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les culs des charrettes ouverts montraient des chapelles ardentes, des enfoncements de tabernacle, dans les lueurs lambantes de ces chairs régulières et nues ; et, sur le lit de paille, il y avait des boîtes de fer-blanc, pleines du sang des cochons.

Publié le 15/12/2013

Extrait du document

les culs des charrettes ouverts montraient des chapelles ardentes, des enfoncements de tabernacle, dans les lueurs lambantes de ces chairs régulières et nues ; et, sur le lit de paille, il y avait des boîtes de fer-blanc, pleines du sang des cochons. Alors Florent fut pris d'une rage sourde ; l'odeur fade de la boucherie, l'odeur âcre de la triperie, l'exaspéraient. Il sortit de la rue couverte, il préféra revenir une fois encore sur le trottoir de la rue du Pont-Neuf. C'était l'agonie. Le frisson du matin le prenait ; il claquait des dents, il avait peur de tomber là et de rester par terre. Il chercha, ne trouva pas un coin sur un banc ; il y aurait dormi, quitte à être réveillé par les sergents de ville. Puis, comme un éblouissement l'aveuglait, il s'adossa à un arbre, les yeux fermés, les oreilles bourdonnantes. La carotte crue qu'il avait avalée, sans presque la mâcher, lui déchirait l'estomac, et le verre de punch l'avait grisé. Il était gris de misère, de lassitude, de faim. Un feu ardent le brûlait de nouveau au creux de la poitrine ; il y portait les deux mains, par moments, comme pour boucher un trou par lequel il croyait sentir tout son être s'en aller. Le trottoir avait un large balancement ; sa souffrance devenait si intolérable, qu'il voulut marcher encore pour la faire taire. Il marcha devant lui, entra dans les légumes. Il s'y perdit. Il prit un étroit sentier, tourna dans un autre, dut revenir sur ses pas, se trompa, se trouva au milieu des verdures. Certains tas étaient si hauts, que les gens circulaient entre deux murailles, bâties de paquets et de bottes. Les têtes dépassaient un peu ; on les voyait filer avec la tache blanche ou noire de la coiffure, et les grandes hottes, balancées, ressemblaient, au ras des feuilles, à des nacelles d'osier nageant sur un lac de mousse. Florent se heurtait à mille obstacles, à des porteurs qui se chargeaient, à des marchandes qui discutaient de leurs voix rudes ; il glissait sur le lit épais d'épluchures et de trognons qui couvrait la chaussée, il étouffait dans l'odeur puissante des feuilles écrasées. Alors, stupide, il s'arrêta, il s'abandonna aux poussées des uns, aux injures des autres ; il ne fut plus qu'une chose battue, roulée, au fond de la mer montante. Une grande lâcheté l'envahissait. Il aurait mendié. Sa sotte fierté de la nuit l'exaspérait. S'il avait accepté l'aumône de madame François, s'il n'avait point eu peur de Claude comme un imbécile, il ne se trouverait pas là, à râler parmi ces choux. Et il s'irritait surtout de ne pas avoir questionné le peintre, rue Pirouette. À cette heure, il était seul, il pouvait crever, sur le pavé, comme un chien perdu. Il leva une dernière fois les yeux, il regarda les Halles. Elles flambaient dans le soleil. Un grand rayon entrait par le bout de la rue couverte, au fond, trouant la masse des pavillons d'un portique de lumière ; et, battant la nappe des toitures, une pluie ardente tombait. L'énorme charpente de fonte se noyait, bleuissait, n'était plus qu'un profil sombre sur les flammes d'incendie du levant. En haut, une vitre s'allumait, une goutte de clarté roulait jusqu'aux gouttières, le long de la pente des larges plaques de zinc. Ce fut alors une cité tumultueuse dans une poussière d'or volante. Le réveil vait grandi, du ronflement des maraîchers, couchés sous leurs limousines, au roulement plus vif des arrivages. Maintenant, la ville entière repliait ses grilles ; les carreaux bourdonnaient, les pavillons grondaient ; toutes les voix donnaient, et l'on eût dit l'épanouissement magistral de cette phrase que Florent, depuis quatre heures du matin, entendait se traîner et se grossir dans l'ombre. À droite, à gauche, de tous côtés, des glapissements de criée mettaient des notes aiguës de petite flûte, au milieu des basses sourdes de la foule. C'était la marée, c'étaient les beurres, c'était la volaille, c'était la viande. Des volées de cloche passaient, secouant derrière elles le murmure des marchés qui s'ouvraient. Autour de lui, le soleil enflammait les légumes. Il ne reconnaissait plus l'aquarelle tendre des pâleurs de l'aube. Les coeurs élargis des salades brûlaient, la gamme du vert éclatait en vigueurs superbes, les carottes saignaient, les navets devenaient incandescents, dans ce brasier triomphal. À sa gauche, des tombereaux de choux s'éboulaient encore. Il tourna les yeux, il vit, au loin, des camions qui débouchaient toujours de la rue Turbigo. La mer continuait à monter. Il l'avait sentie à ses chevilles, puis à son ventre ; elle menaçait, à cette heure, de passer par-dessus sa tête. Aveuglé, noyé, les