et qui n'aime mieux son propre bien, et la durée de son bonheur, et de sa vie, que celle de tout le reste du monde ! Chacun est un tout à soi-même, car, lui mort, le tout est mort pour soi. Et de là vient que chacun croit être tout à tous. La mort Qu'on s'imagine un nombre d'hommes dans les chaînes, et tous condamnés à la mort, dont les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans celle de leurs semblables, et, se regardant les uns et les autres avec douleur et sans espérance, attendent à leur tour. C'est l'image de la condition des hommes. Un homme dans un cachot, ne sachant si son arrêt est donné, n'ayant plus qu'une heure pour l'apprendre, cette heure suffisant, s'il sait qu'il est donné, pour le faire révoquer, il est contre nature qu'il emploie cette heure-là, non à s'informer si l'arrêt est donné, mais à jouer au piquet. Ainsi, il est surnaturel que l'homme, etc. C'est un appesantissement de la main de Dieu. Le pari Parlons maintenant selon les lumières. S'il y a un Dieu, il est infiniment incompréhensible, puisque, n'ayant ni parties ni bornes, il n'a nul rapport à nous. Nous sommes donc incapables de connaître ni ce qu'il est, ni s'il est. Cela étant, qui osera entreprendre de résoudre cette question ? Ce n'est pas nous, qui n'avons aucun rapport à lui. Qui blâmera donc les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison ? Ils déclarent, l'exposant au monde, que c'est une sottise, stultitiam ; et puis, vous vous plaignez de ce qu'ils ne la prouvent pas ! S'ils la prouvaient, ils ne tiendraient pas parole : c'est en manquant de preuve qu'ils ne manquent pas de sens. — « Oui ; mais encore que cela excuse ceux qui l'offrent telle, et que cela les ôte de blâme de la produire sans raison, cela n'excuse pas ceux qui la reçoivent «.  

— Examinons donc ce point, et disons : « Dieu est, ou il n'est pas «. Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n'y peut rien déterminer : il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagnerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre ; par raison, vous ne pouvez défendre nul des deux. Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ; car vous n'en savez rien. — « Non : mais je les blâmerai d'avoir fait, non ce choix, mais un choix ; car, encore que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier «. Oui ; mais il faut parier. Cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. — « Cela est admirable. Oui, il faut gager ; mais je gage peut-être trop «. — Voyons. Puisqu'il y a pareil hasard de gain et de pertes, si vous n'aviez qu'à gagner deux vies pour une vous pourriez encore gagner ; mais s'il y en avait trois à gagner, il faudrait jouer (puisque vous êtes dans la nécessité de jouer), et vous seriez imprudent lorsque vous êtes forcé à jouer, de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois, à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a une éternité de vie et de bonheur. Et cela étant, quand il y aurait une infinité de hasards, dont un seul serait pour vous, vous auriez encore raison de gager un pour avoir deux ; et vous agirez de mauvais sens, en étant obligé à jouer, de refuser de jouer une vie contre trois à un jeu où d'une infinité de hasards il y en a un pour vous, s'il y avait une infinité de vie infiniment heureuse à gagner. Mais il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini. Cela ôte tout parti : partout où est l'infini, et où il n'y a pas infinité de hasards de perte contre celui de gain, il n'y a point à balancer, il faut tout donner. Et ainsi, quand on est forcé à jouer, il faut renoncer à la raison pour garder la vie, plutôt que de la hasarder pour le gain infini aussi prêt à arriver que la perte du néant. Car il ne sert de rien de dire, qu'il est incertain si on gagnera, et qu'il est certain qu'on hasarde, et que l'infinie distance qui est entre la certitude de ce qu'on s'expose, et l'incertitude de ce qu'on gagnera, égale le bien fini, qu'on expose certainement, à l'infini, qui est incertain. Cela n'est pas ; aussi tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude ; et néanmoins il hasarde certainement le fini pour gagner incertainement le fini sans pécher contre la raison. Il n'y a pas infinité de distance entre cette certitude de ce qu'on s'expose et l'incertitude du gain ; cela est faux. Il y a à la vérité, infinité entre la certitude de gagner et la certitude de perdre. Mais l'incertitude de gagner est proportionnée à la certitude de ce qu'on hasarde, selon la proportion des hasards de gain et de perte. Et de là vient que, s'il y a autant de hasards d'un côté que de l'autre, le parti est à jouer égal contre égal ; et alors la certitude de ce qu'on s'expose est égale à l'incertitude du gain : tant s'en faut qu'elle en soit infiniment distante. Et ainsi, notre proposition est dans une force infinie, quand il y a le fini à hasarder à un jeu où il y a pareils hasards de gain que de perte, et l'infini à gagner. Cela est démonstratif ; et si les hommes sont capables de quelque vérité, celle-là l'est... — « Oui ; mais j'ai les mains liées et la bouche fermée ; on me force à parler, et je ne suis pas en liberté ; on ne me relâche pas. Et je suis fait d'une telle sorte que je ne puis croire. Que voulez-vous donc que je fasse ? « — Il est vrai. Mais apprenez au moins que votre impuissance à croire, puisque la raison vous y porte, et que néanmoins vous ne le pouvez, vient de vos passions. Travaillez donc, non pas à vous convaincre par l'augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions. Vous voulez aller à la foi, et vous n'en savez pas le chemin ; vous voulez vous guérir de l'infidélité, et vous en demandez les remèdes : apprenez de ceux qui ont été liés comme vous, et qui parient maintenant tout leur bien ; ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre, et guéris d'un mal dont vous voulez guérir. Suivez la manière par où ils ont commencé : c'est en faisant tout comme s'ils croyaient, en prenant de l'eau bénite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira.

