LES MONADES (extrait de la Monadologie) - Leibniz
Publié le 06/02/2011
Extrait du document
La Monade, dont nous parlons ici, n'est autre chose qu'une substance simple qui entre dans les composés ; simple c'est-à-dire sans parties. Et il faut qu'il y ait des substances simples, puisqu'il y a des composés : car le composé n'est autre chose qu'un amas ou aggregatum des simples. Or là où il n'y a point de parties, il n'y a ni étendue, ni figure, ni divisibilité possible ; et ces Monades sont les véritables atomes de la nature et en un mot les éléments des choses. Il n'y a aussi point de dissolution à craindre, et il n'y a aucune manière concevable par laquelle une substance simple puisse périr naturellement. Par la même raison, il n'y en a aucune par laquelle une substance simple puisse commencer naturellement, puisqu'elle ne saurait être formée par composition. Ainsi on peut dire que les Monades ne sauraient commencer ni finir que tout d'un coup ; c'est-à-dire, elles ne sauraient commencer que par création, et finir que par annihilation, au lieu que ce qui est composé commence ou finit par parties. Il n'y a pas moyen aussi d'expliquer comment une Monade puisse être altérée ou changée dans son intérieur par quelque autre créature, puisqu'on n'y saurait rien transposer, ni concevoir en elle aucun mouvement interne qui puisse être excité, dirigé, augmenté ou diminué là-dedans, comme cela se peut dans les composés où il y a du changement entre les parties. Les Monades n'ont point de fenêtres par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir. Les accidents ne sauraient se détacher ni se promener hors des substances comme faisaient autrefois les espèces sensibles des scolastiques. Ainsi, ni substance ni accident ne peut entrer de dehors dans une Monade. Cependant, il faut que les Monades aient quelques qualités, autrement ce ne seraient pas même des êtres ; et si les substances simples ne différaient point par leurs qualités, il n'y aurait point de moyen de s'apercevoir d'aucun changement dans les choses puisque ce qui est dans le composé ne peut venir que des ingrédients simples ; et les Monades étant sans qualités seraient indistinguables l'une de l'autre, puisque aussi bien elles ne diffèrent point en quantité ; et, par conséquent, le plein étant supposé, chaque lieu ne recevrait toujours dans le mouvement que l'équivalent de ce qu'il avait et un état des choses serait indiscernable de l'autre. Il faut même que chaque Monade soit différente de chaque autre ; car il n'y a jamais dans la nature deux êtres qui soient parfaitement l'un comme l'autre, et où il ne soit possible de trouver une différence interne ou fondée sur une dénomination intrinsèque. Je prends aussi pour accordé que tout être créé est sujet au changement, et par conséquent la Monade créée aussi, et même que ce changement est continuel dans chacune. Il s'ensuit de ce que nous venons de dire, que les changements naturels des Monades viennent d'un principe interne ; puisqu'une cause externe ne saurait influer dans son intérieur. Mais, il faut aussi qu'outre le principe du changement il y ait un détail de ce qui change, qui fasse pour ainsi dire la spécification et la variété des substances simples. Ce détail doit envelopper une multitude dans l'unité ou dans le simple ; car tout changement naturel se faisant par degrés, quelque chose change et quelque chose reste et par conséquent il faut que dans la substance simple il y ait une pluralité d'affections et de rapports, quoiqu'il n'y ait point de parties. L'état passager qui enveloppe et représente une multitude dans l'unité ou dans la substance simple n'est autre chose que ce qu'on appelle la perception, qu'on doit distinguer de l'aperception ou de la conscience, comme il paraîtra dans la suite ; et c'est en quoi les cartésiens ont fort manqué, ayant compté pour rien les perceptions dont on ne s'aperçoit pas. C'est aussi ce qui les a fait croire que les seuls esprits étaient des Monades, et qu'il n'y avait point d'âmes des bêtes ou d'autres entéléchies, et qu'ils ont confondu avec le vulgaire un long étourdis-sement avec une mort à la rigueur ; ce qui les a fait encore donner dans le préjugé scolastique des âmes entièrement séparées, et a même confirmé les esprits mal tournés dans l'opinion de la mortalité des âmes. L'action du principe interne, qui fait le changement ou le passage d'une perception à une autre, peut-être appelée appétition ; il est vrai que l'appétit ne saurait toujours parvenir entièrement à toute la perception où il tend, mais il en obtient toujours quelque chose, et parvient à des perceptions nouvelles.
Liens utiles
- Leibniz, la Monadologie (extrait) - anthologie.
- Monadologie - Gottfried Wilhelm Leibniz: Définition des monades (§ 1 à 7)
- MONADOLOGIE (La) de Gottfried Wilhelm Leibniz - résumé, analyse
- MONADOLOGIE (LA), Gottfried Wilhelm Leibniz - résumé de l'oeuvre
- Leibniz, Monadologie, § 57. Voir.