oreilles sonnantes, l'estomac écrasé par tout ce qu'il avait vu, devinant de nouvelles et incessantes profondeurs de nourriture, il demanda grâce, et une douleur folle le prit, de mourir ainsi de faim, dans Paris gorgé, dans ce réveil fulgurant des Halles. De grosses larmes chaudes jaillirent de ses yeux. Il était arrivé à une allée plus large. Deux femmes, une petite vieille et une grande sèche, passèrent devant lui, causant, se dirigeant vers les pavillons. -- Et vous êtes venue faire vos provisions, mademoiselle Saget ? demanda la grande sèche. -- Oh ! madame Lecoeur, si on peut dire... Vous savez, une femme seule. Je vis de rien... J'aurais voulu un petit choufleur, mais tout est si cher... Et le beurre, à combien, aujourd'hui ? -- Trente-quatre sous... J'en ai du bien bon. Si vous voulez venir me voir... -- Oui, oui, je ne sais pas, j'ai encore un peu de graisse... Florent, faisant un effort suprême, suivait les deux femmes. Il se souvenait d'avoir entendu nommer la petite vieille par Claude, rue Pirouette ; il se disait qu'il la questionnerait, quand elle aurait quitté la grande sèche. -- Et votre nièce ? demanda mademoiselle Saget. -- La Sarriette fait ce qu'il lui plaît, répondit aigrement madame Lecoeur. Elle a voulu s'établir. Ça ne me regarde plus. Quand les hommes l'auront grugée, ce n'est pas moi qui lui donnerai un morceau de pain. -- Vous étiez si bonne pour elle... Elle devrait gagner de l'argent ; les fruits sont avantageux, cette année... Et votre beau-frère ? -- Oh ! lui... Madame Lecoeur pinça les lèvres et parut ne pas vouloir en dire davantage. -- Toujours le même, hein ? continua mademoiselle Saget. C'est un bien brave homme... Je me suis laissé dire qu'il mangeait son argent d'une façon... -- Est-ce qu'on sait s'il mange son argent ! dit brutalement madame Lecoeur. C'est un cachottier, c'est un ladre, c'est un homme, voyez-vous, mademoiselle, qui me laisserait crever plutôt que de me prêter cent sous... Il sait parfaitement que les beurres, pas plus que les fromages et les oeufs, n'ont marché cette saison. Lui, vend toute la volaille qu'il veut... Eh bien, pas une fois, non, pas une fois, il ne m'aurait offert ses services. Je suis bien trop fière pour accepter, vous comprenez, mais ça m'aurait fait plaisir. -- Eh ! le voilà, votre beau-frère, reprit mademoiselle Saget, en baissant la voix. Les deux femmes se tournèrent, regardèrent quelqu'un qui traversait la chaussée pour entrer sous la grande rue couverte. -- Je suis pressée, murmura madame Lecoeur, j'ai laissé ma boutique toute seule. Puis, je ne veux pas lui parler. Florent s'était aussi retourné, machinalement. Il vit un petit homme, carré, l'air heureux, les cheveux gris et taillés en rosse, qui tenait sous chacun de ses bras une oie grasse, dont la tête pendait et lui tapait sur les cuisses. Et, brusquement, il eut un geste de joie ; il courut derrière cet homme, oubliant sa fatigue. Quand il l'eut rejoint : -- Gavard ! dit-il, en lui frappant sur l'épaule. L'autre leva la tête, examina d'un air surpris cette longue figure noire qu'il ne reconnaissait pas. Puis, tout d'un coup : -- Vous ! Vous ! s'écria-t-il au comble de la stupéfaction. Comment, c'est vous ! Il manqua laisser tomber ses oies grasses. Il ne se calmait pas. Mais, ayant aperçu sa belle-soeur et mademoiselle Saget, qui assistaient curieusement de loin à leur rencontre, il se remit à marcher, en disant : -- Ne restons pas là, venez... Il y a des yeux et des langues de trop. Et, sous la rue couverte, ils causèrent. Florent raconta qu'il était allé rue Pirouette. Gavard trouva cela très drôle ; il rit beaucoup, il lui apprit que son frère Quenu avait déménagé et rouvert sa charcuterie à deux pas, rue Rambuteau, en face des Halles. Ce qui l'amusa encore prodigieusement, ce fut d'entendre que Florent s'était promené tout le matin avec Claude Lantier, un drôle de corps, qui était justement le neveu de madame Quenu. Il allait le conduire à la charcuterie. Puis, quand il sut qu'il était rentré en France avec de faux papiers, il prit toutes sortes d'airs mystérieux et graves. Il voulut marcher devant lui, à cinq pas de distance, pour ne pas éveiller l'attention. Après avoir passé par le pavillon de la volaille, où il accrocha ses deux oies à son étalage, il traversa la rue Rambuteau, toujours suivi par Florent. Là, au milieu de la chaussée, du coin de l'oeil, il lui désigna une grande et belle boutique de charcuterie. Le soleil enfilait obliquement la rue Rambuteau, allumant les façades, au milieu desquelles l'ouverture de la rue Pirouette faisait un trou noir. À l'autre bout, le grand vaisseau de Saint-Eustache était tout doré dans la poussière du soleil, comme une immense châsse. Et, au milieu de la cohue, du fond du carrefour, une armée de balayeurs s'avançait sur une ligne, à coups réguliers de balai ; tandis que les boueux jetaient les ordures à la fourche dans des tombereaux qui s'arrêtaient, tous les vingt pas, avec