pascal

« Oui ; mais il faut parier.

Cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué.

Lequel prendrez-vous donc ? Voyons.Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins.

Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, etdeux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature adeux choses à fuir : l'erreur et la misère.

Votre raison n'est pas plus blessée en choisissant l'un que l'autre, puisqu'ilfaut nécessairement choisir.

Voilà un point vidé.

Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croixque Dieu est.

Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien.Gagez donc qu'il est, sans hésiter. — « Cela est admirable.

Oui, il faut gager ; mais je gage peut-être trop ». — Voyons.

Puisqu'il y a pareil hasard de gain et de pertes, si vous n'aviez qu'à gagner deux vies pour une vouspourriez encore gagner ; mais s'il y en avait trois à gagner, il faudrait jouer (puisque vous êtes dans la nécessité dejouer), et vous seriez imprudent lorsque vous êtes forcé à jouer, de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois,à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain.

Mais il y a une éternité de vie et de bonheur.

Et cela étant,quand il y aurait une infinité de hasards, dont un seul serait pour vous, vous auriez encore raison de gager un pouravoir deux ; et vous agirez de mauvais sens, en étant obligé à jouer, de refuser de jouer une vie contre trois à unjeu où d'une infinité de hasards il y en a un pour vous, s'il y avait une infinité de vie infiniment heureuse à gagner.Mais il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards deperte, et ce que vous jouez est fini.

Cela ôte tout parti : partout où est l'infini, et où il n'y a pas infinité de hasardsde perte contre celui de gain, il n'y a point à balancer, il faut tout donner.

Et ainsi, quand on est forcé à jouer, ilfaut renoncer à la raison pour garder la vie, plutôt que de la hasarder pour le gain infini aussi prêt à arriver que laperte du néant. Car il ne sert de rien de dire, qu'il est incertain si on gagnera, et qu'il est certain qu'on hasarde, et que l'infiniedistance qui est entre la certitude de ce qu'on s'expose, et l'incertitude de ce qu'on gagnera, égale le bien fini,qu'on expose certainement, à l'infini, qui est incertain.

Cela n'est pas ; aussi tout joueur hasarde avec certitudepour gagner avec incertitude ; et néanmoins il hasarde certainement le fini pour gagner incertainement le fini sanspécher contre la raison.

Il n'y a pas infinité de distance entre cette certitude de ce qu'on s'expose et l'incertitudedu gain ; cela est faux.

Il y a à la vérité, infinité entre la certitude de gagner et la certitude de perdre.

Maisl'incertitude de gagner est proportionnée à la certitude de ce qu'on hasarde, selon la proportion des hasards de gainet de perte.

Et de là vient que, s'il y a autant de hasards d'un côté que de l'autre, le parti est à jouer égal contreégal ; et alors la certitude de ce qu'on s'expose est égale à l'incertitude du gain : tant s'en faut qu'elle en soitinfiniment distante.

Et ainsi, notre proposition est dans une force infinie, quand il y a le fini à hasarder à un jeu où ily a pareils hasards de gain que de perte, et l'infini à gagner.

Cela est démonstratif ; et si les hommes sont capablesde quelque vérité, celle-là l'est... — « Oui ; mais j'ai les mains liées et la bouche fermée ; on me force à parler, et je ne suis pas en liberté ; on ne merelâche pas.

Et je suis fait d'une telle sorte que je ne puis croire.

Que voulez-vous donc que je fasse ? » — Il est vrai.

Mais apprenez au moins que votre impuissance à croire, puisque la raison vous y porte, et quenéanmoins vous ne le pouvez, vient de vos passions.

Travaillez donc, non pas à vous convaincre par l'augmentationdes preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions.

Vous voulez aller à la foi, et vous n'en savez pas lechemin ; vous voulez vous guérir de l'infidélité, et vous en demandez les remèdes : apprenez de ceux qui ont étéliés comme vous, et qui parient maintenant tout leur bien ; ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriezsuivre, et guéris d'un mal dont vous voulez guérir.

Suivez la manière par où ils ont commencé : c'est en faisant toutcomme s'ils croyaient, en prenant de l'eau bénite, en faisant dire des messes, etc.

Naturellement même cela vousfera croire et vous abêtira.. »

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