des bruits de vaisselles cassées. Mais Florent n'avait d'attention que pour la grande charcuterie, ouverte et flambante au soleil levant. Elle faisait presque le coin de la rue Pirouette. Elle était une joie pour le regard. Elle riait, toute claire, avec des pointes de couleurs vives qui chantaient au milieu de la blancheur de ses marbres. L'enseigne, où le nom de QUENUGRADELLE luisait en grosses lettres d'or, dans un encadrement de branches et de feuilles, dessiné sur un fond tendre, était faite d'une peinture recouverte d'une glace. Les deux panneaux latéraux de la devanture, également peints et sous verre, représentaient de petits Amours joufflus, jouant au milieu de hures, de côtelettes de porc, de guirlandes de saucisses ; et ces natures mortes, ornées d'enroulements et de rosaces, avaient une telle tendresse d'aquarelle que les viandes crues y prenaient des tons roses de confitures. Puis, dans ce cadre aimable, l'étalage montait. Il était posé sur un lit de fines rognures de papier bleu ; par endroits, des feuilles de fougère, délicatement rangées, changeaient certaines assiettes en bouquets entourés de verdure. C'était un monde de bonnes choses, de choses fondantes, de choses grasses. 'abord, tout en bas, contre la glace, il y avait une rangée de pots de rillettes, entremêlés de pots de moutarde. Les jambonneaux désossés venaient au-dessus, avec leur bonne figure ronde, jaune de chapelure, leur manche terminé par un pompon vert. Ensuite arrivaient les grands plats : les langues fourrées de Strasbourg, rouges et vernies, saignantes à côté de la pâleur des saucisses et des pieds de cochon ; les boudins, noirs, roulés comme des couleuvres bonnes filles ; les andouilles, empilées deux à deux, crevant de santé ; les saucissons, pareils à des échines de chantre, dans leurs chapes d'argent ; les pâtés, tout chauds, portant les petits drapeaux de leurs étiquettes ; les gros jambons, les grosses pièces de veau et de porc, glacées, et dont la gelée avait des limpidités de sucre candi. Il y avait encore de larges terrines au fond desquelles dormaient des viandes et des hachis, dans des lacs de graisse figée. Entre les assiettes, entre les plats, sur le lit de rognures bleues, se trouvaient jetés des bocaux d'achards, de coulis, de truffes conservées, des terrines de foies gras, des boîtes moirées de thon et de sardines. Une caisse de fromages laiteux, et une autre caisse, pleine d'escargots bourrés de beurre persillé, étaient posées aux deux coins, négligemment. Enfin, tout en haut, tombant d'une barre à dents de loup, des colliers de saucisses, de saucissons, de cervelas, pendaient, symétriques, semblables à des cordons et à des glands de tentures riches ; tandis que, derrière, des lambeaux de crépine mettaient leur dentelle, leur fond de guipure blanche et charnue. Et là, sur le dernier gradin de cette chapelle du ventre, au milieu des bouts de la crépine, entre deux ouquets de glaïeuls pourpres, le reposoir se couronnait d'un aquarium carré, garni de rocailles, où deux poissons rouges ageaient, continuellement. Florent sentit un frisson à fleur de peau ; et il aperçut une femme, sur le seuil de la boutique, dans le soleil. Elle ettait un bonheur de plus, une plénitude solide et heureuse, au milieu de toutes ces gaietés grasses. C'était une belle emme. Elle tenait la largeur de la porte, point trop grosse pourtant, forte de la gorge, dans la maturité de la trentaine. lle venait de se lever, et déjà ses cheveux, lissés, collés et comme vernis, lui descendaient en petits bandeaux plats sur es tempes. Cela la rendait très propre. Sa chair paisible avait cette blancheur transparente, cette peau fine et rosée des ersonnes qui vivent d'ordinaire dans les graisses et les viandes crues. Elle était sérieuse plutôt, très calme et très lente, 'égayant du regard, les lèvres graves. Son col de linge empesé bridant sur son cou, ses manches blanches qui lui ontaient jusqu'aux coudes, son tablier blanc cachant la pointe de ses souliers, ne laissaient voir que des bouts de sa obe de cachemire noir, les épaules rondes, le corsage plein, dont le corset tendait l'étoffe, extrêmement. Dans tout ce lanc, le soleil brûlait. Mais, trempée de clarté, les cheveux bleus, la chair rose, les manches et la jupe éclatantes, elle ne lignait pas les paupières, elle prenait en toute tranquillité béate son bain de lumière matinale, les yeux doux, riant aux alles débordantes. Elle avait un air de grande honnêteté. -- C'est la femme de votre frère, votre belle-soeur Lisa, dit Gavard à Florent. Il l'avait saluée d'un léger signe de tête. Puis, il s'enfonça dans l'allée, continuant à prendre des précautions inutieuses, ne voulant pas que Florent entrât par la boutique, qui était vide pourtant. Il était évidemment très heureux e se mettre dans une aventure qu'il croyait compromettante.   Quenu   -- Attendez, dit-il, je vais voir si votre frère est seul... Vous entrerez, quand je taperai dans mes mains.

« Madame Lecœurpinçaleslèvres etparut nepas vouloir endire davantage. — Toujours lemême, hein ?continua mademoiselle Saget.C’estunbien brave homme… Jeme suis laissé direqu’il mangeait sonargent d’unefaçon… — Est-ce qu’onsaits’ilmange sonargent ! ditbrutalement madameLecœur.C’estuncachottier, c’estunladre, c’est un homme, voyez-vous, mademoiselle, quime laisserait creverplutôtquedeme prêter centsous… Ilsait parfaitement que lesbeurres, pasplus quelesfromages etles œufs, n’ontmarché cettesaison.

Lui,vend toute lavolaille qu’ilveut… Eh bien, pasune fois, non, pasune fois, ilne m’aurait offertsesservices.

Jesuis bien tropfière pour accepter, vous comprenez, maisçam’aurait faitplaisir. — Eh ! levoilà, votrebeau-frère, repritmademoiselle Saget,enbaissant lavoix. Les deux femmes setournèrent, regardèrent quelqu’unquitraversait lachaussée pourentrer souslagrande rue couverte.

— Je suispressée, murmura madameLecœur,j’ailaissé maboutique touteseule.

Puis,jene veux pasluiparler. Florent s’étaitaussiretourné, machinalement.

Ilvit un petit homme, carré,l’airheureux, lescheveux grisettaillés en brosse, quitenait souschacun deses bras uneoiegrasse, dontlatête pendait etlui tapait surlescuisses.

Et, brusquement, ileut ungeste dejoie ; ilcourut derrière cethomme, oubliantsafatigue.

Quandill’eut rejoint : — Gavard ! dit-il,enluifrappant surl’épaule. L’autre levalatête, examina d’unairsurpris cettelongue figurenoirequ’ilnereconnaissait pas.Puis, toutd’un coup : — Vous ! Vous !s’écria-t-il aucomble delastupéfaction.

Comment,c’estvous ! Il manqua laissertomber sesoies grasses.

Ilne secalmait pas.Mais, ayant aperçu sabelle-sœur etmademoiselle Saget, quiassistaient curieusement deloin àleur rencontre, ilse remit àmarcher, endisant : — Ne restons paslà,venez… Ilya des yeux etdes langues detrop. Et, sous larue couverte, ilscausèrent.

Florentraconta qu’ilétait alléruePirouette.

Gavardtrouvacelatrèsdrôle ; il rit beaucoup, illui apprit quesonfrère Quenu avaitdéménagé etrouvert sacharcuterie àdeux pas,rueRambuteau, en face desHalles.

Cequi l’amusa encoreprodigieusement, cefut d’entendre queFlorent s’étaitpromené toutlematin avec Claude Lantier, undrôle decorps, quiétait justement leneveu demadame Quenu.Ilallait leconduire àla charcuterie. Puis, quand ilsut qu’il était rentré enFrance avecdefaux papiers, ilprit toutes sortesd’airsmystérieux etgraves.

Ilvoulut marcher devantlui,àcinq pasdedistance, pournepas éveiller l’attention.

Aprèsavoirpassé parlepavillon delavolaille, où ilaccrocha sesdeux oiesàson étalage, iltraversa larue Rambuteau, toujourssuiviparFlorent.

Là,aumilieu dela chaussée, ducoin del’œil, illui désigna unegrande etbelle boutique decharcuterie. Le soleil enfilait obliquement larue Rambuteau, allumantlesfaçades, aumilieu desquelles l’ouverture delarue Pirouette faisaituntrou noir.

Àl’autre bout,legrand vaisseau deSaint-Eustache étaittoutdoré dans lapoussière du soleil, comme uneimmense châsse.Et,aumilieu delacohue, dufond ducarrefour, unearmée debalayeurs s’avançait sur une ligne, àcoups réguliers debalai ; tandis quelesboueux jetaient lesordures àla fourche dansdestombereaux qui s’arrêtaient, touslesvingt pas,avec desbruits devaisselles cassées.MaisFlorent n’avaitd’attention quepour lagrande charcuterie, ouverteetflambante ausoleil levant. Elle faisait presque lecoin delarue Pirouette.

Elleétait unejoiepour leregard.

Elleriait, toute claire, avecdes pointes decouleurs vivesquichantaient aumilieu delablancheur deses marbres.

L’enseigne, oùlenom deQUENU- GRADELLE luisaitengrosses lettresd’or,dans unencadrement debranches etde feuilles, dessinésurunfond tendre, était faited’une peinture recouverte d’uneglace.

Lesdeux panneaux latérauxdeladevanture, égalementpeintsetsous verre, représentaient depetits Amours joufflus, jouantaumilieu dehures, decôtelettes deporc, deguirlandes de saucisses ; etces natures mortes, ornéesd’enroulements etde rosaces, avaientunetelle tendresse d’aquarelle queles viandes cruesyprenaient destons roses deconfitures.

Puis,dans cecadre aimable, l’étalagemontait.

Ilétait posé surun lit de fines rognures depapier bleu ;parendroits, desfeuilles defougère, délicatement rangées,changeaient certaines assiettes enbouquets entourésdeverdure.

C’étaitunmonde debonnes choses, dechoses fondantes, dechoses grasses. D’abord, toutenbas, contre laglace, ilyavait unerangée depots derillettes, entremêlés depots demoutarde.

Les jambonneaux désossésvenaientau-dessus, avecleurbonne figureronde, jaunedechapelure, leurmanche terminépar un pompon vert.Ensuite arrivaient lesgrands plats :leslangues fourrées deStrasbourg, rougesetvernies, saignantes à côté delapâleur dessaucisses etdes pieds decochon ; lesboudins, noirs,roulés comme descouleuvres bonnesfilles ;les andouilles, empiléesdeuxàdeux, crevant desanté ; lessaucissons, pareilsàdes échines dechantre, dansleurs chapes d’argent ; lespâtés, toutchauds, portantlespetits drapeaux deleurs étiquettes ; lesgros jambons, lesgrosses piècesde veau etde porc, glacées, etdont lagelée avaitdeslimpidités desucre candi.

Ilyavait encore delarges terrines aufond desquelles dormaientdesviandes etdes hachis, dansdeslacs degraisse figée.Entrelesassiettes, entrelesplats, surlelit de rognures bleues,setrouvaient jetésdesbocaux d’achards, decoulis, detruffes conservées, desterrines defoies gras, des boîtes moirées dethon etde sardines.

Unecaisse defromages laiteux,etune autre caisse, pleined’escargots bourrés de beurre persillé, étaientposéesauxdeux coins, négligemment.

Enfin,toutenhaut, tombant d’unebarreàdents de loup, descolliers desaucisses, desaucissons, decervelas, pendaient, symétriques, semblablesàdes cordons etàdes glands detentures riches ;tandisque,derrière, deslambeaux decrépine mettaient leurdentelle, leurfond deguipure. »

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